treuil

Il avait toujours rêvé de n’être relié au monde que par un regard immobile et tenu, comme un filet d’eau qui ne tombe pas, ne se divise pas, mais renouvelle son équilibre et son silence. On ne le sut qu’après : son regard était un câble enroulé au treuil du fond des vases.

Michel Besnier, Un lièvre en son gîte, Folle Avoine, p. 75.

David Farreny, 24 mars 2002
ennuyer

Il m’ennuyait et ne se faisait pas d’illusion à ce sujet ; exhalant tout le fatalisme d’un homme qui ne peut pas ne pas ennuyer, il se tenait au pied du mur et tout cela était stérile au possible, vain. Il insistait : « Rappelle-toi », mais je savais qu’il insistait par ennui, ce qui m’ennuyait.

Witold Gombrowicz, Cosmos, Denoël, p. 69.

David Farreny, 15 fév. 2004
restaurer

La vie est ainsi faite que, pour la supporter, il faut de temps en temps la déposer, reprendre un peu haleine, et comme se restaurer d’un léger avant-goût de la mort.

Giacomo Leopardi, « Cantique du coq sauvage », Petites œuvres morales, Allia, p. 177.

David Farreny, 9 nov. 2005
tenait

Le feu que cette vision fit circuler dans mes veines aurait dû m’arracher un cri. Rien ne pouvait égaler la mise à nu de ce visage où soudain avaient bondi comme ses autres lèvres, les fraises de ses seins. Son regard glorieux était planté dans le mien, je le saisissais et elle rougissait interminablement. L’arrogance et la honte se la disputaient, comme un morceau de viande deux chiens de même force ; et comme ce morceau de viande, elle tenait. Les enfants étaient sur nous : allait-elle relever là ses jupes et me montrer le reste, devant eux ? Elle en avait l’ivresse.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
carabes

Quant aux insectes, leurs formes, couleurs, contact, mouvements sont ceux de petits jouets très perfectionnés, amoureusement peints, de menus automates. Lorsqu’on les tire, l’hiver, des troncs d’arbres abattus, plus ou moins vermoulus où ils ont cherché refuge, ils sont engourdis au point de rester sans mouvement lorsque la lumière, subitement, les atteint. On n’a pas tant l’impression de traquer des êtres vivants, des carabes, surtout, que de voler des gemmes, des pièces d’or dans les coffres fracturés du bois.

Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 39.

Cécile Carret, 14 avr. 2010
angoisse

Les crises d’angoisse deviennent plus profondes. Les crises d’angoisse deviennent plus graves. Les crises d’angoisse deviennent plus absolues. C’est longer des murs. C’est se heurter à un trou. C’est dériver sans comprendre dans la nuit de la ville et la nuit qu’à soi-même on est. Tout vaudrait mieux que reprendre. Tout vaudrait mieux que continuer. Tout vaudrait mieux qu’affronter. Les crises d’angoisse deviennent permanentes. On les tient vaguement à distance, comme du bras quelqu’un qui vous sollicite, comme d’un détournement quelqu’un qui mendie, comme la porte fermée à quelqu’un qui veut absolument tout vous dire et vous expliquer, pourvu que cela le concerne lui et seulement lui. Les crises d’angoisse sont solitaires. Les crises d’angoisse sont secrètes. Les crises d’angoisse sont tournantes : sur soi-même on tourne, en soi-même on tourne. Les crises d’angoisse sont la boule du dedans devenue la boule complète du tout : et tournent sur les parois le décor des villes, et le souvenir des appartements, et le gros plan déformé des visages, et la rémanence des voix. Et tournent sur les parois du dedans la découpe des toits, la perspective des rues : on est, au milieu de tout cela, immobile et crispée, cette silhouette effrayée, accroupie sur elle-même et serrant ses genoux et son front dans ses bras, prête à l’immense chute : on le pense avec sérieux, considération, opiniâtreté, qu’arrêter est la seule solution maintenant irréversiblement à vous laissée. On voudrait, du fond de la crise d’angoisse, n’être pas ce vous. On a compris que si la crise d’angoisse s’allégeait avant qu’on soit définitivement ce vous, on aura une chance d’attendre ici la suivante, même plus forte, même plus terrible. On a juste appris, dans ses os, ses genoux, son front, qu’il ne s’agit que d’une possibilité d’ordre statistique : on trouve même en cela part discrète de résistance, consolation, abandon. La crise d’angoisse est votre définition.

François Bon, « Angst », Formes d'une guerre.

David Farreny, 19 fév. 2013
patata

À la télé, un documentaire animalier : des cygnes glissent sur un lac scandinave. Lubin n’écoute pas mais, s’il prêtait attention, il se rendrait compte que, loin d’être un programme animalier, l’émission est un cours de philosophie sur les erreurs logiques. « Par exemple, explique une philosophe danoise dont la coiffure rappelle celle de Marge Simpson, observant tous ces cygnes blancs, le cerveau s’enclenchera et commencera à induire la règle générale : Tout cygne est blanc ; or soudain arrive un cygne noir, ça alors, on comprend que notre jugement est faillible, et patati et patata », c’est bizarre, la voix rappelle aussi Marge Simpson. Lubin va baisser le son et ne garde que les images où les animaux évoluent silencieusement comme des fantômes flottants ; après les cygnes, on voit des dindes qui, nourries par des agriculteurs, en déduisent que l’humanité est constituée de sympathiques dames de la cantine, à nouveau erreur […].

Emmanuelle Pyreire, Foire internationale, Les Petits Matins, p. 35.

Cécile Carret, 13 avr. 2013
plein

AGATHE – Mais y en a plein qui sont jamais nés !

MOI – Qui ? Quoi… ?

AGATHE – Des gens.

Éric Chevillard, « mercredi 19 mars », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 19 mars 2014
offre

Pourquoi avons-nous tant besoin, régulièrement, de voir la mer, si ce n’est parce qu’elle est à la fois changeante incessamment et cependant toujours même, et qu’elle nous offre ainsi – seule à le faire – le repos sans l’ennui ?

Éric Chevillard, « mercredi 12 février 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
malgré

Malgré tout, les cages fournissent, à peu près, un rayon de soleil par barreau.

Baldomero Fernández Moreno, « Air aphoristique », Le papillon et la poutre.

David Farreny, 7 juil. 2015
assaut

L’engagement n’est rien, l’assaut, quotidien, solitaire contre les normes changeantes de toute société est tout.

Philippe Louche, « 18 mai 2020 », Rien (ou presque). 🔗

David Farreny, 26 fév. 2024

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