fixations

On se découvre alors des fixations farouches. Des choses ridicules — mes lunettes de lecture, un mouchoir, un certain instrument pour écrire — polarisèrent ma possessivité démente. Égarer provisoirement l’un d’eux me remplissait d’un désarroi frénétique, chacun de ces objets étant le rappel tactile d’un monde voué à bientôt s’effacer.

William Styron, Face aux ténèbres. Chronique d’une folie, Gallimard, p. 91.

Guillaume Colnot, 15 mai 2002
Occident

Mais — la rareté du ciel lorsqu’il blanchit, les rues identiques les unes aux autres, le dimanche soir en Occident…

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 163.

David Farreny, 15 nov. 2002
sauver

Gare encore et encombrements de voitures, métal sur bitume cette fois-là sous pluie grise : ils vont donc travailler à la grande ville (Nancy qui approche), les gens, et reviennent le soir, remontent entre phares blancs devant et rouge derrière pour repartir dans les maisons qu’on devine sur la butte. Après la gare, et symétrique de l’usine, juste un collège aux vitres régulières, la cour vide sous les fenêtres de classe encore éclairées malgré le jour. Dans chaque ville on les reconnaît, les établissements scolaires à l’architecture rectangulaire vitrée selon normes.

Le billet de train Paris-Est Nancy porte l’indication : trois cent cinquante-deux kilomètres. Calcul rapide, flux rétinien dix mille milliards de photons par seconde, de huit heures dix-huit à onze heures vingt-deux, et division selon l’analyse de ce flux, vingt-quatre fois par seconde puisque c’est quantifié, et le contraste entre la répétition des images presque fixes, longue plaine ou forêt, canal ou fleuve qu’on longe, le temps arrêté des gares, puis le surgissement à sauver, la profusion saturante d’un détail qu’on ne peut attraper suffisamment vite.

François Bon, Paysage fer, Verdier, p. 17.

David Farreny, 24 janv. 2003
abysses

Premièrement, Palafox peut rester jusqu’à quatre-vingt-dix minutes sous l’eau. C’est le privilège des amphibies, ayant le choix entre notre monde et les abysses, on les voit peu.

Éric Chevillard, Palafox, Minuit, p. 114.

David Farreny, 22 juin 2006
gastrula

Il voyait l’organisme unicellulaire de l’œuf fécondé sur le point de se transformer en un organisme multicellulaire, en se sillonnant et se segmentant, il voyait les corps des cellules former la blastula dont une paroi s’enfonce en une cavité qui commençait de remplir la fonction de la nutrition et de la digestion. C’était le rudiment du tube digestif, l’animal originel, la gastrula, forme primitive de toute vie animale, forme fondamentale de la beauté charnelle. Ses deux couches épithéliales, l’extérieur et l’intérieur, apparaissaient comme des organes primitifs qui, par des saillies ou des renfoncements, donnaient naissance aux glandes, aux tissus, aux organes des sens, aux prolongements du corps. Une bande de la couche extérieure s’épaississait, se sillonnait en une gouttière, se fermait en un canal médullaire, devenait colonne vertébrale, encéphale. Et, de même que le mucus fœtal se transformait en un tissu fibreux, en un cartilage, par le fait que les nucléoses commençaient à produire, au lieu de mucine, une substance gélatineuse, il voyait en certains endroits les cellules conjonctives tirer des sels calcaires et des substances graisseuses des sucs qui les baignaient, et s’ossifier. L’embryon de l’homme était accroupi, replié sur lui-même, caudifère, à peine différent de celui du porc, avec un énorme tronc digestif et des extrémités rabougries et informes, la larve du visage ployée sur la panse gonflée, et son développement, aux yeux d’une science dont les constatations véridiques étaient sombres et peu flatteuses, n’apparaissait que comme la répétition rapide de la formation d’une espèce zoologique.

Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, pp. 320-321.

David Farreny, 3 juin 2007
dehors

La joie vient de se retrouver dehors quand on s’est perdu dedans.

Jean-Paul Sartre, Cahiers pour une morale, Gallimard, p. 514.

David Farreny, 3 mars 2009
canapé

Quand la nuit fait rage. Fixe la plus proche, la plus scintillante — celle dont tu ignores le nom, parce que tu ignores beaucoup — enfonce de plus en plus fort ta vie dans un canapé à proximité d’une étoile.

Jean-Pierre Georges, Car né, La Bartavelle, p. 72.

David Farreny, 5 juil. 2009
vide

Tu n’avais pas encore admis que la littérature n’est pas possible. Ce que tu barbouillais n’avait rien de réel, tout simplement. Ça ne correspondait à rien, ça n’entrait pas dans le monde. À chaque fois que tu te mettais à écrire, tu sentais douloureusement à quel point toi, assis devant ton écran d’ordinateur, alignant des mots, tu n’accrochais plus à rien. Ça tournait à vide.

Que faire avec ce vide de ton esprit ? Il n’y avait rien, il n’y a toujours rien en toi, un peu de froid, des passages nuageux, des pluies fines. Eh oui, il n’y a rien à dire, il n’y a jamais rien à dire. Le monde est là, tout autour, neutre. On mange et l’on s’habille. On est toujours avec soi-même. On fait les courses à la supérette. On dort. Tout est normal. Que faire avec tout ça, en fait de littérature ? La littérature n’a aucune place dans ce monde. Comment ne pas mentir ? Comment écrire sur un écran des mots qui ignorent la banalité de cette pièce, le poids des viandes dans le ventre, la grande indifférence en soi qui digère tout ? Il faudrait dire ce froid et cette indifférence. Mais avec quels mots ? Prendre les choses, les choses bêtes, les choses plates, et les rendre transparentes comme l’esprit.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, p. 244.

Élisabeth Mazeron, 5 nov. 2009
auscultation

La maison ? Lumière avare, vacillante. Couleurs mortes. Ombres vertes. Sur toute surface, toujours une mouche en auscultation. Troupeaux de chaises de multiples espèces, du formica au Renaissance. Abondance d’objets, rares ou banals, sur grande variété de meubles. Leurs corps aveugles embarrassent les déplacements. Livres, vieux journaux enrobés de poussière, paquets de photographies, boîtes et pots, médicaments. Murs intranquilles, portant le poids d’images si enfoncées dans leurs cadres proliférants qu’on a l’impression de ne jamais parvenir à les atteindre.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, p. 48.

David Farreny, 2 déc. 2009
caducité

Ç’aura été un perpétuel sujet d’étonnement et de rumination que la caducité de mes desseins les plus fermes, la ruine de projets longuement mûris.

Pierre Bergounioux, Géologies, Galilée, p. 34.

David Farreny, 7 juin 2013

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