nombre

Le petit nombre doit l’emporter subversivement sur la subversion elle-même et sur tous ses dispositifs de misère, de honte et d’inutilité.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 56.

David Farreny, 1er janv. 2006
forme

Pourquoi des conversations ? Pourquoi tant d’échanges de paroles des heures durant ? On revient s’appuyer sur un environnement proche et avec des proches s’entretenir de proches, afin d’oublier l’Univers, le trop éloignant Univers, comme aussi le trop gênant intérieur, pelote inextricable de l’intime qui n’a pas de forme.

Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1068.

David Farreny, 7 août 2006
allégeance

— Tu ne dépends pas de moi.

— Et à qui donc est due mon allégeance ?

— À ce que tu aimes le plus. Mais tu ne sais pas encore ce que tu aimes le plus. Et ce n’est pas moi qui peux te le dire. Je sais ce que tu n’aimes pas, voilà tout. Tu n’aimes pas le Monde.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 271.

David Farreny, 24 avr. 2007
journée

La pluie, qui amincit le jour, n’est pas soumise à un horaire administratif. Bien avant l’aube, elle crible un rêve inexplicable où la chair de l’autre est comme sa propre chair. Une fusion jusqu’alors inconnue.

Les premiers gestes de vivre resteront baignés de cet impossible ; oripeaux jetés pêle-mêle sur le vif ; yeux, front, vitre, ciel, tout collés les uns aux autres, journée qui s’amorce qu’une bête déclinerait.

Jean-Pierre Georges, « Rideau », Trois peupliers d’Italie, Tarabuste, p. 60.

David Farreny, 31 mars 2008
méditer

Il faut de moins en moins écrire et bientôt ne plus écrire du tout. L’écriture est contraire à la méditation. Ta paresse à méditer s’appuie sur ce que tu comptes te délivrer à demi en écrivant.

Pierre Drieu La Rochelle, « Journal 1944-1945 : 8 janvier », Récit secret. Journal 1944-1945. Exorde, Gallimard, p. 74.

Élisabeth Mazeron, 20 juin 2009
saisie

S’en tenir à ce qui est. Pas vraiment. S’en tenir, en écrivant, à la saisie la plus brute de ce qui est. Saisie miroitante. Ce qui est me contient. Il n’y a pas de réel éternel au-delà de ce transitoire pur que l’on voudrait parfois percer comme une croûte. Mais le ciel n’est pas une toile bleue ou grise, tendue, cachant on ne sait quelles coulisses.

Je suis ce qui est, et rien d’autre. Par contre, dans ce que je suis, il y a plusieurs mondes ou étages, comme on voudra la métaphore. Un homme est feuilleté ; il fait un tout parce qu’il faut, parce qu’il doit se simplifier, parce qu’on ne peut traiter avec une infinie agitation.

Le feuilleté ou l’immeuble sont encore des images trop approximatives, statiques. Je suis une incessante circulation dans « moi », somme virtuelle qui n’a pas plus d’existence que le réel en soi.

Quelle écriture, dès lors ? De poème en poème, poser des touches ; chacune d’entre elles vaut par elle-même et dans son rapport aux autres ; l’ensemble fera sens, souhaitons-le, à la fois mouvant et fermé, comme un mobile de Calder. Écrire est un mouvement perpétuel, pas éternel : vouloir fixer le tout est un leurre. L’instant aussi, une immobilisation, une photo plus ou moins floue, qui vaut mieux que rien. Mais cela n’arrête ni le mouvement de vivre, ni celui d’écrire ; c’est fixer du mort dès que fixer. En ce sens, l’entreprise démesurée de franchissement chez Reverdy ou du Bouchet est un sublime échec. La poésie ne peut pas dire l’en-soi ; elle est d’abord reconstruction langagière mais si elle s’en rend compte et le revendique radicalement (Ponge), elle se vide encore plus de matière pour tenter d’exister sur sa langue de terre.

En prendre acte. Il n’existe rien d’autre que des hommes qui se débattent.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 40.

Cécile Carret, 4 mars 2010
achever

Ainsi j’ai tenu. C’est pourquoi la fin de Primo Levi me peine et m’agace – oui, le mot peut surprendre, il est sincère. L’idée que cet homme a survécu à la déportation, qu’il a écrit au moins un grand livre, Si c’est un homme, sans oublier La Trêve et Le Système périodique, et qu’il se jette dans l’escalier cinquante ans après… C’est comme si les bourreaux avaient réussi, malgré l’amour et malgré les livres. Leur main a traversé le temps pour achever la destruction, qui ne cesse pas. La fin de Primo Levi m’effraie.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 35.

Cécile Carret, 2 fév. 2012
ineptie

L’ineptie des visages peu mûrs, la misère des faces vieillies : ne passe-t-on l’essentiel de l’existence qu’à ajouter un prologue, puis un épilogue à soi-même ?

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 230.

David Farreny, 2 avr. 2013
mensonge

Passé le Torne-Träsk, on entre en Laponie norvégienne. Le chemin de fer, qui traversait des eaux dormantes et un désert pierreux, s’engage brusquement sur la paroi d’un fjord. En bas, tout en bas, au-dessus de la vague glauque, des hameaux s’accrochent à la montagne verdoyante. Le paysage est grand, abrupt, touché çà et là de douceur humaine, et, jusque dans sa raideur, d’une jeunesse impétueuse. On débouche sur le port de Narwick, petite ville que la Norvège vient de jeter là comme un appeau brillant aux minerais de la Suède, et on s’embarque pour les îles Lofoten.

Elles nous apparurent dans la nuit. Nous vîmes se dresser, barrant l’horizon, une chaîne ininterrompue de hautes montagnes crénelées, effilées, déchiquetées, sculptées, gothiques. Elles étaient d’un gris bleu avec des lueurs de soleil ou de neige et de petits nuages ourlés de feu entre leurs dents aiguës. Tout l’archipel se mirait sur une mer d’un vert de métal, comme s’il eût été suspendu dans une clarté diaphane. Le navire se glissa par d’énormes brèches, longea des corridors, doubla des murailles de granit, nous promena toute la nuit dans un aquarium de pierre, d’écume, de mousses luisantes et d’algues d’or. Nous nous aperçûmes que le jour naissait aux plis d’ombre qui se creusaient sur les rochers. L’inégalité de la lumière nous avertissait que la nuit était passée. L’obscurité commençait à rétrécir les couloirs ; mais les crêtes et les rampes où frappait le soleil revêtaient le mensonge brillant de la vie.

André Bellessort, La Suède, Perrin.

David Farreny, 13 janv. 2015
plus

La société est souvent injuste, mais pas comme les vaniteux l’imaginent.

Il y a toujours plus de maîtres qui ne méritent pas leur place que de serviteurs qui ne méritent pas la leur.

Nicolás Gómez Dávila, Scolies à un texte implicite, p. 256.

David Farreny, 26 mai 2015
système

Le Français est capricieux ou fanatique, il juge par lubie ou par système ; cependant le système même prend chez lui les apparences d’une lubie.

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 920.

David Farreny, 1er mars 2024

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