présent

Les promenades dans une ville souffrent de cette imperfection que Proust attribue au présent.

Michel Besnier, Cherbourg, Champ Vallon, p. 11.

David Farreny, 23 mars 2002
viendra

L’avenir viendra d’une longue douleur et d’un long silence.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 38.

David Farreny, 24 mai 2003
assistait

Le despote tomba sous le poignard, avec un hurlement de sa bouche ouverte que l’on n’entendit pas. On vit ensuite des images du monde entier : le président de la République française en haut de forme et en grand cordon, répondant du haut d’une voiture découverte à une allocution ; on vit le vice-roi des Indes au mariage d’un radjah ; le Kronprinz allemand dans une cour de caserne de Potsdam. On assista aux allées et venues des habitants d’un village du Nouveau-Mecklembourg, à un combat de coqs à Bornéo, on vit des sauvages nus qui jouaient de la flûte en soufflant du nez, on vit une chasse aux éléphants sauvages, une cérémonie à la cour du roi de Siam, une rue de bordels au Japon, où des geishas étaient assises derrière le treillis de cages de bois. On vit des Samoyèdes emmitouflées parcourir dans leurs traîneaux tirés par des rennes un désert de neige au nord de l’Asie, des pèlerins russes prier à Hébron, un délinquant persan recevoir la bastonnade. On assistait à tout cela. L’espace était anéanti, le temps avait rétrogradé, le « là-bas » et le « jadis » étaient transformés et enveloppés de musique. Une jeune femme marocaine, vêtue de soie rayée, caparaçonnée de chaînes, d’anneaux et de paillettes, sa poitrine pleine à moitié dénudée, s’approchait soudain de vous, en grandeur naturelle ; ses narines étaient larges, ses yeux pleins d’une vie bestiale, ses traits sans mouvement. Elle riait de ses dents blanches, abritait ses yeux d’une de ses mains dont les ongles semblaient plus clairs que la chair, et, de l’autre, faisait signe au public.

Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, p. 364.

David Farreny, 3 juin 2007
déclin

Au début, en échange de la citoyenneté, on leur a abandonné les travaux les plus durs, la voirie, le terrassement, les chantiers, les chaînes de production, les ordures et le nettoyage. Comme ils s’en sont accommodés, on leur a par après laissé le soin de faire des enfants, besogne elle aussi trop souvent pénible, bruyante, accaparante et sale. Restèrent les loisirs, les jeux, les fêtes, les plages, mais dont l’attrait finit par se ternir. Et finalement, comme il n’y avait plus rien à faire ni à penser, ni à attendre, plus de but à la vie, sinon un ennui interminable et lourd, on finit par leur déléguer le souci des fins dernières. Alors même que depuis longtemps, on s’était détourné des dieux traditionnels, on s’intéressa à leurs cultes si curieux, à leurs interdits si sévères, à leur jeûne si rigoureux. Arrivé à ce point, bien sûr, il n’y eut, de la civilisation en question, plus rien à sauver, sinon mourir. C’est du moins ce que les historiens nous disent du déclin de Rome.

Jean Clair, « déclin », Journal atrabilaire, Gallimard, p. 133.

David Farreny, 21 mars 2011
joli

Le nouveau tableau n’est pas mal — la nouvelle version du même tableau, veux-je dire : il s’agit bien sûr de la même toile. Malheureusement il est trop joli. On dirait une œuvre pour les galeries de l’avenue Montaigne, ou Matignon, je ne sais jamais, ou des environs de l’Élysée et de la place Beauvau : celles qui ont en vitrine des toiles de tous les styles, mais plus jolies, plus décoratives, plus sucrées, plus immédiatement plaisantes à l’œil (sauf s’il n’aime pas le sucre…) que celles du style originel. Même de Soulages ou de Ryman, et bien sûr de Degas et de Gauguin, ces galeries arrivent à offrir des versions de salon. Elles me font penser à cette Anglaise des environs, ici, qui, ayant vu son exposition dans la maison, voulait un Kounellis elle aussi, mais un Kounellis arte rico. Mon Une voix vient de l’autre rive a tourné arte rico. Mais je peux encore l’appauvrir, j’espère : le toughiser, le viriliser, le rendre plus couillard, plus solide, plus laid.

Renaud Camus, « dimanche 23 mai 2010 », Parti pris. Journal 2010, Fayard, p. 194.

David Farreny, 18 juin 2011
change

Certains hommes se placent au-dessus de leur malheur pour rendre compte de celui des autres. Il arrive que leur roman nous donne l’idée de la vie absolue, aussi bien du voisin que de la nôtre, pendant qu’on les lit. C’est presque ça. Puis on les quitte. On ressort. Et tout recommence. Mais peut-être ont-ils tout dit. Un homme, peut-être, peut tout dire. Ça ne change rien. Voilà notre drame.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 17.

David Farreny, 24 mars 2012
bouffée

À quelle bouffée d’illusions dois-je cette dégaine exceptionnellement insouciante aujourd’hui ? J’ai la déconcertante impression d’être un autre.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 167.

David Farreny, 30 juin 2014
jardin

À part un joli jardin, tout est inférieur à nos rêves.

Nicolás Gómez Dávila, Nouvelles scolies à un texte implicite (2), p. 163.

David Farreny, 27 mai 2015
île

Seul comme Franz Kafka ? Seul comme Philippe Muray ?

Seul comme ? Seul comme ce qui n’a pas de comme.

Sens du soupir de Kafka…

J’ai été seul, et ma solitude je vous l’ai rendue inoubliable.

Solitude la plus basse, la plus noire, la moins romantique, pittoresque, littéraire qui soit. Solitude sexuelle. Tous les sexes ensemble d’un côté et moi de l’autre côté. Ma solitude repose sur leur mime sexuel commis en commun.

Même sur une île déserte, j’aurais toute l’île déserte contre moi.

Philippe Muray, « 6 février 1983 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 243.

David Farreny, 27 mai 2015

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