rationnelle

La sédentarité défiante, opiniâtre qu’on pratiquait était rationnelle.

Pierre Bergounioux, La puissance du souvenir dans l’écriture, Pleins Feux, p. 18.

David Farreny, 23 mars 2002
eux

C’est effrayant de penser qu’il y ait tant de choses qui se font et se défont avec des mots ; ils sont tellement éloignés de nous, enfermés dans l’éternel à-peu-près de leur existence secondaire, indifférents à nos extrêmes besoins ; ils reculent au moment où nous les saisissons, ils ont leur vie à eux et nous la nôtre. Je l’éprouve plus douloureusement que jamais en vous écrivant, Chère ; infiniment Chère à qui je voudrais dire tout. Mais comment ?

Rainer Maria Rilke, « 7 décembre 1907 », Lettres à une amie vénitienne, Gallimard, p. 15.

David Farreny, 10 fév. 2007
indifférence

Mais qu’est-ce que cette sagesse, sinon l’usure de nos sentiments, et le refroidissement de notre ferveur ? La présence en nous d’une plus grande quantité de la sottise du monde (nous en absorbons un peu plus chaque année, sans doute) et l’acquisition de ce fonds d’indifférence, qui n’est qu’un fonds d’imbécillité ?

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 103.

David Farreny, 24 avr. 2007
s’attendre

Autrement dit, vivre, c’est espérer vivre, c’est attendre. S’attendre à vivre.

Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard, p. 44.

David Farreny, 12 mars 2008
frange

Quand j’écoute les prisonniers de guerre, si je les plains d’avoir été victimes d’événements qui leur échappaient, avec le sentiment d’avoir été, moi, victime de mon choix, lorsqu’ils racontent comment ils ont comblé le néant de tant d’années, je les jalouse. Ils recevaient des livres, faisaient du théâtre, montaient des spectacles. Ils avaient des clous, de la colle. Ils ont pu vivre dans l’imaginaire. Quelques fois, quelques heures, mais qui comptaient.

Vous direz qu’on peut tout enlever à un être humain sauf sa faculté de penser et d’imaginer. Vous ne savez pas. On peut faire d’un être humain un squelette où gargouille la diarrhée, lui ôter le temps de penser, la force de penser. L’imaginaire est le premier luxe du corps qui reçoit assez de nourriture, jouit d’une frange de temps libre, dispose de rudiments pour façonner ses rêves. À Auschwitz, on ne rêvait pas, on délirait.

Charlotte Delbo, Auschwitz et après (2), Minuit, p. 90.

Cécile Carret, 27 août 2009
ouvrir

Plus une écriture est elliptique, blanchie, économe de mots, plus elle optimise la résonance de chacun d’eux, et ouvre le sens. Mais il y a une limite basse à cela : à trop vouloir ouvrir le sens, il n’y a plus de polysémie mais seulement un mot, nu comme un ver.

On peut isoler un mot sur la page, mais il faut alors que le reste de la séquence ou du poème pousse sur lui comme un pack de rugby « jusqu’à ce qu’il éclate et livre son ciel ».

Bref il convient de ne pas délaver au point qu’il n’y ait plus que de l’eau.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 12.

Cécile Carret, 4 mars 2010
superfétation

Je pensais très peu. Peut-être les mots avaient-ils sombré dans le blanc comme il arrive dans l’excès de l’insomnie et que l’aube soudain vous regarde qui ne regardez rien. Quelquefois seulement, je me disais : j’attends. Mais c’était moins une phrase consciente qu’une intuition du corps et comme en marge du verbe. J’attendais simplement parce que j’étais là, parce que je me tenais debout — sans raideur, les bras ballants, les mains ouvertes, les jambes un peu écartées, comme un marcheur brusquement saisi dans sa marche et désormais en arrêt pour la fin des temps. J’attendais parce que tout autre raison d’être avait définitivement failli : tous les accommodements du désir et du réel, tout le système péremptoire des certitudes, toute la dynamique des projets et des ambitions — toute la superfétation, autrement dit, qui se cache derrière l’adhésion à la vie, avait cessé de fonctionner.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, pp. 76-77.

Élisabeth Mazeron, 25 mars 2010
épouvantail

À défaut de se reposer sur l’absence d’attributs, ce serait bien si l’on avait la capacité de se dédoubler. On s’assiérait au fond du parterre pour se regarder soi-même sur la scène par-dessus l’épaule du spectateur. Ou bien on gagnerait quelque tertre garni d’herbe fraîche pour se contempler, au loin. On se verrait courir à toutes jambes dans la poussière des années, talonné par la lueur de petits épouvantails avec des culottes courtes, des chapeaux de paille, trois mots griffonnés. On verrait l’éclair froid de l’acier, la flamme atteindre le simulacre, des lambeaux de tissu voler dans tous les sens, un peu de fumée et ce qui est, d’une certaine manière, soi, le bonhomme tout nu avec son unique bouton, ses cloques et ses estafilades en train, déjà, de filer comme un rat en ramassant, dans sa course, des brindilles, des nippes, des mots pour bâcler, un peu plus loin, un nouvel épouvantail pareillement promis au fer et au feu.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, pp. 27-28.

Élisabeth Mazeron, 4 juin 2010
fêtes

Je n’oppose plus, comme avant, les fêtes auxquelles j’ai pris part à celles qui m’ont échappé : là comme ici, la vie fait résonner le même silence.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 110.

David Farreny, 29 mars 2013
coiffeur

J’ai cessé d’aller chez le coiffeur à l’âge de quatorze ans à cause de l’odeur de la laque, du crissement des doigts de la shampouineuse sur mes cheveux mouillés, et de la douleur de ma nuque sur le bac en forme de U. Je coupe moi-même mes cheveux, ce qui étonne mes amis puisque avec l’expérience, je me rate peu.

Édouard Levé, Portrait, P.O.L., p. 20.

Cécile Carret, 30 mars 2014
saison

L’été n’est pas une saison vivante mais une saison vécue.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 236.

David Farreny, 24 août 2014

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