croupetons

On se met à croupetons et l’on a ainsi la sensation d’être chez soi.

Maurice Roche, Compact, Tristram, p. 107.

David Farreny, 20 mars 2002
nés-fatigués

Ma vie : Traîner un landau sous l’eau. Les nés-fatigués me comprendront.

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 455.

David Farreny, 22 juin 2002
biologique

J’évitais au monde des révolutions douloureuses et inutiles — puisque la racine de tout mal était biologique, et indépendante d’aucune transformation sociale imaginable ; j’établissais la clarté, j’interdisais l’action, j’éradiquais l’espérance ; mon bilan était mitigé.

Michel Houellebecq, La possibilité d’une île, Fayard, p. 159.

David Farreny, 21 sept. 2005
quoique

Mais, pour conclure sur le chant des oiseaux, j’ajouterai que le spectacle de la joie chez autrui, lorsqu’il n’y a pas lieu d’en être jaloux, nous réconforte et nous égaie toujours, et que par suite il faut louer la nature d’avoir pris soin que le chant des oiseaux, qui est une manifestation d’allégresse et une sorte de rire, fût chose publique ; contrairement au chant et au rire humains qui, eu égard au reste du monde, demeurent chose privée. Et c’est par une sage disposition de la nature que la terre et l’air sont remplis d’animaux qui, de leurs cris de joie sonores et incessants, applaudissent tout le jour à l’existence universelle et incitent à l’allégresse les autres créatures, en leur délivrant le témoignage perpétuel, quoique mensonger, de la félicité des choses.

Giacomo Leopardi, « Éloge des oiseaux », Petites œuvres morales, Allia, p. 171.

David Farreny, 9 nov. 2005
saturation

Va, tant qu’il est possible, jusqu’au bout de tes défaites, jusqu’à en être écœuré. Alors, la magie partie, les restes — il doit y en avoir — ne t’abîmeront plus. Voilà comment en sortir, si tu veux en sortir. Si tu y tiens vraiment. Saturation. Avant, tu ne peux rien de définitif, ni par la contemplation ni par la critique. Et après, quasiment plus de problème.

Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1068.

David Farreny, 7 août 2006
perception

Dès ce moment la grande affaire pour moi fut d’aimer et d’être aimé. Surtout d’être aimé. Je ne comprenais pas comment ce sentiment, qui me semblait à si vil prix dans mon enfance, était devenu si rare et si précieux. Je me répétais avec mélancolie la prophétie de Mme Lebrun : « À vingt ans toutes les femmes seront folles de lui. » J’espérais un peu qu’à vingt ans les choses changeraient. Mais, en attendant, le temps passait et je me pénétrais de plus en plus profondément du sentiment de ma laideur. En même temps, le rêve de discours séducteurs, dont on ne me donnait d’ailleurs pas l’occasion, se précisait et s’approfondissait. Il se serait agi de « présenter » le monde à une femme, de décortiquer pour elle les sens les plus enveloppés des paysages ou des instants, de lui donner une besogne toute mâchée, de me substituer partout à elle et toujours, à sa pensée, à sa perception et de lui présenter des objets déjà élaborés, déjà perçus, bref, de faire l’enchanteur, d’être toujours celui dont la présence fait que les arbres seront plus arbres, les maisons davantage maisons, que le monde existera soudain davantage. J’en étais alors bien incapable. Mais je note ce désir parce que c’était une fois de plus réaliser l’accord de l’art et de l’amour. Écrire, c’était saisir le sens des choses et le rendre au mieux. Et séduire, c’était la même chose, tout uniment. Et puis, je vois avec stupeur la profondeur d’impérialisme qu’il y avait là-dedans. Car enfin, qu’on y songe, il ne s’agissait rien moins que de percevoir à la place d’une femme, de penser à sa place, de lui voler ses pensées pour y substituer les miennes. Ainsi mes pensées, subies par une conscience enchantée, fussent devenues des enchantements à mes propres yeux, eussent acquis tout juste le relief et le recul nécessaires pour que je puisse m’en charmer.

Jean-Paul Sartre, « mercredi 28 février 1940 », Carnets de la drôle de guerre, Gallimard, p. 508.

David Farreny, 26 déc. 2006
possibles

Résumé de ma vie :

1) les Anglais sont les seuls étrangers possibles,

2) il y a encore des Anglais, mais plus d’Angleterre.

Ceci est le fruit de 70 ans d’expérience anglaise. Amen !

Paul Morand, « 15 mai 1972 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 711.

David Farreny, 5 juin 2009
incendie

toute cigarette finit au cendrier

toute marée se meurt sur la dent du rocher

tout spectacle s’éteint

dans le fracas des strapontins

et même ton souvenir qui s’arme dans cet écrit

finira lui aussi dans la chaleur de l’Incendie

William Cliff, « La Coruña », Marcher au charbon, Gallimard, p. 68.

David Farreny, 4 sept. 2009
pivot

Selon la traduction de l’Odyssée proposée par Victor Bérard, Homère évoque avec la même régularité « l’aurore aux doigts de rose » et les « vagues vineuses ». La qualification retenue pour la mer rappelle la couleur des vagues où le mauve se mêle au violacé, suivant l’inclinaison du plateau marin, et l’état du ciel. Également, l’enivrement que procure le battement obstiné de la mer contre les rivages, sans le déroulement honorable que serait l’engloutissement du globe. Pour peu que le vent se lève et que la mer devienne houleuse, celui qui navigue est saisi, parfois même jusqu’à en avoir un haut-le-cœur, par l’instabilité du pont ; il suffit même de contempler, depuis le haut d’une falaise, le flux et le reflux, pour percevoir dans son corps, jusqu’à la nausée, la fragilité du sol. Et dans sa conscience, la certitude affligeante que, de ce monde, la créature humaine n’est pas le pivot.

De toute sa hauteur, chacun mesure le sol.

Jean Roudaut, « Ce qu’il reste des livres », « Théodore Balmoral » n° 58, automne-hiver 2008, p. 202.

David Farreny, 10 nov. 2009
attentionné

Qu’est-ce que je fais là ? Si ces nobles artistes se sont donné beaucoup de mal pour que ces chapelles et ces églises soient belles, ce n’était pas afin qu’elles soient vues à la va-vite, comme ça, par des touristes pressés, qui viennent d’une autre basilique et vont courir vers un autre transept, un autre presbiterio, une autre sacrestia ; c’est pour que des gens qui venaient là tous les jours, ou toutes les semaines, y éprouvent un sentiment de beauté, de bien-être, de fierté, de vanité peut-être, de profond accord entre leur présence en de tels lieux et la dignité de leur foi, de l’art, de leur propre personne. Oui, ce morceau de frise romaine est magnifique, sur ces grosses colonnes de granit ; oui, ce monument funèbre de comment s’appelle-t-il, Michelangelo Senese, ne manque pas de majesté (glacée) ; oui, surtout, ces mosaïques de la calotte de l’abside sont d’une fraîcheur et d’une somptuosité rares. Oui, oui, oui. Mais ce sont des détails. Même cette immense composition de Cavallini est un détail. Or ils ne me disent pas grand-chose, si je suis sincère. Tout cela finit par s’annuler réciproquement. J’ai besoin d’air, de lumière, d’un peu de chaleur, d’amour probablement. Qu’est-ce que j’aime vraiment, à Rome, au fond, mis à part quelques tableaux ? Des lieux ouverts, où les ruines, les arbres et l’espace se mélangent : les jardins Farnèse, au sommet du Palatin ; le sommet du Capitole ; la petite maison précairement installée au sommet du marché de Trajan ; les jardins de la villa Doria-Pamphili ; des places, le Campidoglio, le Quirinal, Navone ; le torse du Belvédère, le Galate mourant, la Louve ; la villa Médicis, sa loggia, son bosco, ses allées de buis, ma maison, ma chambre ; ce que j’aime le plus, par un hasard attentionné, c’est ma chambre.

Renaud Camus, « jeudi 19 février 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., pp. 65-66.

David Farreny, 9 oct. 2010
personnage

Pendant deux ou trois heures, j’ai eu le sentiment d’être et de ne pas être celui auquel on s’adressait. Non seulement parce que je jouais un personnage, ce qui nous arrive à tous chaque jour et qui est mon sport favori depuis quelques temps, mais parce que je me disais, au moment même où je dégoisais mes mensonges à propos de mon déménagement, de mes projets d’avenir et de mes vacances prochaines dans ma famille, que je n’étais rien d’autre que ce personnage. Je mentais, c’est sûr, mais, derrière mes mensonges, il n’y avait rien.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 76.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
élastique

riant du guépard si véloce que son train arrière a du mal à le suivre et que son flanc élastique s’étire tant que, lorsqu’il s’arrête enfin, le corps distendu du félin mesure la longueur de sa course, puis son arrière-train l’assomme

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 21.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
axiome

La plongée dans La Ballade du café triste me rappelle un peu ces débuts d’histoire d’amour qui, quoique tout à fait banals, n’en gardent pas moins leur impact sidérant quand on les vit : premier regard échangé, intuition d’une attirance, énigme d’une reconnaissance muette. Il s’est passé exactement ça avec McCullers, notamment grâce à ce petit axiome qu’elle théorise dans le roman (et que j’attribuais jusqu’alors à Gainsbourg) : en amour, « il y a celui qui aime et celui qui est aimé, et ce sont deux univers différents ». The lover versus the beloved. Nous serons nombreux à tenter fébrilement, tout une vie durant, de contredire cette vérité pourtant maintes fois éprouvée.

Arnaud Cathrine, Nos vies romancées, Stock, p. 23.

Cécile Carret, 4 oct. 2011

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