meurt

Dans les galeries de ce terrier aérien, la bête insensée que nous sommes, meurt de s’unir à la bête future que nous enfermons, et que nous poursuivons, et que nous ajustons, dehors, aveuglément, avec une arme sans défaut qui ne peut abattre que nous.

Jacques Dupin, « L’embrasure », Le corps clairvoyant, Gallimard, p. 170.

David Farreny, 8 mai 2004
civilisation

Comble de la civilisation : mentir sans mentir.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 50.

David Farreny, 1er janv. 2006
attention

La mort de l’œuvre a pu naître de la belle intention d’en finir avec la barrière entre l’art et la vie (d’où les happenings, body art, land art, etc.). Mais pour être généreuse, l’intention n’en est pas moins naïve, bornée. Car l’art n’est pas la vie, qui, elle, est imperceptible a priori : l’art est un moyen de percevoir la vie. Il faut une délimitation, un cadre — une forme — pour que notre attention soit disponible à la vie, et c’est cette délimitation qu’opèrent, et nous aident à opérer, ces choses qu’on appelait « œuvres ».

Jean-Philippe Domecq, Artistes sans art ?, 10/18, p. 229.

David Farreny, 26 déc. 2006
salut

Son corps lui parut déplaisant, inutile, étranger, et il comprit qu’il n’y aurait pas de salut tant que s’interposerait entre lui et le monde cette masse de chair incommode, aussi longtemps qu’il resterait soumis à ses bizarreries, à ses humeurs. Entre le monde et lui, son corps importun se dressait, et il se sentait comme séparé de la lumière par le couvert d’un grand arbre.

Danièle Sallenave, Un printemps froid, P.O.L., p. 64.

Élisabeth Mazeron, 26 fév. 2007
temps

La question morale par excellence, on l’a souvent noté, c’est celle de l’emploi du temps.

Elle résume et elle implique toutes les autres. Ce qu’un individu décide de faire du temps qui lui est imparti sur la terre, de ses années, de sa journée, des heures de ses journées, et la façon dont il les répartit, le poids respectif qu’il choisit de donner, et qu’il donne effectivement, à telle ou telle activité, à tel ou tel ordre de labeur, de plaisir, d’exercice ou d’étude : pareils choix engagent la totalité de son sentiment des valeurs.

Encore faut-il, bien sûr, que le temps lui-même soit une valeur, pour celui qui le gère […]. Dis-moi à quoi tu passes ton temps, je te dirai ce que tu vaux — mais ce que tu vaux devant Dieu, ou devant les hommes, ou devant la sagesse, les siècles, la poésie, la conscience d’être ; non pas ce que tu vaux sur le marché du travail…

Et pourtant si, un peu, aussi.

Renaud Camus, Qu’il n’y a pas de problème de l’emploi, P.O.L., p. 48.

Cécile Carret, 27 mars 2007
empaillé

On descendait par trois marches à la salle commune ; elle était enduite de ce badigeon sang de bœuf qu’on appelait naguère rouge antique ; ça sentait le salpêtre ; quelques buveurs assis parlaient haut entre les silences, de coups de fusil et de pêche à la ligne ; ils bougeaient dans un peu de lumière qui leur faisait des ombres sur les murs ; vous leviez les yeux et au-dessus du comptoir un renard empaillé vous contemplait, sa tête aiguë violemment tournée vers vous mais son corps comme courant le long du mur, fuyant. La nuit, l’œil de la bête, les murs rouges, le parler rude de ces gens, ces propos archaïques, tout me transporta dans un passé indéfini qui ne me donna pas de plaisir, mais un vague effroi qui s’ajoutait à celui de devoir bientôt affronter des élèves : ce passé me parut mon avenir, ces pêcheurs louches des passeurs qui m’embarquaient sur le méchant rafiot de la vie adulte et qui au milieu de l’eau allaient me détrousser et me jeter par le fond, ricanant dans le noir, dans leur barbe sans âge et leur mauvais patois.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
confins

Mes oreilles bourdonnaient, je n’étais plus à moi. Il y a une longue ligne droite après la sortie du bourg, plus loin que les noyers, avant les bois, tout entourée de grands champs ; mon regard durement fouillait ces champs, se portait aux confins, remontait aux lisières, tous lieux où mille fois naissait Yvonne dans ses bas, blanche, les reins nus dans le froid, mordue, jetée hors du bois dans les sévices de l’hiver et de mon esprit.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
paquet

Le paquet de copies est là ; il me regarde, je le regarde, on se regarde. C’est un moment d’intense désir.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 50.

Cécile Carret, 4 mars 2010
forme

J’étais fatigué. Je ne répliquais rien, la lassitude m’empêchait de desserrer les lèvres. En dépit des démangeaisons qui m’accablaient atrocement, je ne remuais pas la masse de peau guenilleuse qui me recouvrait et que l’attraction lunaire faisait croître, je le sentais. Un éclair de chaleur zébra le ciel et, pendant une seconde, j’eus la folle certitude que les vieilles allaient redéclencher la fusillade et en finir, puis je me rendis compte qu’hélas il n’en serait rien. L’attente reprit. J’avais envie de répondre à Nayadja Aghatourane, de hurler à travers la nuit chaude que l’étrange est la forme que prend le beau quand le beau est sans espérance, mais je restais bouche close et j’attendais.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 96.

Cécile Carret, 11 sept. 2010
abstraits

Plaisirs de la chère et de la chair font des souvenirs très abstraits. La mémoire est une archiviste frugale et frigide.

Éric Chevillard, « lundi 7 octobre 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 2 mars 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer