rationnelle

La sédentarité défiante, opiniâtre qu’on pratiquait était rationnelle.

Pierre Bergounioux, La puissance du souvenir dans l’écriture, Pleins Feux, p. 18.

David Farreny, 23 mars 2002
chose

L’efficacité thérapeutique du pont naissait de son application directe à l’inimitié forte, concentrée de l’endroit.

Il ne mesurait guère plus de six ou sept mètres. À l’extrémité mobile, pour la dilatation, sous la plaque de garde-grève, on devinait le profil en double té des poutres principales. Elles reposaient sur une platine de fer scellée, elle-même, sur le sommier en pierre de taille. Le platelage en tôle striée masquait les entretoises. Mais il était facile de descendre le massif de la culée et on pouvait les voir par-dessous, avec leur contreventement en croix de Saint-André. Les traverses étaient agrafées sur les longerons. Elles étaient renforcées par des cornières de butée qui servaient à lutter, m’expliquerait plus tard le chef de gare, contre l’arrachement produit par le freinage des convois. Le tout était enduit d’une épaisse peinture grise, qui avait dégouliné sur les flancs des poutres et maculait la pierre très tenace — du granite, sans doute — à joints creux, du sommier. Voilà pour la chose.

Pierre Bergounioux, Simples, magistraux et autres antidotes, Verdier, pp. 30-31.

David Farreny, 9 août 2005
délasser

Fade matinée. Je dépêche les paquets de copies qui s’accumulaient. Jean vient couler un œil sur la besogne. Il en conçoit une haute idée parce que je suis en train de juger ses semblables. La corvée expédiée, je passe à la dernière livraison des Actes de la recherche, lis l’article de L. Pinto sur l’enseignement de la philosophie puis, pour me délasser de cette analyse rigoureuse, un peu austère, la Géologie des gîtes minéraux de Raguin.

Pierre Bergounioux, « mercredi 8 juin 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 212.

David Farreny, 14 mars 2006
âme

J’étais dans l’incapacité totale de réfléchir avec mesure et de m’accrocher à une explication. Je découvrais, d’un coup, que le monde m’avait lâché et je me tenais sur son bord comme au-dessus d’un abîme qui me fascinait et m’aspirait et me hantait de terreur. Ce mur vidé de sa matière et réduit à sa fantomatique blancheur d’avant toute forme s’ouvrait en vertige dans l’intime profondeur de mon corps. J’en étais malade. Je me trouvais devant lui comme devant une fenêtre dont l’appui aurait disparu, avec l’appréhension d’une chute inévitable et le sentiment de la vanité qu’il y avait à vouloir en reculer l’échéance. Et cependant je ne tombais pas. Je me tenais encore debout, tout contre, les jambes molles, la gorge sèche, l’estomac chaviré, tout le corps inondé d’une sueur glacée. Peut-être un cri cherchait-il son issue dans cette débâcle de la chair. Mais il ne vint pas. Il ne vint jamais. Il demeura et demeure encore en moi comme un pur possible soumis à la phrase qui l’enveloppe, le retient, le porte à ses limites sans jamais le laisser fuser. Et l’âme, si elle est, n’est rien d’autre.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, pp. 61-62.

Élisabeth Mazeron, 15 mars 2010
coupais

Si je cessais de donner tant de place, en ces cahiers, à la solitude amoureuse, si je lui coupais les mots, en somme, cesserais-je aussi de souffrir d’elle ?

Renaud Camus, « jeudi 27 août 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 359.

Élisabeth Mazeron, 3 mai 2010
forme

J’étais fatigué. Je ne répliquais rien, la lassitude m’empêchait de desserrer les lèvres. En dépit des démangeaisons qui m’accablaient atrocement, je ne remuais pas la masse de peau guenilleuse qui me recouvrait et que l’attraction lunaire faisait croître, je le sentais. Un éclair de chaleur zébra le ciel et, pendant une seconde, j’eus la folle certitude que les vieilles allaient redéclencher la fusillade et en finir, puis je me rendis compte qu’hélas il n’en serait rien. L’attente reprit. J’avais envie de répondre à Nayadja Aghatourane, de hurler à travers la nuit chaude que l’étrange est la forme que prend le beau quand le beau est sans espérance, mais je restais bouche close et j’attendais.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 96.

Cécile Carret, 11 sept. 2010
silence

Ils bavardent un moment, mais le silence s’installe car ils ne trouvent plus rien à dire. Malgré son envie de caler ses pieds sur le tableau de bord pendant qu’elle conduit, Guthrie les garde sur le plancher et fume des cigarettes, baisse la vitre, en espérant que la brise dissipera sa nervosité. Puis le silence change comme il le fait quelquefois, et ils sont très bien sans parler. Ils regardent juste les panneaux et les hautes tiges de maïs qui oscillent de chaque côté de la route, l’éclat du soleil blanc sur le capot.

Claire Keegan, L’Antarctique, Sabine Wespieser, p. 104.

Cécile Carret, 23 déc. 2010
fragiles

Le monde se contractant autour d’un noyau brut d’entités sécables. Le nom des choses suivant lentement ces choses dans l’oubli. Les couleurs. Les noms des oiseaux. Les choses à manger. Finalement les noms des choses que l’on croyait être vraies. Plus fragiles qu’il ne l’aurait pensé. Combien avaient déjà disparu ? L’idiome sacré coupé de ses référents et par conséquent de sa réalité. Se repliant comme une chose qui tente de préserver la chaleur. Pour disparaître à jamais le moment venu.

Cormac McCarthy, La route, L’Olivier, pp. 134-135.

David Farreny, 18 mai 2011
éponge

L’ordre moral et l’hygiénisme contemporains sont les deux faces de la même éponge qui, à force de chercher partout l’ordure, est devenue la plus puante et la plus abjecte de toutes.

Éric Chevillard, « mercredi 26 septembre 2012 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 janv. 2013
abstraits

Plaisirs de la chère et de la chair font des souvenirs très abstraits. La mémoire est une archiviste frugale et frigide.

Éric Chevillard, « lundi 7 octobre 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 2 mars 2024
comprendre

Apprendre plein de choses (les coefficients stœchiométriques, la philosophie d’Alain Badiou) diminue d’abord l’angoisse (car on a l’impression de mieux comprendre le monde) puis l’augmente (car on réalise qu’on ne comprend rien, et peut-être pis encore, qu’il n’y a rien à comprendre).

Olivier Pivert, « Connaissance de Montcuq (et alentours) », Encyclopédie du Rien. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer