porte

Ce fut une épopée de géants. Nous la vécûmes en fourmis. Nous triomphâmes ainsi. Succès par la porte basse.

Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 190.

David Farreny, 14 avr. 2002
déconner

Il dévorait des yeux la belle fouteuse, et il tira ainsi trois coups sans déconner.

Anonyme du XVIIIe siècle, Le Tartuffe libertin ou le triomphe du vice, Séguier, p. 33.

Hubert Troupel, 27 août 2002
eau

Le voilà mort. Tout le monde connaît la suite. On sait ce qu’il voulut, et ce qui fut fait. Un fleuve coulait là, épais, noir, dans les fonds aux forêts tombées, le Busentin : trois jours toute la Scythie éplorée, furibonde, avec des pelles, des glaives, à pleins boucliers, creusa un bief parallèle au fleuve, dans des nuées de moustiques ; toute cette armée de boue, de langues mêlées, s’enlisa jusqu’aux cuisses, dans ses casques cornus à bout de bras porta de la terre morte, brisa des chênes comme elle l’avait fait des colonnes dans les temples, et de même qu’en brisant des temples chanta des psaumes, pour un grand cadavre qui attendait, la face tournée vers les nuages ; cette armée pour qui rien de ténu ne chanterait plus, mais qui peut-être accomplissait, définitif, son plus haut fait d’armes. Et quand toute l’eau se fut en maugréant engouffrée dans le bief, quand le lit franc du fleuve fut à sec, dans cette boue où des carpes crevaient, où des racines spectrales étaient pour la première et dernière fois surprises par le jour, toute la Scythie descendit là-dedans, pataugeante, geignante et pathétique comme les légions de Germanie ressuscitées retourneraient à leurs tourbières, toute la Scythie fit encore un grand trou, y précipita les trophées pris à Rome, les dieux et les petits objets familiers qui furent chers aux Sabins, à Carthage, aux Grecs, le labarum sous quoi marchait Constantin, sept siècles de victoire, et par là-dessus enfin jeta comme un sac d’or et de pelisse le roi qui s’enfonça doucement dans de gros remous, et, ventre à l’air, disparut soudain sous les carpes. Alors, avec des psaumes accrus comme pour l’assaut final, à grands coups de glaive ou à pleines mains, la Scythie exultante rompit les digues du bief, et toute l’eau du monde, tumultueuse, sourde, passa tout naturellement sur le corps d’un principicule scythe qui avait marché dans Rome en avant des Césars. Sur cette rive je chantai, une fois pour toutes.

Pierre Michon, L’empereur d’Occident, Fata Morgana, p. 45.

David Farreny, 27 fév. 2007
probité

Des lecteurs de bonne foi lisent ces textes et se convainquent que la « vraie littérature » est celle-là. Or une chose écrite n’est pas bonne à lire par le seul fait qu’elle est écrite, comme tendraient à le faire croire les actuels réflexes protecteurs du livre. Tout texte modifie le monde. Cela diffuse des mots, des représentations. Cela, si peu que ce soit, nous change. Des textes factices, des phrases sans probité, des romans stupides ne restent pas enfermés dans leur cadre de papier. Ils infectent la réalité. Cela appelle un antidote verbal.

Pierre Jourde, La littérature sans estomac, L’Esprit des Péninsules, pp. 25-26.

David Farreny, 10 janv. 2009
dictionnaire

Michael Johnson, à peine fut-il devenu père de famille, semble avoir perdu son talent pour les affaires, et très vite s’ouvre cette grande et pénible tradition familiale des ennuis d’argent, et même de la grande pauvreté, qui accableront pendant des décennies le fils aussi bien que le père. Même le Grand dictionnaire de la langue anglaise, le plus sûr titre de Johnson, avec son édition de Shakespeare et la Vie de Johnson, au souvenir de la postérité, est une œuvre de commande entreprise dans l’espoir d’arriver enfin, grâce à elle, à joindre les deux bouts pour souffler un peu. S’il veut définir fastidieux, Johnson donne comme exemple, dans son dictionnaire :

« Il est fastidieux d’écrire des dictionnaires. »

Renaud Camus, « Breadmarket Street, à Lichfield, Staffordshire. Samuel Johnson », Demeures de l’esprit. Grande-Bretagne I, Fayard, p. 275.

David Farreny, 5 juin 2010
réalité

— Chut, dit Esti, désignant du menton la porte barrée par une armoire.

Derrière celle-ci habitaient les maîtresses de céans, deux dames d’un certain âge, les locataires : ennemies des sous-locataires et de la littérature.

Tous deux s’assombrirent. Ils regardèrent l’armoire et y virent la réalité, qui toujours les désemparait.

Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 90.

Cécile Carret, 28 août 2012
hauteur

Il y a un cerf en bronze au milieu de la forêt, au bout d’une allée qui se sépare en deux pour aller jusqu’au château. Le cerf est sur ses pattes, campé sur un socle de pierre qui ressemble à ceux des cimetières ou des hommages aux grands hommes. Il est vif, altier. Il est maître de lui ; il n’est pas pourchassé ou défait, ni sur ses gardes. Même capturé par la statue, il est libre. Il est au-dessus de la séparation des chemins si bien qu’on doit passer le long, sous sa hauteur.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 33.

Cécile Carret, 22 sept. 2013
extérieur

Nous avons parfois l’impression que l’âge vient d’ailleurs, qu’il nous est extérieur, que les choses ont changé sans nous demander notre avis et que c’est la raison pour laquelle nous ne les reconnaissons pas.

Marc Augé, Une ethnologie de soi. Le temps sans âge, Seuil, p. 107.

Cécile Carret, 21 avr. 2014
volubilité

Six cents ans plus tard, la famille était assemblée autour de la table du déjeuner. Pour l’occasion, le père avait passé un veston de velours. Nous bûmes le vin de ses vignes. C’était un vin de dimanche, grisant, jeune et bavard, dévot, oisif, issu de malvasia, de trebbiano et de sangiovese. Cette litanie des cépages était le début de la volubilité. Nous parlâmes de contrées que ni eux ni nous n’avions visitées, de l’éducation des enfants, de la ville, de l’automne qui approchait, des vendanges.

Baptiste s’était endormi. Nous l’avions couché dans un grand salon frais, obscur, et sur le berceau se penchaient les tableaux champêtres, les bergers jouant du flûtiau, les nymphes dansant au clair de lune, le front et le crâne de saint Jérôme.

Thierry Laget, Provinces, L’Arbre vengeur, p. 117.

David Farreny, 20 juil. 2014
irresponsabilité

Nombreux sont les poètes qui appellent « poésie » une simple forme d’irresponsabilité intellectuelle.

Nicolás Gómez Dávila, Scolies successives à un texte implicite, p. 167.

David Farreny, 27 mai 2015
éboulis

Visible à travers les grilles, la soldatesque des cyprès, d’un vert sombre tirant sur le noir contre le ciel instantané de cette heure-là, entre cinq et six, qui ressemble si souvent à un éboulis de possibles.

Gilles Ortlieb, Le train des jours, Finitude, p. 95.

David Farreny, 22 juil. 2015
cadet

Ses grands tourments l’ont conduit au suicide, mais il a injustement entraîné avec eux dans la mort le cadet de ses soucis.

Éric Chevillard, « mardi 21 avril 2020 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 8 mars 2024

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