géométrique

Toutes ces citations ne plairont pas à tous, et celui qui les propose est sans doute le seul lieu géométrique du plaisir et de l’intérêt que chacune contient.

Roland Barthes, « Plaisir aux classiques », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 63.

David Farreny, 11 sept. 2004
épigastriques

Le rire définit un genre, nullement une qualité ; il y a des rires épigastriques qui dérident, il y en a d’autres, viscéraux, qui ébranlent : il faut choisir.

Roland Barthes, « Les trois mousquetaires », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 1014.

David Farreny, 5 déc. 2004
au-delà

Fiévreux, mal assuré sur mes jambes. Me rends au collège pour y rencontrer des parents et tenir, à midi, le premier conseil de la quatrième dont je suis le professeur principal. Jusqu’à trois heures que je rentre, je suis tout à la fois glacé et en nage. Me couche et lis Au-delà de notre voie lactée de B. Heidman.

Pierre Bergounioux, « jeudi 4 juin 1981 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 47.

David Farreny, 11 mars 2006
solution

Étrange mois d’août que celui qui s’achève. Le premier, depuis sept ans, que je n’aurai pas passé à écrire, et, de ce fait, reposant, pacifique, malgré le labeur d’esclave qui l’a rempli, sans l’ébranlement, les poisons mortels du travail de plume. Il y avait infiniment à faire mais c’étaient des choses précises, successives, qui ne réclamaient que du temps, les outils adéquats, une quantité déterminée d’énergie et pour lesquelles il existait a priori une solution.

Pierre Bergounioux, « mardi 29 août 1989 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 828.

David Farreny, 20 avr. 2006
inconnus

La simple présence proche suffit amplement.

Étant gravement atteint de crise d’étouffement, j’en louai moi-même une sur les indications de mon conseiller. Son épaule et la naissance de sa poitrine exquise, voilà la zone touchée qui me fit le plus grand bien, et le plus prompt.

Cette fille simple et d’un charme qui allait loin ne fit durant le traitement que lacer et délacer une jambière, mais très modestement.

Elle me regardait de temps à autre, puis sa jambe, ne disant rien, et ses sentiments me demeurèrent inconnus.

Henri Michaux, « Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 95.

David Farreny, 4 mars 2008
sortir

Je voudrais. Je voudrais quoi que ce soit, mais vite. Je voudrais m’en aller. Je voudrais être débarrassé de tout cela. Je voudrais repartir à zéro. Je voudrais en sortir. Pas sortir par une sortie. Je voudrais un sortir multiple, en éventail. Un sortir qui ne cesse pas, un sortir idéal qui soit tel que, sorti, je recommence aussitôt à sortir.

Henri Michaux, « Misérable miracle », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 630.

David Farreny, 12 mars 2008
cercueil

J’ai rasé ce matin la barbe que je portais depuis l’Iran : le visage qui se cachait dessous a pratiquement disparu. Il est vide, poncé comme un galet, un peu écorné sur les bords. Je n’y perçois justement que cette usure, une pointe d’étonnement, une question qu’il me pose avec une politesse hallucinée et dont je ne suis pas certain de saisir le sens. Un pas vers le moins est un pas vers le mieux. Combien d’années encore pour avoir tout à fait raison de ce moi qui fait obstacle à tout ? Ulysse ne croyait pas si bien dire quand il mettait les mains en cornet pour hurler au Cyclope qu’il s’appelait « Personne ». On ne voyage pas pour se garnir d’exotisme et d’anecdotes comme un sapin de Noël, mais pour que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces serviettes élimées par les lessives qu’on vous tend avec un éclat de savon dans les bordels. On s’en va loin des alibis ou des malédictions natales, et dans chaque ballot crasseux coltiné dans des salles d’attente archibondées, sur de petits quais de gare atterrants de chaleur et de misère, ce qu’on voit passer c’est son propre cercueil. Sans ce détachement et cette transparence, comment espérer faire voir ce qu’on a vu ? Devenir reflet, écho, courant d’air, invité muet au petit bout de la table avant de piper mot.

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, p. 46.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
limite

A est différent de O. Il faut prononcer A et O. Montre l’incroyable différence. Aaaaaaaaaaaaaaaaa / Ooooooooooooooooo. S’imprégner de la prononciation, en prononçant longuement dans la bouche. En vocalisant un a continu. Puis un o continu. Sentir l’évolution, les métamorphoses complexes dans la bouche. Garder le a, tenir le a et lentement, progressivement s’approcher de l’autre son que l’on connaît, délicatement, le a est encore là et penser au o, garder le son a et essayer d’atteindre par le son a le son de o en déformant le plus possible le a en gardant un a, plus il s’approche du o et plus l’effort est important pour s’approcher encore du o. Le o ne viendra pas. Il existe une limite infranchissable entre le a et le o.

Christophe Tarkos, « Processe », Écrits poétiques, P.O.L., pp. 117-118.

David Farreny, 21 mai 2009
raté

Trouvé sous la porte de l’atelier un coin de papier journal griffonné avec un prénom presque illisible, mais qui n’était pas le mien et un nom qui, à une lettre près, me désignait. Écriture troublante de mage ou d’analphabète. Est-ce que j’aurais raté une annonciation ?

Gérard Pesson, « lundi 22 janvier 1996 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 223.

David Farreny, 27 mars 2010
repli

Le monde est une construction transitoire. Il naît de nos actes. Nos mains, notre esprit lui confèrent, jour après jour, sa consistance et ses contours, ses permanences, son devenir.

Son sens, s’il est sujet à varier, c’est parce que, pour peu de temps, encore, nous sommes divers, tributaires d’un passé distinct, porteurs de dispositions à la fois spéciales et génériques, élaborées au creuset des États-nations qui se formèrent au seuil des Temps modernes. Il se peut que la mondialisation engendre bientôt un homme global, hédoniste et calculateur, surinformé, cosmopolite, interchangeable, affranchi des vieilles attaches qu’on avait avec un lieu, des proches, une patrie, lavé des particularités archaïques qui faisaient la diversité de l’espèce.

L’anthropologie, bientôt, sera sans objet, l’histoire, celle des groupes industriels et financiers aux prises pour la domination du marché, le destin des peuples, un simple compte d’exploitation. Nous sommes à la veille d’une ère planétaire qui verra les standards néo-libéraux supplanter l’infinie bigarrure des civilisations accrochées, comme les plantes, les roches, les bêtes, à un repli de la terre où elles avaient fleuri et fructifié.

Pierre Bergounioux, « Italie », Les restes du monde, Fata Morgana, pp. 43-44.

David Farreny, 13 mai 2010
humour

Je défie quiconque de trouver de l’humour à qui que ce soit très longtemps.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 53.

David Farreny, 24 mars 2012
vêtement

Seul l’amour pouvait m’amener à vouloir être quelqu’un d’autre, et encore n’était-ce que dans l’exultation sensuelle ; pour le reste, la vie d’autrui ne nous paraît le plus souvent qu’un vêtement sale ou, si elle nous intéresse, c’est pour nous demander comment on pourrait être autrui, comme moi qui, cette nuit-là, voulais savoir comment on peut être suédois, et mon imagination ne trouvant de réponse que dans le respectueux désir que, las et seul, j’avais eu que mon hôtesse me prenne dans ses bras, me serre contre elle, murmure à mon oreille des mots qu’aucune femme n’avait encore prononcés et que je ne connaissais que par les livres.

Richard Millet, La fiancée libanaise, Gallimard, p. 371.

David Farreny, 27 sept. 2012
arc

Mais comme il est arrivé aussi, dans les chaleurs du sud, qu’on manque de pierres parmi les sables, on a inventé la brique pour se construire d’abord des temples et des palais, des remparts et des ziggourats, puis tout naturellement des ponts. Le recours à cette brique permettant de nouveaux équilibres et supposant de nouveaux systèmes de construction, on a fini par imaginer l’arc, quelque sept mille années avant Gluck. L’arc est assurément ce qu’on a trouvé de mieux, ce qui allait tout changer, c’était une invention avec laquelle on était loin d’en avoir fini, il y en a quelques-unes comme ça dans le genre de la roue.

Jean Echenoz, « Génie civil », Caprice de la reine, Minuit, p. 59.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
utilise

J’aurais pu m’acheter un nouveau style-bille, cela ne m’aurait pas coûté plus cher que cette recharge, mais je tenais à celui-ci, je m’y étais attaché, j’aimais bien son profil de torpille ou de roquette, son agrafe ingénieuse, son matériau joliment composite (métal brossé, métal brillant, matière plastique), on le tenait agréablement en main et la mention I (cœur) NY laissait penser qu’il venait du même endroit que mon carnet beige, il n’était pas très beau mais j’y tenais. De plus, il était pratique pour prendre des notes tout en marchant car à bille rétractable, donc plus pratique que le feutre V5 Hi-Tecpoint 0,5 Pilot que j’utilise ordinairement mais dont le capuchon, qu’il faut ôter puis remettre (et qu’on ne sait pas où mettre dans l’intervalle), retarde le mouvement.

Jean Echenoz, « Trois sandwich au Bourget », Caprice de la reine, Minuit, p. 110.

Cécile Carret, 26 avr. 2014

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