clan

Foule infinie : notre clan.

Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 321.

David Farreny, 13 avr. 2002
sinon

Mais voici le plus atroce : l’art de la vie consiste à cacher aux personnes les plus chères la joie que l’on a à être avec elles, sinon on les perd.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 69.

David Farreny, 24 mai 2003
valences

Des idées passent, fulgurantes, mais qu’il ne reverra plus (inutilisables). Des impressions à changer toute une vie, mais aussitôt perdues dans les coulisses du néant. Une agitation le prend, seule réponse possible aux commencements contradictoires qui se forment en lui. Une titillation d’envies, d’envies incessantes, extrêmes et puis disparues, qui reviennent ou pareilles ou autres, mais toujours tendues, éperdument désirantes. Des pulsions apparaissent dans un entrebâillement de conscience de plus en plus court, de plus en plus outrées, d’une outrance de plus en plus incompatible avec toute vie sociale, avec sa propre vie dans quelque milieu que ce soit. Débordantes envies qu’il lui faut veiller à réprimer dans l’instant.

L’intelligibilité s’accroît merveilleusement. Idées fringantes, prodigieusement interrelationnées, tenant par vingt valences, éclairées à la lumière d’un phare invisible.

Il voit. Il a compris, mais dans un tournoiement tout disparaît. Il reste un bourdonnement énigmatique.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, pp. 133-134.

David Farreny, 21 oct. 2005
voyais

Cathy, que l’adversité stimule, entre dans le roncier avec une vigueur issue (j’imagine) de la Sibérie orientale, de sa lointaine ascendance bouriate ou mandchoue. J’admire, discrètement, l’assortiment unique d’énergie et de grâce, de fraîcheur et de feu, de pudeur, de modestie, de bonté, de force d’âme qu’il a plu aux puissances occultes de composer avec le soin infini dont elles étaient capables avant de le placer sur ma route désastreuse, il y a exactement trente ans. Je n’avais absolument rien à offrir en échange, hormis ceci : je voyais. J’avais quatorze ans et j’ai vu, tout, d’emblée, sans que rien m’échappe, avec le ferme dessein d’en tenir le plus grand compte.

Pierre Bergounioux, « mardi 20 juillet 1993 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 316.

David Farreny, 20 nov. 2007
habitable

La mer de l’Odyssée nous est barrée, celle de Racine non moins, celle de Bonnard tout autant ; les plages de Jules et Jim n’existent plus, ni leurs pinèdes ; c’est tout juste si nous pouvons attraper quelques vestiges ultimes des Vacances de M. Hulot, et pour le reste ne nous tend plus guère les bras que l’univers des Bronzés : nous y tombons d’un cœur allègre, en affectant de croire que c’est au moins Cabourg, et que Tendre est la nuit, sinon Nausicaa. La Hollande et ses ciels peuvent prodiguer encore, à condition de méticuleux cadrages, quelques belles impressions de Ruysdael. Mais le plus grand paysage classique européen, surtout dans sa forme la plus princeps et la mieux consacrée, c’est-à-dire romaine, il y a beau temps qu’il n’a plus de répondant sur la terre ; il en va de lui comme de ce mythe dont la mélancolie nous est désormais soustraite, elle aussi, la «  campagne romaine  » : champs de ruines parmi les pacages et les montagnes du soir, que nous disaient ces flâneries et ces vedute, sinon la fragilité des empires, des bonheurs et la nôtre, et la familiarité pastorale de la mort ? Les bretelles et les talus du grande raccordo annulare ne racontent plus rien de tel, ni leur tumulte ordurier. Circulation frénétique, embouteillages, klaxons, chantiers perpétuels, détritus généralisés : on peut dire que c’est la vie même. Mais c’est la vie sans art, sans forme, sans silence, sans faille ni sans refuge pour la solitude, sans habitable idée de la mort. Elles ne sont plus en nous, nous sommes tout en elles. Leur victoire est cette fois totale.

Renaud Camus, « Wittgenstein sur la côte de Galway », Esthétique de la solitude, P.O.L., pp. 160-161.

David Farreny, 3 sept. 2009
intermède

Au sortir de l’adolescence s’ouvre un intermède décevant auquel on ne conçoit pas de fin. Une fois encore, j’aurais eu besoin, j’ai attendu qu’on me dise. Le dépit de me découvrir embarrassé de termes empruntés, inopérants sur les choses concrètes, rétives de toujours, pour cuisant qu’il fût, m’aurait moins affecté si je l’avais su inévitable, peut-être passager. J’aurais laissé à celui que je serais ultérieurement devenu le soin d’une opération que j’avais crue toute simple et qui ne l’était pas. J’avais cédé une année de la seule vie qui vaille, puis deux puis d’autres, encore, au terme de quoi je comptais que le chapitre obscur par où j’ai commencé serait expliqué. Je saurais. Je serais libre. Je m’établirais à l’endroit où j’attendais, en quelque sorte, ma propre venue.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, pp. 76-77.

Élisabeth Mazeron, 27 mai 2010
tout

Autun. L’électricien aux yeux noyés, une vieille belette. Les enfants le houspillent.

« Comment qu’ça va, missieur J. ?

– Tout doux, tout doux, du Giraudoux. »

À minuit la salle se vide dans un tonnerre, trop d’images dans la tête. On se retrouve tout seul avec 500 mètres à rembobiner.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 59.

Cécile Carret, 18 juin 2012
espèce

Plus tard seulement, à la veillée, dans les grandes cuisines enfumées, sur la place ou à l’auberge, s’amorce la conversation dans cette langue claire et robuste dont les tournures rituelles permettent toutefois l’expression d’un esprit vivace et savoureux relevant lui aussi du rite mais plus tribal que singulier. Des propos de ces hommes, le village émerge comme un univers dans le réseau serré des parentés, dans la profondeur des générations qui les unes après les autres ont habité ces maisons grises, dans l’histoire des avoirs, des changements de fortune des familles, dans les maladies, les naissances, les morts, dans les vieillards légendaires ; et tout est considéré comme un rite, un tribut dû à la vie et au temps. Comment dire ce qu’est par exemple l’assistance aux malades ou la veillée des morts quand tous, commères, hommes et enfants mêmes savent trouver les mots justes du rite qui consolent rituellement par cette pitié inhérente née non pas du cœur mais de la religion antique et tourmentée de l’espèce.

Mario Luzi, « Le mont Amiata », Trames, Verdier, p. 33.

David Farreny, 26 fév. 2013
lacune

                            Oui, pirates, baleiniers,

navigateurs tenaces du sensible,

n’ayant d’aucun destin à témoigner,

ont traversé ces mers accoutumées

dans l’anonyme flux des horizons,

traçant partout leurs routes — de fumées.

À peine un fin sillage de leur court

périple.

              Noms sur une pierre

                                                 encres

séchées sur un registre.

                                   Bref discours :

nés à…

              morts à…

                            perdus en mer…

                                                        Et une

date en regard de ces événements

fragiles feux follets d’une lacune,

pas même attestés par des témoins

de bonne foi, présents à ce scandale

d’apparitions et de disparitions

mystérieuses…

Benjamin Fondane, Le mal des fantômes, Verdier, p. 79.

David Farreny, 21 juin 2013
œuvre

L’existence de l’œuvre d’art prouve que le monde a un sens.

Même si elle ne dit pas lequel.

Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 19.

David Farreny, 1er mars 2024

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