équilibre

La contemplation d’un chou rouge coupé en deux lui procura un réconfort : replis blancs et violets, mystérieuse géographie, secrets de cervelle. Il s’arrêtait ainsi devant les structures végétales, minérales, animales, dont la luxuriance baroque semblait résumer la complexité de l’existence. Alors, il ne pensait pas, ne devenait nullement plus lucide, mais il se sentait en équilibre avec ce qu’il contemplait.

Michel Besnier, Le bateau de mariage, Seuil, p. 73.

David Farreny, 13 avr. 2002
publiés

Les Anciens pourraient dire à raison que leurs poèmes, simplement chantés, étaient publiés, tandis que nos livres, imprimés, restent toujours inédits.

Giacomo Leopardi, Zibaldone, Le Temps Qu’il Fait.

David Farreny, 4 nov. 2002
indétermination

La philosophie se meut dans un air raréfié, un peu trop loin du sol exigu, détaillé de nos existences. L’histoire parcourt à trop longues enjambées les plaines de la durée. Nos gestes, nos affections, nos pensées, trop insignifiants, fugaces, se diluent. D’ailleurs, c’est des morts qu’elle parle et nous respirons encore. Il s’agissait de trouver une voie médiane entre les mots approximatifs de chaque jour et l’explication générale, abstraite, où se perdent la couleur et le goût des instants, la temporalité courte, chargée d’affects, scandée d’événements petits, mais pour nous très grands, décisifs, qui sont la vie même. La littérature, dans son indétermination essentielle, semblait être le chemin. Je l’ai emprunté.

Pierre Bergounioux, Écrire, pourquoi ?, Argol, p. 16.

David Farreny, 2 juil. 2006
forme

Pourquoi des conversations ? Pourquoi tant d’échanges de paroles des heures durant ? On revient s’appuyer sur un environnement proche et avec des proches s’entretenir de proches, afin d’oublier l’Univers, le trop éloignant Univers, comme aussi le trop gênant intérieur, pelote inextricable de l’intime qui n’a pas de forme.

Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1068.

David Farreny, 7 août 2006
salut

Son corps lui parut déplaisant, inutile, étranger, et il comprit qu’il n’y aurait pas de salut tant que s’interposerait entre lui et le monde cette masse de chair incommode, aussi longtemps qu’il resterait soumis à ses bizarreries, à ses humeurs. Entre le monde et lui, son corps importun se dressait, et il se sentait comme séparé de la lumière par le couvert d’un grand arbre.

Danièle Sallenave, Un printemps froid, P.O.L., p. 64.

Élisabeth Mazeron, 26 fév. 2007
cinquantaine

Quand on pense à la cinquantaine qui guette les premiers hippies, le cœur se serre.

Paul Morand, « 16 octobre 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 635.

David Farreny, 23 sept. 2010
suffit

Le dimanche, tout beau dimanche d’hiver qu’il soit, n’est pas le meilleur jour, bien sûr, pour dépasser Pitti et monter vers le ciel, du côté de San Miniato. Mais j’étais de si bonne humeur que la foule même, pourtant familiale et hinarce au possible, trouvait grâce à mes yeux. J’avais tiré trois coups la nuit d’avant, plutôt gentils chacun. Je pouvais me passer pour un moment d’autres engouements de la chair. D’ailleurs, à peine redescendu parmi les bugnes, les tourelles d’angle et les fenêtres géminées, j’ai rencontré vers la place de la République un aimable Sicilien qui avait tenu la veille, dans une scène d’orgie douce au Crisco, un rôle non négligeable. Nous avons marché côte à côte, parlant d’Agrigente et de Strasbourg, de part et d’autre de l’Arno. Il ne voulait pas me croire : mais jamais Rome n’offrirait rien de pareil, ces faciles accords, cette camaraderie sans empois, ces sourires qui volettent dans la foule, cette reconnaissance de la peau, ces légères accordailles des regards. Tout cela, dit-il, est illusoire. Sans doute. Mais l’illusion suffit au voyageur, quand elle dure autant que lui. Je ne fais que passer.

Renaud Camus, « lundi 26 janvier 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., pp. 29-30.

David Farreny, 9 oct. 2010
tiens

Tiens, un ragondin !

Mammifère rongeur originaire d’Amérique du Sud, le ragondin peut atteindre 64 centimètres, mais celui-ci est un peu plus petit, aux incisives orange. Il se nourrit essentiellement de plantes d’eau douce. Sa fourrure interne imite celle du castor, c’est un luxe dont il jouit secrètement, sans ostentation.

Un hiver rigoureux succède à l’automne pluvieux suivi à son tour d’un printemps ensoleillé puis d’un été torride, qui touche à sa fin, voici les premières pluies d’automne.

J’avais trouvé une parfaite définition du brouillard, je l’ai perdue.

Le vaillant petit tailleur sent venir la faim. Il fait halte devant un pommier et tend le bras pour cueillir un fruit. Mais lequel choisir ? Il hésite. Toutes ces pommes sont très réussies. Comment fait le ver ?

Le lendemain, c’est la soif qui le surprend. Il s’agenouille sur la berge d’un clair ruisseau. Mais à quel moment plonger ses mains en coupe dans cette eau courante ? quelle gorgée boire, et pourquoi celle-ci plutôt qu’une autre ?

Depuis combien de jours marche le vaillant petit tailleur, depuis combien de mois ? Sa ville n’est déjà plus qu’un point à l’horizon. Rue du Poids de l’huile, le chat aux trois couleurs furète dans les coins. Il doit chercher sa bille, pense le petit tailleur. Là-bas, sous la carriole du chiffonnier.

Il se croit perdu dans la forêt profonde. Il n’y a pourtant qu’un arbre dans la plaine. Mais il tourne autour interminablement.

La fatigue tombe d’un coup sur ses épaules. Le petit tailleur la couche sur un lit d’herbe, et se sauve sans faire de bruit.

Mais quand enfin il dénoue sa ceinture pour s’étendre plus à son aise, tout se fige et fait silence sur Terre et dans le ciel. Cette imperceptible vibration de lumière pourtant ? Ce sont les sept étoiles de la Grande Ourse qui tremblent : elles ont lu.

— Je dors sur mes deux oreilles sans parvenir à fermer l’œil, qui suis-je ?

— Le vaillant petit tailleur ?

— Mais non !

— L’auteur ?

— Mais non ! La lune !

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 50.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
moi

Tu me photographies, moi, ou n’importe qui d’autre, comment savoir ?

Tu me photographies – c’est mal me connaître.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 72.

Cécile Carret, 11 fév. 2014
contraire

Les hommes me prouvent le contraire.

Jean-Pierre Georges, « Jamais mieux (4) », «  Théodore Balmoral  » n° 74, printemps-été 2014, p. 72.

David Farreny, 8 juil. 2014
comprendre

Apprendre plein de choses (les coefficients stœchiométriques, la philosophie d’Alain Badiou) diminue d’abord l’angoisse (car on a l’impression de mieux comprendre le monde) puis l’augmente (car on réalise qu’on ne comprend rien, et peut-être pis encore, qu’il n’y a rien à comprendre).

Olivier Pivert, « Connaissance de Montcuq (et alentours) », Encyclopédie du Rien. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer