distribue

Âmes effilochées, âmes cotonneuses qu’un rien distribue, il est bon que le matin surtout vous travailliez à vous parquer, à vous serrer, à repriser vos parties, que la nuit et les rêves n’ont que trop mises à la dérive.

Henri Michaux, « Qui je fus », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 91.

David Farreny, 20 mars 2002
vérifier

On rentre par Bassoues, par Montesquiou, Barran. Qu’importe qu’on ne voie plus très bien les créneaux sur les tours, et les torsions de la flèche, sur le clocher ? On connaît déjà ces petites villes obscures, et les hautes pierres dont elles sont fières. Il ne s’agit que de les vérifier dans la nuit, et de s’en réjouir encore obscurément.

Renaud Camus, « dimanche 3 janvier 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 12.

David Farreny, 1er août 2002
jamais

Le répit n’est jamais qu’un instant de la trépidation.

Éric Chevillard, Commentaire autorisé sur l’état de squelette, Fata Morgana, p. 70.

David Farreny, 30 déc. 2007
auscultation

La maison ? Lumière avare, vacillante. Couleurs mortes. Ombres vertes. Sur toute surface, toujours une mouche en auscultation. Troupeaux de chaises de multiples espèces, du formica au Renaissance. Abondance d’objets, rares ou banals, sur grande variété de meubles. Leurs corps aveugles embarrassent les déplacements. Livres, vieux journaux enrobés de poussière, paquets de photographies, boîtes et pots, médicaments. Murs intranquilles, portant le poids d’images si enfoncées dans leurs cadres proliférants qu’on a l’impression de ne jamais parvenir à les atteindre.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, p. 48.

David Farreny, 2 déc. 2009
tout

Que rien ne te trouble

Que rien ne t’épouvante

Tout passe

Sainte Thérèse d'Avila.

David Farreny, 22 mars 2010
intermède

Au sortir de l’adolescence s’ouvre un intermède décevant auquel on ne conçoit pas de fin. Une fois encore, j’aurais eu besoin, j’ai attendu qu’on me dise. Le dépit de me découvrir embarrassé de termes empruntés, inopérants sur les choses concrètes, rétives de toujours, pour cuisant qu’il fût, m’aurait moins affecté si je l’avais su inévitable, peut-être passager. J’aurais laissé à celui que je serais ultérieurement devenu le soin d’une opération que j’avais crue toute simple et qui ne l’était pas. J’avais cédé une année de la seule vie qui vaille, puis deux puis d’autres, encore, au terme de quoi je comptais que le chapitre obscur par où j’ai commencé serait expliqué. Je saurais. Je serais libre. Je m’établirais à l’endroit où j’attendais, en quelque sorte, ma propre venue.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, pp. 76-77.

Élisabeth Mazeron, 27 mai 2010
ordre

Dans la vie de veille, au contraire, dès que je me laisse aller à imaginer qu’il serait possible, après tout, de laisser tomber tout ce qui me paraît à la fois si naturel et si pesant pour aller voir ailleurs si j’y suis, ma circulation sanguine s’accélère, des bouffées de bonheur me coupent le souffle, j’étouffe presque. Puis tout se calme, tout rentre dans l’ordre. Je suis comme les chœurs de l’opéra : « Marchons, Marchons ! » ; je rêve, mais je fais du surplace.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 14.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
trouvée

La lumière est de la matière incorporelle, voire immatérielle ; cela paraît être une contradiction, mais nous ne pouvons pas nous arrêter à cette apparence. Les physiciens disaient que la lumière ne pouvait pas être pesée. Mais on a, avec de grandes lentilles, concentré de la lumière en un foyer, et on l’a fait tomber sur l’un des plateaux de la plus fine des balances ; or, ce plateau, ou bien ne fut pas abaissé, ou, s’il le fut, on trouva que le changement produit dépendait seulement de la chaleur que le foyer concentrait en soi. La matière est pesante dans la mesure où elle ne fait que chercher l’unité en tant que lieu ; mais la lumière est la matière qui s’est trouvée.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 398.

David Farreny, 28 fév. 2011
confettis

Adorer un seul Dieu, ne servir qu’un seul Prince. Or l’amour de la culture aussi est un monothéisme. À l’école, on appelait cet Universel la culture « générale ». Et l’on apprenait que le passage du polythéisme au monothéisme avait été décisif. La loi du Père contre la pullulation des idoles.

Que dire alors du chemin inverse ? Atomisée, pulvérisée, « éclatée », « explosée », la culture ne cesse de retomber en cotillons et confettis. On dit désormais « culture » pour dire la petite religion du local, le triomphe de la proximité, le goût du particulier, le denier du culte, le chatouillis idiosyncrasique, le jargon de la secte, le verlan des banlieues, l’habitus domestique, la manie du quidam, la dévotion du gri-gri, la prière aux lares, l’islamo-bouddhisme en dix leçons, le port du pantalon effrangé, l’araignée dans le plafond, l’exotisme culinaire, l’apprentissage des patois disparus, le double anneau dans le nez, les sports de l’extrême, l’exhibition de l’unicum anatomique, la fièvre obsidionale, Proust en trois cents mots, le règlement d’entreprise, le grillon du foyer, la lecture pour illettrés, le musée pour aveugles, le vu à la télé, le Campus pour tous et le voyage aux îles…

Au nom de l’Autre, mais non d’autrui, la culture de proximité, non du prochain, avec son tutoiement obligatoire, soumet chacun, non sans hargne, à la singularité linguistique, à la particularité ethnique, à l’entomologie vestimentaire, à la tératologie physiologique, à l’idiotisme psychologique, à la marginalité comportementale, au vocabulaire inouï, aux syntaxes extravagantes, aux décibels d’enfer. À chacun sa culture, donc, collages saugrenus de débris, de vestiges, de fonds de pot ou de tiroir, mœurs de flibustiers pullulant autour d’un naufrage.

Jean Clair, « La culture du ministère », Journal atrabilaire, Gallimard, pp. 72-73.

David Farreny, 21 mars 2011
altérité

Nos semblables ? Et en effet, certains le sont et ne le sont que trop, car après un premier mouvement de rapprochement fraternel, ces similitudes incontestables nous pèsent, nous écœurent, il n’est jamais agréable d’être l’un des termes d’un pléonasme. Mais les autres… leur bouche pleine de dents, leur ventre obscur, leurs gestes incompréhensibles, leurs propos insensés… la profonde et terrifiante énigme de l’altérité…

Éric Chevillard, « mardi 6 mai 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014

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