ennuyer

Il m’ennuyait et ne se faisait pas d’illusion à ce sujet ; exhalant tout le fatalisme d’un homme qui ne peut pas ne pas ennuyer, il se tenait au pied du mur et tout cela était stérile au possible, vain. Il insistait : « Rappelle-toi », mais je savais qu’il insistait par ennui, ce qui m’ennuyait.

Witold Gombrowicz, Cosmos, Denoël, p. 69.

David Farreny, 15 fév. 2004
risque

Je me suis souvent étonné que l’on n’ait jamais vu de princes qui aient désiré mourir par simple dégoût, par pure satiété de leur état, comme on l’entend dire tous les jours des simples particuliers. Je pense à ces auditeurs d’Hégésias le Cyrénaïque, qui après l’avoir entendu déclamer ses leçons sur la misère de la vie sortaient de l’école pour aller se tuer, si bien que ce philosophe fut surnommé le Tentateur de la mort et que, dit-on, le roi Ptomélée lui interdit de continuer à professer sur ce thème. Il est vrai que l’on trouve parfois des princes, comme le roi Mithridate, la reine Cléopâtre, l’empereur Othon, et peut-être quelques autres, qui se donnèrent la mort, mais c’est parce qu’ils étaient alors frappés par l’adversité et menacés de plus grands malheurs. Or, il m’eût semblé naturel que les princes, plus facilement que d’autres, dussent prendre en aversion leur état, se lasser de tout, et souhaiter la mort. En effet, comme ils siègent au point culminant de ce que l’on nomme le bonheur humain, et qu’ils n’ont pas grand-chose, peut-être rien, à espérer des prétendus biens de la vie, puisqu’ils les possèdent tous, ils ne peuvent se promettre de lendemains meilleurs que la veille. Le présent, pour fortuné qu’il soit, est toujours triste et sans attrait, seul le futur risque de plaire.

Giacomo Leopardi, « Dialogue de Plotin et de Porphyre », Petites œuvres morales, Allia, p. 224.

David Farreny, 9 nov. 2005
ethnologie

L’ethnologie ne sert qu’à l’évacuation des résidus sexuels de l’Occident.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 45.

David Farreny, 1er janv. 2006
oisiveté

Mais le stade est nommé dans l’Écriture, direz-vous ? D’accord ; mais avouez aussi avec moi qu’il est indigne de vous de regarder ce qui se passe dans le stade, les coups de pied, les coups de poing, les soufflets et les mille insolences qui dégradent la majesté de l’homme, image de Dieu. Vous ne parviendrez jamais à approuver ces courses insensées, ces efforts pour lancer le disque, et ces sauts non moins extravagants ; jamais vous ne louerez cette vigueur inutile ou fatale, encore moins cette science qui travaille à nous donner un corps nouveau, comme pour réformer l’œuvre de Dieu. Non, non, vous haïrez ces hommes que l’on n’engraisse que pour amuser l’oisiveté des Grecs.

Tertullien, Contre les spectacles, Vivès.

David Farreny, 28 mars 2011
tonnelles

De qui la Grande Muraille devait-elle protéger ? Des peuples du Nord. Je suis originaire du sud-est de la Chine. Aucun peuple du Nord ne peut là-bas nous menacer. Nous lisons des récits à leur sujet dans les livres des Anciens, les cruautés qu’ils commettent conformément à leur nature nous arrachent des soupirs à l’abri de nos paisibles tonnelles. Sur les images fidèles de nos artistes nous voyons ces visages de maudits, ces bouches grandes ouvertes, ces mâchoires armées de crocs pointus et dressés, ces yeux à demi fermés qui paraissent déjà loucher vers la proie que leurs dents vont déchirer et broyer. Quand les enfants ne sont pas sages, nous leur faisons voir ces images et ils se réfugient en pleurant sur notre poitrine. Mais nous n’en savons pas plus long sur ces peuples du Nord. Nous ne les avons pas vus et, si nous restons dans notre village, nous ne les verrons jamais, même s’ils foncent droit vers nous sur leurs chevaux farouches — le pays est trop grand, il ne les laissera pas parvenir jusqu’à nous, ils iront se perdre dans les airs.

Franz Kafka, « Lors de la construction de la muraille de Chine », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 480.

David Farreny, 16 déc. 2011
hâte

Que la crainte, l’affliction, la désolation existent en ce monde, il le comprend, mais seulement dans la mesure où ce sont là des sentiments vagues et généraux qui passent en rasant la surface. Tous les autres sentiments, il les nie, il prétend que ce que nous appelons ainsi n’est qu’illusion, conte de fées, mirage de l’expérience et de la mémoire.

Comment en serait-il autrement, pense-t-il, puisque les événements réels ne peuvent jamais être rejoints, et moins encore dépassés par notre sentiment ? Nous ne les vivons qu’avant ou après l’événement réel, qui passe dans la hâte incompréhensible de l’élémentaire, ce sont des fictions qui s’apparentent au rêve et se limitent à nous. Nous vivons dans le silence de minuit et l’expérience du lever et du coucher du soleil, nous la faisons selon que nous nous tournons vers l’est ou vers l’ouest.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 502.

David Farreny, 9 nov. 2012
citrons

Mais, avant de partir, j’achetais au marchand de journaux l’un des quotidiens de Rome ou de Milan dont chaque page avait la taille d’une affiche et qu’on lisait en écartant les bras comme un Christ. Chaque mot imprimé avait son poids d’encre et de plomb. Sans couleur, sans publicité, la une ne présentait rien que d’intimidant. Cette austérité, au pays des citrons !

Thierry Laget, Provinces, L’Arbre vengeur, p. 101.

David Farreny, 20 juil. 2014
partager

Le partage final n’est pas entre homos et ceux que ceux-ci appellent hétéros (être un hétéro, c’est être quelqu’un qui accepte que les homos le baptisent, ce qui est tout de même assez gratiné). Il est entre ceux qui demandent l’enfant et ceux qui le refusent. La majorité des homos demandent l’enfant.

Philippe Muray, « 30 juin 1985 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 556.

David Farreny, 3 juin 2015
agression

Cioran raconte – peut-être l’ai-je rêvé – qu’un moine d’Égypte, après quinze ans de solitude complète, reçut de ses parents et de ses amis tout un paquet de lettres. Il ne les ouvrit pas, il les jeta au feu pour échapper à l’agression des souvenirs. Il convient de s’évader de sa propre histoire. Celui qui n’a brisé aucun lien est un esclave qui mérite d’être traité comme tel.

Roland Jaccard, « 24 mai 2020 », Le billet du vaurien. 🔗

David Farreny, 24 fév. 2024

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