aide-comptable

… et de la hauteur majestueuse de tous mes rêves — me voici aide-comptable en la ville de Lisbonne.

Fernando Pessoa, « Autobiographie sans événements », Le livre de l’intranquillité (édition intégrale), Christian Bourgois, p. 42.

Guillaume Colnot, 16 mai 2002
solitude

Je crois profondément que la civilisation a été inventée pour rendre possible la solitude.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 327.

David Farreny, 19 mai 2002
émotion

De temps en temps un de nous, adjudant, sergent, soldat, pris d’une émotion timide, à la lecture d’une lettre ou à l’apparition d’un souvenir, se met à parler de ses amis, de son passé, de sa vie civile. Ça tombe dans un silence sépulcral. Les autres écrivent, regardent par la fenêtre, s’en foutent éperdument. La voix du type semble maigrelette. Elle finit par s’éteindre de consomption et le type reste interdit, muet, un vague sourire gêné aux lèvres. Puis il se détourne et se remet au travail.

Jean-Paul Sartre, « lundi 13 novembre 1939 », Carnets de la drôle de guerre, Gallimard, p. 185.

David Farreny, 26 déc. 2006
éclat

Je sais comment clore le neuvième chapitre et crois pouvoir prolonger l’ultime entretien avec le grand-père. C’est oublier que toute conversation de salon, comme hors du temps, se fige et tourne au plat morceau didactique. C’est le cours impétueux des choses, la hâte, les périls qui impriment aux mots qu’on échange leur relief et leurs résonances, l’écho, l’éclat dont ils se chargent soudain. J’en prends la mesure à mes dépens. Je pensais fouler d’un pied léger le terrain reconnu d’avance et chemine pesamment.

Pierre Bergounioux, « dimanche 11 novembre 1984 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 354.

Élisabeth Mazeron, 12 nov. 2008
certaine

Tous les jours il faudrait évoquer — par écrit, peut-être —, afin d’oublier aussi peu que possible, afin d’habiter la terre avec toute l’acuité dont nous sommes capable, afin d’adhérer autant que faire se peut à notre histoire et bien sûr à notre géographie, un lieu du monde, pas nécessairement d’une beauté particulière, mais qui, pour une raison ou pour une autre, et souvent sans raison que nous soyons à même de démêler, s’obstine en nous, revient dans nos rêves, hante nos demi-sommeils et nos songeries involontaires. Qu’il soit aujourd’hui certaine ferme haute, entre Hermitage Castle et le hameau de Burnfoot, près de Tudhope Hill, à l’est de la route qui mène de Langholm à Hawick, dans les Cheviots, aux confins de l’ancien Roxburghshire et du Dumfriesshire (aujourd’hui des Borders et du comté de Dumfries & Galloway).

Renaud Camus, « samedi 6 août 2005 », Le royaume de Sobrarbe. Journal 2005, Fayard, p. 414.

David Farreny, 20 janv. 2009
travaillant

Hier soir, pour finir l’année, la Spanische Reitschule de Vienne. En harnachement, tapis de selle brodés, Saumur n’en approche pas. Tout mon passé de cavalier réapparaît : de l’École, j’ai appris le buste droit, les coudes au corps, la main immobile sur le garrot ; mais je n’ai jamais su jouer des reins comme ces écuyers, les doigts travaillant la rêne, comme les flûtistes des trous de leur instrument. La beauté de marbre blanc des lippizans, leur œil intelligent et confiant, ce sang oriental, où on sent le Turc, si près de Vienne aux XVIIe et XVIIIe, me touche, c’est le cas de le dire, aux larmes. Je pleure comme un veau, sur ma vie de cavalier défunte ; je retrouve les appuyers, le plaisir de sentir le cheval bien passer sa jambe sur l’autre, se pencher, couler dès qu’on ouvre l’écluse, dès qu’on cesse de le maintenir sous la pression de la botte. […]

Je me suis endormi, hier soir, brisé par le chagrin, l’amour du cheval (si souvent dans mes rêves), le regret de ma déchéance, ridicule réaction, pour une vraie douleur, c’est trop.

Paul Morand, « 1er janvier 1973 », Journal inutile (2), Gallimard, pp. 9-10.

David Farreny, 7 août 2010
disposé

Confiné dans cette pure attente d’un destin que je ferais mien, j’étais mieux que quiconque disposé à ressentir ce manque qui n’expliquait pas seulement ma faillite personnelle mais celle de toute l’expérience humaine vouée à l’échec ou à la catastrophe. Les autres hommes ne pouvaient l’éprouver si vivement, pris au piège d’une vie bornée, leurs espoirs se limitaient à la réalisation d’objectifs à court terme inscrits dans la logique des menus gestes près du corps dont ils faisaient naïvement dépendre leur bonheur.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 122.

Cécile Carret, 18 fév. 2011
prise

Prise : chêne de 4 000 à 8 000 francs le stère. Le plus coûteux, celui qui se prête au déroulage (une bille sans nœuds qu’on fait tourner et qu’on pèle comme une patate, contenant des mètres et des mètres de placage).

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 61.

Cécile Carret, 18 juin 2012
fermoirs

Mais voici l’étincellement de l’éclaircie et du plein soleil sur toutes les flaques, sur toute l’étendue scintillante de pierres et de tuiles imbriquées : voici le vent qui reconquiert son rocher, ridant la surface de l’eau stagnante et séchant dalles, murs et arêtes, réduisant cette roche à un os poli.

Mais l’eau de l’Arno est tenue en respect. Bien qu’assagi par les méandres en amont, le fleuve torrentiel ne cesse d’être une nature sauvage et nue. Le rapport profond que la ville entretient avec lui renvoie toujours à cette domination. Le fleuve est accueilli entre les murailles et au milieu des maisons en sa qualité de fleuve, force bénéfique et insidieuse avec laquelle il est interdit de s’abandonner aux faiblesses. Ni artifices ni flatteries. Après les divagations ombrageuses et les riantes stagnations de Rovezzano, Varlungo et Bellariva, l’Arno est emprisonné par les hautes murailles et, tout en progressant vers le cœur de la ville, resserré dans sa fosse de pierre, enjambé par des ponts bien plus semblables à de puissants fermoirs pour le sertir qu’à des routes pour le franchir.

Mario Luzi, « Paragraphes florentins », Trames, Verdier, pp. 53-54.

David Farreny, 26 fév. 2013
divisant

Quand nous arrivâmes au sommet de l’Egger-Berg, le soleil se couchait dans une vapeur grisâtre et légère. Les montagnes du fond étaient sombres, l’aspect du pays calme, la mer immobile. Cette grande étendue était muette, aucun mouvement dans le port, on voyait seulement une petite barque rentrer à l’approche de la nuit.

Ce point de vue est un des plus beaux de l’univers.

Regardez-vous du côté de la mer ? les formes arrondies de la plage, la mollesse des contours, les longs promontoires, doucement abaissés, permettraient de penser à Naples, si un autre soleil les éclairait. Il faut avouer que c’est une chose étrange et belle à voir, que le golfe de Baia baignant les montagnes du canton d’Uri.

En général, on se plaint de n’avoir pas une idée vraie de l’immensité de la mer, parce que rien n’offre à l’œil un point de comparaison pour mesurer son étendue ; mais ici cette foule d’accidents que produisent les anfractuosités du golfe, les pointes, les langues de terre, les récifs dont il est semé, rendent l’immensité sensible et l’agrandissent en la divisant.

Jean-Jacques Ampère, Littératures et voyages. Esquisses du Nord, Didier.

David Farreny, 21 avr. 2013
impossible

Mes chers, je n’ai pas besoin du veilleur de nuit, n’en suis-je pas un moi-même quant à la somnolence, aux déambulations nocturnes et au tempérament frileux ? Vous chauffez-vous convenablement au soleil ? Cherchez-moi s’il vous plaît pour l’été ou l’automne un endroit où on vit à la mode végétarienne, où on est continuellement bien portant, où même seul on ne se sent pas abandonné, où même une bûche comprend l’italien, etc., bref, un bel endroit impossible. Adieu. On pense beaucoup à vous.

Franz Kafka, « lettre à Elsa et Max Brod (4 février 1913) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 706.

David Farreny, 1er mai 2014
après-demain

Je ne sais pas ce que me réserve demain ; mais pour après-demain, il n’y a vraiment aucun suspense.

Éric Chevillard, « lundi 23 mai 2022 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024

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