D’abord il l’épie à travers les branches.
De loin il la humine, en saligoron, en nalais.
Elle : une blonde rêveuse un peu vatte.
Ça le soursouille, ça le salave,
Ça le prend partout, en bas, en haut, en han, en hahan.
Il pâtemine. Il n’en peut plus.
Donc, il s’approche en subcul,
l’arrape et, par violence et par terreur la renverse
sur les feuilles sales et froides de la forêt silencieuse.
Il la déjupe ; puis à l’aise il la troulache,
la ziliche, la bourbouse et l’arronvesse,
(lui gridote sa trilite, la dilèche).
Ivre d’immonde, fou de son corps doux,
il s’y envanule et majalecte.
Ahanant éperdu à gouille et à gnouille
— gonilles et vogonilles —
il la ranoule et l’embonchonne,
l’assalive, la bouzète, l’embrumanne et la goliphatte.
Enfin ! triomphant, il l’engangre !
Immense cuve d’un instant !
Forêt, femme, terre, ciel animal des grands fonds !
Il bourbiote béatement.
Elle se redresse hagarde. Sale rêve et pis qu’un rêve !
« Mais plus de peur, voyons, il est parti maintenant le vagabond…
et léger comme une plume, Madame. »
Henri Michaux, « Rencontre dans la forêt », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 416.
Un désordre fugace, inaudible, déjà évanoui tandis que seuls demeurent les épaulements de granit sous le ciel vide.
Pierre Bergounioux, Ce pas et le suivant, Gallimard, p. 118.
« Moi j’aime les gens », écrit-il par exemple. Ou pire encore : « J’ai un gros défaut, mais qu’est-ce que vous voulez je n’arrive pas à m’en débarrasser : c’est plus fort que moi, il faut toujours que j’aime les gens. »
Je ne sais trop, pour ma part, si j’aime beaucoup « les gens », mais ce sentiment-là et son expression me paraissent tellement obscènes que j’hésiterais à les consigner, de toute façon, quand bien même ce serait au plus intime de mon journal intime.
Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 40.
Tu viens de me rejoindre. Tu es là. Je t’aime. Tu m’apportes quelques beignets dans une assiette. Du cidre. On parle un peu. On a le temps aujourd’hui. Qui pourrait venir ? Et moi je n’ai pas à m’absenter…
Te regarder.
T’écouter.
C’est tout.
Tu vois : nous sommes pauvres.
Thierry Metz, Le journal d’un manœuvre, Gallimard, p. 107.
Ô jardins, même pas suspendus ! Quelque part
le voyageur s’égare dans une forêt d’hommes ;
il écoute dans le ventre des employés des postes
la chanson écrémée et simple des laitières.
Mais y a-t-il encore des voyageurs, des pas
dans le sable, des touristes dévorés par des squales,
des îles ovipares où pousse l’ancolie,
des bateaux échoués sur des lithographies ?
À travers le charbon, l’essence et le pétrole
voici que le visage de l’homme s’est noirci.
Voici qu’il penche sur ses outils de travail :
le rein, le foie et le poumon.
Benjamin Fondane, « Titanic », Le mal des fantômes, Verdier, p. 108.
Nombre de librairies, dans l’espoir de survivre à la crise, ouvrent un rayon papeterie, stratégie suicidaire, me semble-t-il, puisque tous ces carnets, ces cahiers et ces rames de feuilles leur reviendront bientôt sous la forme de livres invendables.
Éric Chevillard, « lundi 7 juillet 2014 », L’autofictif. 🔗
Religiosité contemporaine monstrueuse. Pourquoi ? Parce que plus personne, à moins d’être fou à lier, ne croit plus à la résurrection des corps ou à la vie éternelle. L’ennui, c’est que ce soit la seule croyance qui ait disparu. Tout le reste est intact, toute la religion est intacte. Or, c’était la seule croyance qui, parce qu’elle était réellement folle, justifiait la folie religieuse.
Philippe Muray, « 13 janvier 1991 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 409.