Il faut que l’inquiétude subsiste.
Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 507.
Recensement ininterrompu
reprenons
le toit l’arbre
le ciel le toit
l’arbre le ciel
tous mes possibles
rentrez vite
la vie vous mangerait
j’attends la neige
qui prouve le miracle
mais l’été est bref
comme un coït
et l’hiver ne chatoie
que dans un très vieux
livre imprimé
chez Mame
Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 25.
Si j’avais utilisé l’inceste pour montrer une voie possible conduisant au bonheur ou à l’infortune, j’aurais agi en didacticien à succès débiteur d’idées générales. En réalité, je me moque absolument de l’inceste sous quelque forme que ce soit. J’aime absolument le son « bl » dans « sibling », « bloom », « blue », « bliss », « sable ».
Vladimir Nabokov, Partis pris, Julliard, p. 141.
Rien à faire : la rixe intérieure fait trop de bruit. L’un des camps croit-il avoir pris le dessus, il célèbre en fanfare sa très courte victoire, et vous voici soumis à des agitations bien plus sévères encore, par les applaudissements qu’il se donne, et par les résolutions politiques d’urgence qu’elle lui dicte ; lesquelles, à peine vous y êtes-vous rangé de plus ou moins bon gré, sont annulées par un non moins illusoire succès de l’adverse camarilla. Le mieux serait sans doute de se taire, et d’attendre. Mais vous ne savez vous y résoudre. Il vous faut bien maintenir coûte que coûte, dans ce chaos, la fiction de votre autorité, si dérisoire qu’elle semble à tous. Oh ! Vous avez coupé, par force, les liens avec le monde, l’étranger, les éventuels alliés et les ennemis de toujours. Il ne manquerait plus qu’une extension du conflit hors de vos étroites frontières, avec protecteurs plus ou moins désintéressés, pour chacune des brigues locales ! Plus de relations extérieures, du moins de votre fait. Mais vous voulez, tout de même, continuer d’administrer votre petit État, tout ravagé qu’il est par les tirs de mortier continuels du souvenir et de l’espoir, de la vindicte et de la rage ; ou du moins faire semblant. Et c’est de votre part une avalanche de textes, de proclamations, de décrets, qui n’obéissent à d’autre exigence que de noircir les affichettes officielles, sur les grilles du palais en ruine et sous les arcades de votre naine capitale : car cette encre jamais ne se mélange à la suite des jours, ces phrases sont sans liens avec la réalité des événements et des choses, ces paroles du crieur public sont déjà perdues à son premier roulement de tambour ; en rien ne se commettent-elles avec l’air ni le cri, l’événement ni la pluie, la chambre, les visages, les façades, le pas.
Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., pp. 52-53.
Je ne me repose bien que si les autres travaillent ; autrement ce n’est pas complet.
Paul Morand, « 1er juin 1974 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 265.
Les voitures que l’on entend de loin avant d’être ébloui par l’éclat du soleil sur leur pare-brise grimpent la côte, puis redescendent. La rumeur, les reprises, la grimace des moteurs, la vitesse et le vent qu’elles déplacent rendent le silence qui les suit plus rustique.
Thierry Laget, Provinces, L’Arbre vengeur, p. 5.
Les conversations importantes sont des tâtonnements dans le silence.
Pierre Lamalattie, 121 curriculum vitæ pour un tombeau, L’Éditeur, p. 250.
Je ne peux écrire qu’en touchant à des choses dangereuses, inflammables, et qui déplaisent. Je ne peux écrire qu’en déplaisant à une majorité de gens, puisqu’une majorité de gens me déplaisent.
Philippe Muray, « 23 novembre 1985 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 569.