agit

Même un objet léger (sac à main, livre…) agit sur la marche.

Nathalie Quintane, Chaussure, P.O.L., p. 57.

David Farreny, 20 mars 2002
maisons

Plus que de la laideur, à mon avis, le XXe siècle fut le siècle de la camelote. Et rien n’en témoigne mieux que tous ces pavillons qui éclosent le long de toutes les routes et à l’entrée de toutes les villes, petites ou grandes. Ce ne sont pas des maisons, ce sont des idées de maisons. Elles témoignent pour une civilisation qui ne croit plus à elle-même et qui sait qu’elle va mourir, puisqu’elles sont bâties pour ne pas durer, pour dépérir, au mieux pour être remplacées, comme les hommes et les femmes qui les habitent. Elles n’ont rien de ce que Bachelard pouvait célébrer dans sa poétique de la maison. Elles n’ont pas plus de fondement que de fondation. Rien dans la matière qui les constitue n’est tiré de la terre qui les porte, elles ne sont extraites de rien, elles sont comme posées là, tombées d’un ciel vide, sans accord avec le paysage, sans résonance avec ses tonalités, sans vibration sympathique dans l’air.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 470.

David Farreny, 19 mai 2002
steamers

Vaisseaux des ports, steamers à l’ancre, j’ai compris

Le cri plaintif de vos sirènes dans les rades.

Sur votre proue et dans mes yeux il est écrit

Que l’ennui restera notre vieux camarade.

Vous le porterez loin sous de plus beaux soleils

Et vous le bercerez de l’équateur au pôle.

Il sera près de moi, toujours. Dès mon réveil,

Je sentirai peser sa main sur mon épaule.

Jean de La Ville de Mirmont, L’horizon chimérique, La Table Ronde, p. 22.

David Farreny, 9 sept. 2003
récapituler

Les journées que je passe, comme celle d’hier, à travailler furieusement le bois, me laissent courbaturé, rompu. Je dors à des profondeurs énormes, si loin de la surface qu’il me semble que rien ne me surprendrait vraiment au réveil. Et je suis un moment à récapituler les composantes du présent, l’âge qui est le mien, les enfants que j’ai, le métier que j’exerce, la couleur et le goût des jours où je suis.

Je lis l’Anthropologie de Sapir et corrige la thèse de Georges — l’expression, le français.

Il pleut sans discontinuer. Tout est trempé.

Pierre Bergounioux, « jeudi 28 mai 1981 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 47.

David Farreny, 11 mars 2006
virtualités

Aujourd’hui la vie fait très mal derrière l’omoplate gauche. Un grand abattement passe au rouleau d’essorage les bouts de guenilles de mes virtualités. Il en sort un jus pas assez noir pour écrire avec.

Des cris aigus d’enfants mêlés à des coups de burin font un environnement sonore propre à se médicamenter. Un petit drapeau délavé, déchiqueté, bat faiblement dans une zone désertée par l’activité cellulaire.

Mon sexe veut bien tout. Il est comme l’eau. Il épouse toutes les formes dans un coma dépassé. De midi jusqu’au soir : procession d’heures sordides, évoluant à très basse altitude.

Jean-Pierre Georges, « Abattement », Trois peupliers d’Italie, Tarabuste, p. 21.

David Farreny, 31 mars 2008
éloignement

Tel livre lu voilà vingt ans et bientôt oublié, telle couverture, tel imperceptible souvenir, lorsque je les retrouve à leur emplacement originel, à quinze ou vingt ans d’ici, m’indiquent à quelle distance je me trouve, maintenant, du commencement. Le long du chemin rendu un court instant visible, dans l’ombre et la brume du passé, je découvre la théorie des bagages abandonnés, l’éloignement.

Pierre Bergounioux, « jeudi 8 juin 1989 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, pp. 796-797.

Élisabeth Mazeron, 1er janv. 2009
tirer

J’ai un tas d’idées pour mon travail et en continuant la figure très assidûment, je trouverai possiblement du neuf.

Mais que veux-tu, parfois, je me sens trop faible contre les circonstances données, et il faudrait être et plus sage et plus riche et plus jeune pour vaincre.

Heureusement pour moi, je ne tiens plus aucunement à une victoire, et dans la peinture, je ne cherche que le moyen de me tirer de la vie.

Vincent van Gogh, « Arles, août 1888 », Lettres à son frère Théo, Gallimard, p. 400.

David Farreny, 2 juil. 2009
impatience

L’impatience, qui ne serait que le désir d’être ailleurs, connaît deux règnes de natures peu comparables. L’aiguillon de l’un, le désir, tous les désirs, induisent une impatience réactive qui peut saisir et compromettre des instants ou des actions très courtes — être mal ici, parce qu’on pourrait être mieux ailleurs (K. hier pendant la Sixième de Bruckner à Pleyel). Vouloir être ailleurs, transposé à grande échelle, vouloir être un autre, et peut-être, dans une version adoucie, se contenter de seulement vouloir être un autre, implique une résignation qui est le deuxième règne de l’impatience, et, sans doute, son retournement. Le désir impatient, son temps serré est d’essence occidentale ; la patience de l’impatience, son temps lâché, d’essence orientale.

Gérard Pesson, « vendredi 20 septembre 1996 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 246.

David Farreny, 27 mars 2010
élucider

Lorsqu’il fut avéré que je ne trouverais pas d’explication toute faite, que l’accident dont je portais les séquelles ne concernait que moi, le mouvement que je me donnais depuis des années, la théorie des jours gris où je m’enfonçais perdirent toute signification. J’avais remis à plus tard de vivre, par égard, d’abord, pour des morts que je n’avais jamais connus vivants, dans l’espoir, ensuite, d’obtenir les éclaircissements dont l’absence parachevait notre infortune. Je m’étais transporté sur le grand théâtre du monde. Ce que j’y avais lu, entendu ne m’était d’aucun véritable secours, ne valait qu’autant que ce qu’il y avait autour était à peu près dépourvu de corps, d’effet de réalité. Je n’étais pas venu préparer un avenir mais tenter d’élucider un passé.

Pierre Bergounioux, Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 78.

Élisabeth Mazeron, 28 mai 2010
on

J’avais décidé de délaisser l’école. L’apprentissage me répugnait de plus en plus. Je n’arrivais plus à assimiler de nouvelles matières et n’améliorais aucune de mes connaissances anciennes. C’est ainsi : soudain, le goût de l’étude se disloque, la curiosité s’émousse, on commence à décliner et on ne s’attriste pas. On reste assis en face d’une brassée d’épinards, on surveille du persil et on s’en contente. Quand je dis on, on aura compris que je parle de Yasar Dondog, c’est-à-dire de moi et de nul autre.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 104.

Cécile Carret, 14 sept. 2010
disproportion

Pour notre consolation, la disproportion du monde semble n’être que d’ordre numérique.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 453.

David Farreny, 8 nov. 2012
seul

Voici la vérité, je suis seul,

seul dans ma propre nuit où mon ombre se couche

dans la chose qui fuit je me touche et me perds

égoutier du grand songe,

ma main me pousse pleine de lignes, de racines,

— ai-je vraiment manqué de foi ?

Je grimpe les Alpes de force et je n’ai pas de guide

je ne suis pas alpiniste,

je n’ai pas demandé le danger, il est là,

je n’aime pas marcher, qui est-ce qui marche en moi ?

Benjamin Fondane, « Ulysse », Le mal des fantômes, Verdier, p. 47.

David Farreny, 21 juin 2013
justesses

À propos de Charade, téléphonage de Sauveur, à l’instant. Mais Ph. était à proximité, et bien que je ne souhaite faire nul secret, j’en étais gêné pour parler, comme chaque fois que je dois entretenir un échange avec deux personnes à la fois, ou bien avec une seule mais en la présence d’un témoin. Il ne s’agit nullement de ce qu’on peut dire ou ne pas dire, il s’agit d’une question de ton, d’un problème de justesse musicale, en somme. Il s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans la conception vague mais persistante que je peux me faire du langage, du discours, de la vérité, auxquels je ne sais pas prêter de vérité stable, absolue, mais seulement des justesses de circonstance, partielles, historiques, dépendantes de l’heure ou du siècle, de l’humeur ou du “locuteur”.

Renaud Camus, « Paris, rue Saint-Paul, samedi 31 décembre 1988, 6 heures et demie du soir », Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 370.

David Farreny, 7 mars 2024

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