La philosophie est indispensable à l’homme. Un adulte sans philosophie est grotesque. Il faut savoir trouver son chemin vers elle. Courage et perspicacité.
Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 165.
Que la fenêtre donnait sur la rue, si peu. Parce qu’au bout du couloir il y avait bien une porte, qui donnait sur la rue, et qui maintenant est l’entrée principale du cabinet médical. Mais nous on ne s’en servait pas, on passait par le jardin, et la cuisine. Dans le couloir il y avait quoi ? Je n’en sais plus rien. J’y verrais bien une machine à coudre Singer, ancien modèle à pédalier, avec son couvercle, mais peut-être j’invente. J’ai souvenir de cette ombre, je dois faire avec l’ombre.
François Bon, Mécanique, Verdier, pp. 36-37.
Le chef ne fait que dire le chantier. Rien d’autre.
Si on l’écoute : où est le monde ? qu’est-ce qu’on fait ?
Comment savoir ?
On parle de rien ici.
C’est comme ça tous les jours.
Thierry Metz, Le journal d’un manœuvre, Gallimard, p. 42.
Il y aura un plaisir supplémentaire à triompher et à s’enivrer de ce dont la plupart s’ennuient. Pour lire les Classiques, tous les mobiles sont bons, car ils ne trompent, n’abusent, ni ne déçoivent ; on peut donc déjà recommander de les lire par vanité.
Roland Barthes, « Plaisir aux classiques », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 57.
Je connaissais enfin une nouvelle espèce d’amitié, qui n’est point basée sur des goûts communs, et une espèce de passion de laquelle le désir n’est qu’un des éléments. Un sentiment non explicable en mots humains, et que je m’apprêtais en vain à traduire en un poème. Je commençais :
Tais-toi. N’explique rien : Tais-toi…
J’ai suivi le conseil… J’ai connu l’irrésistible puissance de la douceur… Et j’ai appris à manger les oranges d’une certaine façon…
Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 295.
Nous étions débordés par le temps des choses. Un équilibre tenu longtemps entre leur attente et leur apparition, entre la privation et l’obtention, était rompu. La nouveauté ne suscitait plus de diatribe ni d’enthousiasme, elle ne hantait plus l’imaginaire. C’était le cadre normal de la vie. Le concept même de nouveau disparaîtrait peut-être, comme déjà presque celui de progrès, nous y étions condamnés. La possibilité illimitée de tout s’entrevoyait.
Annie Ernaux, Les années, Gallimard, p. 220.
Viendrez-vous bientôt dîner chez moi à votre tour ? demande à l’araignée une autre araignée empêtrée dans sa toile, d’une toute petite voix.
C’est reparti. Le vaillant petit tailleur rêvait qu’il rêvait, et moi de même, tandis que le réel imperturbable chauffait ses pierres plates au soleil.
En se baissant pour ramasser dans l’herbe un fer à cheval porte-bonheur, le petit tailleur trouve un trèfle à quatre feuilles. Donc, ça marche.
Une perdrix décolle lourdement : nous en sommes encore aux tout premiers vols habités, les fusées ce sera pour plus tard.
Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 52.
J’étais assez peu décidé à retourner à Arles, et, quant à Marseille, je me trouvais face à la délicate question de m’y rendre pour acheter des chaussures avant, en quelque sorte, d’y être arrivé de manière naturelle, ou instinctive, ou encore globale, ou absolue, à savoir de ne pas y être arrivé fondamentalement tout en m’y trouvant de façon anecdotique. Inversement, j’avais besoin de mocassins maintenant, et non quand j’arriverais de façon naturelle à Marseille, de sorte que, tandis que je recherchais l’endroit où je m’étais garé, je m’exerçais à exclure mentalement, en dehors d’Arles, soit les mocassins, soit Marseille, aucune de ces solutions ne me paraissant satisfaisante.
Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 132.