bornes

Ainsi sait faire la mescaline (si toutefois vous ne lui êtes pas obtus et résistant) vous projetant loin du fini, qui partout se découd, se montre pour ce qu’il est : une oasis créée autour de votre corps et de son monde, à force de travail, de volonté, de santé, de volupté, une hernie de l’infini.

La mescaline refuse l’apaisement du fini que l’homme savant en l’art des bornes sait si bien trouver.

La mescaline, son mouvement tout de suite hors des bornes.

Infinivertie, elle détranquillise.

Et c’est atroce.

Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 813.

David Farreny, 21 déc. 2003
identité

La démagogie s’introduit quand, faute de commune mesure, le principe d’égalité s’abâtardit en principe d’identité.

Antoine de Saint-Exupéry, Pilote de guerre.

David Farreny, 8 sept. 2006
duperie

Une jeune femme s’était assise en face de lui à la dernière gare ; à genoux sur elle, son enfant lui avait pris délicatement les joues entre ses petits doigts et les tirait en riant. C’est alors que la duperie avait été commise : lorsque sa mère lui avait fait croire (comme cette mère le faisait croire en cet instant à son enfant) que la vie coulait à sa portée, qu’elle était bonne, mais qu’on pouvait attendre, qu’il serait toujours temps de la saisir. Chacun de ses regards caressants le confirmait : quelque chose viendrait, qui serait enfin « la vie » ; mais lorsqu’on se retrouvait un jour sans le soutien de ces genoux familiers, il n’y avait plus rien, que le pur passage du temps, qu’une attente étale, décolorée, marquée des seuls signes de son écoulement ; un lent retour au rien. La chose lumineuse et pleine dont sa vérité aurait eu besoin pour se reconnaître et s’accomplir n’avait pas eu lieu. Et en fin de compte il avait eu sa part : l’amour d’une femme, des enfants, un travail qui ne l’ennuyait pas.

Danièle Sallenave, Un printemps froid, P.O.L., p. 168.

Élisabeth Mazeron, 26 fév. 2007
alors

Je me tiens toujours à l’orée

des tournants définitifs

je suis insoucieux du large

et des étoiles des séismes et des holocaustes

j’affronte mon corps en combat singulier

pour des questions de préséance

je ne touche pas aux longues chevelures

je dis « je » pour faire l’Homme

je suis informe alors comme tout le monde

je m’habille.

Jean-Pierre Georges, Où être bien, Le Dé bleu, p. 90.

David Farreny, 11 juin 2008
inconnus

Nous habitions place du Marché, dans une de ces maisons sombres, aux façades vives et aveugles, qu’il est impossible d’identifier.

C’était la cause d’erreurs continuelles. Car une fois qu’on se trompait de seuil, qu’on prenait par mégarde un autre escalier, on pénétrait dans un labyrinthe de logements inconnus, de vérandas, de courettes inattendues, qui vous faisait oublier peu à peu votre dessein initial et ce n’est qu’au bout de plusieurs jours, après d’étranges et tortueuses aventures, que l’on se rappelait avec remords, à l’aube grise, la maison paternelle.

Bruno Schulz, « La visitation », Les boutiques de canelle, Denoël, p. 49.

Cécile Carret, 5 déc. 2009
cristal

Alors qu’on voit sur Mercure, sur Vénus, des nuages, des vicissitudes atmosphériques vivantes, la Lune est dépourvue de nuages, de mers, de fleuves, et, pourtant, des nappes d’eau, des filons d’argent se laissent très bien reconnaître en elle. On voit fréquemment sur la Lune des points lumineux passagers, que l’on tient pour des éruptions volcaniques ; il faut assurément pour cela une sorte d’air, mais qui soit une atmosphère sans eau. Heim, le frère du médecin, s’est efforcé de montrer que, si l’on se représente la Terre d’avant les révolutions géologiques prouvables, elle a la figure de la Lune. La Lune est le cristal sans eau qui cherche, en quelque sorte, à s’intégrer à notre mer, à étancher la soif de sa rigidité, et, pour cette raison, provoque flux et reflux. La mer s’élève, elle est sur le point de s’enfuir vers la Lune, et la Lune est sur le point de l’attirer à elle.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 403.

David Farreny, 28 fév. 2011
accomplies

Orage violent cette nuit. Sommeil coupé par les coups de tonnerre et les éclairs. La pluie reprend avec force ce matin. De ma fenêtre, je regarde tomber les larges gouttes qui forment un rideau légèrement argenté entre les arbres et mon regard. Quelque chose de secret m’enchante qui remonte de l’enfance. La peur, la chaleur, la colère de l’orage, qui se fondent en pluie, qui se délivrent et engendrent la fraîcheur et la joie que l’on sent monter de la terre et des plantes assoiffées. La pluie est plus fine, les gouttes en tombant dans les flaques dessinent des cercles parfaits qui s’élargissent un instant et s’effacent aussitôt. Malgré les erreurs, les ratés qui encombrent notre conscience ou gisent oubliés dans l’inconscient, il se peut que nous ne puissions nous empêcher de tracer avec nos vies des formes accomplies. Que ce qui est dans notre esprit, fureur vaine, orgueil, médiocrité, déréliction, soit dans une perspective plus vaste aussi parfait qu’une goutte de pluie ou une feuille sur un arbre et ne puisse être autrement.

Nos richesses viennent d’une enfance qui demeure inaccessible ou d’imprévisibles rencontres.

Henry Bauchau, Jour après jour. Journal d’« Œdipe sur la route » (1983-1989), Actes Sud, p. 52.

Bilitis Farreny, 26 août 2011
remontés

D’ailleurs à Java : partout ces grands coqs dégingandés qui courent entre les jambes, les charrettes, comme des jouets trop remontés avec leur plumage superbe.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 125.

Cécile Carret, 28 juin 2012
triomphe

L’Arc révèle le vide de tout Triomphe.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 195.

David Farreny, 2 avr. 2013
idée

Toute idée féconde tourne en pseudo-idée, dégénère en croyance. Il n’est guère qu’une idée stérile qui conserve son statut d’idée.

Emil Cioran, « Le mauvais démiurge », Œuvres, Gallimard, p. 711.

David Farreny, 28 fév. 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer