martelé

On la fait venir. Elle est belle et pâle, avec des bijoux de fer martelé.

Pierre Michon, « Neuf passages du causse », Mythologies d’hiver, Verdier, p. 50.

David Farreny, 3 juin 2002
taille

Il me vient à l’esprit que l’être n’a pas de taille. On le savait. Je le sens. C’est grave. Ce n’est pas tranquillisant.

Comment espérer jamais trouver la quiétude si l’on n’a d’assiette que métaphysique.

Agir gèle en moi.

Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 923.

David Farreny, 26 juin 2004
diminués

Les divers insectes carnivores, vus au microscope, sont des animaux formidables, ils étaient peut-être ces dragons ailés dont on retrouve les anatomies : diminués de taille à mesure que la matière diminuait d’énergie, ces hydres, griffons et autres, se trouvaient aujourd’hui à l’état d’insectes. Les géants antédiluviens sont les petits hommes d’aujourd’hui.

François-René, vicomte de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1), Le livre de poche, p. 248.

Guillaume Colnot, 17 mai 2007
malaise

En ce terrible septième jour, personne ne vint me voir. Le malaise posta ses gardes à l’entrée de l’hôpital, dépêcha ses émissaires aux portes de la ville, prévint les uns et les autres que toute tentative d’approche était vaine et qu’il entendait régner sans partage. Il régna donc, dictant ses conditions auxquelles je me soumis sans regimber. Je gisais au fond du lit, souhaitant qu’il s’incarnât, qu’il prît les traits de quelque vieillard cacochyme et grincheux, cassant, qui envahirait ma chambre de ses tics impatients, m’obligeant à caler ma respiration sur la sienne. Cependant c’était un jour sans incarnations, et je dus me contenter d’une grande désorganisation qui me jeta tantôt dans une veille asthénique, tantôt dans un sommeil sans repos, travail épuisant.

Mathieu Riboulet, Un sentiment océanique, Maurice Nadeau, p. 40.

Élisabeth Mazeron, 13 oct. 2007
Parthénope

Oh vite ! les rues au bout les unes des autres, vides, luisantes, fraîches, avec des amoncellements de fleurs, déjà, aux tournants et sous les porches. Surprise ainsi, à cette heure où elle dort encore, Naples n’est plus la ville que connaissent les touristes ; c’est la Parthénope éternelle, celle de l’avenir plutôt que celle du passé, décor permanent pour les scènes de plusieurs siècles ; longues perspectives de façades jaunes, blanches, roses et gris-bleu quadrillées de vert par les volets et les persiennes, de terrasses, de cirques où la lumière est toute seule au centre de sa conquête, de colonnades, de portiques, de statues. Heure vide et comme hors du temps, heure où les palais jouissent en paix de leur ombre, qui tourne lentement à leurs pieds majestueux. Pour la ville, réduite, en cet instant, à sa réalité essentielle, ce jour n’est pas plus le 7 avril 1903 que le 7 avril 1803 ou le 7 avril 2003. Dans un moment ses passants, ses figurants d’un jour, en paraissant dans ses rues et ses places, marqueront la date exacte, l’instant qui est à eux ; mais la ville gardera, au-dessus d’eux, comme un secret, la garantie de durée qu’elle porte dans ses pierres, l’avenir qui est dans son ciment et dans ses pierres, et l’effrayante science de ses ruines futures, peut-être au fond de la mer, ou sous les flots durcis de lave, ou sous ce même ciel…

Valery Larbaud, « Mon plus secret conseil... », Œuvres, Gallimard, pp. 661-662.

Élisabeth Mazeron, 1er avr. 2008
décivilisation

Car les jeunes en question sont moins opprimés ou méprisés que séduits par un système expansif de production et de consommation qui ne leur parle qu’immédiateté, qui leur fait miroiter tout, tout de suite, et qui les pousse ainsi à délaisser les vieilles promesses exigeantes de l’intégration et de l’émancipation pour la promesse technique, fraîche et excitante de disposer du monde d’un claquement de doigts ou comme disait Fellini, « d’avoir le maximum de choses, en excluant l’attention personnelle, la participation personnelle ». Et ce qui entretient en eux la rage, c’est le sentiment d’être lésés dans leurs droits chaque fois que leur désir rencontre une impossibilité, une difficulté ou une limite. À les gratifier, quoi qu’ils fassent, d’une compréhension infinie, on collabore à la transformation des droits de l’homme en droits de l’homme de l’enfant gâté, c’est-à-dire à la décivilisation du monde.

Alain Finkielkraut, « Réponse à Stefan Zweig », L’imparfait du présent, Gallimard, pp. 245-246.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
amoureux

Mais en attendant, il le considère. Le considère longuement. Le considère tant, toutes les heures suivantes et presque malgré lui, qu’une émotion de modèle et de format inconnus semble à sa vue s’emparer de lui. C’est un ravissement attentif, émerveillé, prévenant, rajeunissant, tension sans dévoltage qu’à ce jour il n’a éprouvée avec personne et dont il vient à se demander en fin de journée s’il ne s’agirait pas d’un affect dont il n’a qu’entendu parler sans y prêter attention jusque-là, un sentiment difficile à définir, comment trouver l’expression juste. Un état, risquons le mot, va pour amoureux.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 154.

Cécile Carret, 17 oct. 2010
faramineusement

Par la vitre arrière, la route glisse à reculons. Wanda regarde l’endroit d’où elle vient et dont elle s’éloigne sans pouvoir mettre aucun nom sur ce qu’elle laisse. On croit qu’ils roulent au hasard, mais ils se rendent quelque part – on ne le saura que plus tard –, ils tournent sur un cercle morne aux abords de quelque chose, rien de faramineusement américain, pas d’horizon fulgurant, pas d’horizon profilé vers quoi s’engouffrer dans l’oubli, pas de grand trip catatonique, riders on the storm / riders on the storm, pas de jointure incandescente du rêve, ils tournent en silence, lui, accroché au volant, raide, mécontent comme un père de famille ruiné qui médite un projet d’immolation collective à la prochaine aire de repos, elle, assise comme ma mère l’était aux côtés de mon père, droite et basse, aux aguets, se retenant de respirer dans l’attente du meurtre.

Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 52.

Cécile Carret, 16 mars 2012
elle

Elle se serra encore contre moi. Son corsage bâillait de plus en plus. Elle risque un geste précis.

– Non, dis-je.

– Pourquoi, puisque je te plais !

Elle eut un sourire moqueur, satisfait, avec, sur le visage, l’expression de cet orgueil rassuré, heureux, comblé, remplaçant l’alarme, que toute femme, vierge, épouse ou putain, ressent, recherche sans jamais s’en lasser, sans jamais s’en rassasier, jamais blasée, jamais indifférente chaque fois qu’elle peut constater, vérifier ce pouvoir millénaire et sacré qui lui a été donné en prime sur l’homme pour la venger de ses autres faiblesses, de ses autres défaites et humiliations.

Claude Simon, Le sacre du printemps, Calmann-Lévy, p. 122.

Cécile Carret, 17 juin 2012
muet

Au fait, est-ce que tu as vu hier à la télévision le reportage sur les personnes seules ?

La femme : « Je ne me souviens que du moment où l’interviewer a dit à quelqu’un : “Racontez donc une histoire de solitude !” et l’autre est resté muet. »

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 40.

Cécile Carret, 26 juin 2013
bénignité

Un soleil plus oblique, un peu pâli, mais plein de bénignité, dore sans plus les chauffer les petites avenues presque vides ; un sentiment restitué et presque cristallin de l’espace, dès qu’on sort, emplit les poumons : on dirait que chacun se déplace moins vite et avec moins de bruit, comme s’il marchait sur la pointe des pieds, dans les rues alenties de ce village de nouveau au bois dormant. La population a brusquement vieilli en même temps que la saison : plus de cris d’enfants, mais çà et là des femmes aux cheveux blancs, figées comme des statues et jusque là invisibles, que le reflux découvre et qui prennent le soleil, enveloppées de couvertures, sur les perrons et les balcons. Tout semble, maisons et gens, flotter désoccupé dans l’espace agrandi, avec cette allure engourdie et absente des groupes attardés qui regardent un coucher de soleil.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, p. 185.

David Farreny, 19 oct. 2014

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