métriques

Le port sécrète de l’avenir, réconforte avec ses quintaux métriques d’éléments vitaux et premiers.

Michel Besnier, Cherbourg, Champ Vallon, pp. 64-65.

David Farreny, 22 mars 2002
déborde

Tout va très vite. Nous ne pouvons compter ni sur les choses, ni sur les paysages, ni même sur nos attentes et nos pensées. Nous ne goûterons pas la douceur des permanences, la quiétude qui sourd de ce qui déborde et conforte notre brève saison. À peine commençait-on à se familiariser avec le visage du monde qu’il s’altère et s’évanouit. Un autre le remplace qui ne lui ressemble pas et dont on pressent, déjà, l’abolition prochaine.

Pierre Bergounioux, La fin du monde en avançant, Fata Morgana, p. 15.

David Farreny, 17 oct. 2006
avaries

C’est le trait terrible dans le vieillissement : il vous donne bientôt la gaîté de cœur qui permet d’accepter comme allant de soi des retranchements sur les sens et sur le cœur, considérés auparavant comme de monstrueuses avaries.

Pierre Drieu La Rochelle, « Récit secret », Récit secret. Journal 1944-1945. Exorde, Gallimard, p. 12.

David Farreny, 5 juil. 2009
inédite

On y reviendra à cette évidence toujours à redire, et en particulier à propos du scandale, pierre d’achoppement de la déroute, car il se joue là un phénomène étrange, touchant au mystère même d’écrire, qui est qu’une métaphore n’atteint sa toute-puissance que lorsqu’elle est concrètement inédite, entraînant dans un même mouvement l’écrivain et son lecteur sur les terra incognita de cet univers infini qu’est la langue. Serait-elle neuve à l’oreille du lecteur, une métaphore préexistant à l’écriture d’un texte ne sera jamais qu’une métaphore tirée à blanc ; ce n’est pas seulement la lecture qui en est faite qui lui donne sa puissance de déflagration dans la langue, cela se joue en amont, à l’instant du surgissement dans l’écriture, comme s’il fallait qu’il y ait eu déflagration éprouvée par l’auteur au moment de l’écriture pour que le lecteur la ressente à son tour. Qu’il en soit ou non le créateur, un écrivain répétant une métaphore, quand bien même celle-ci serait inconnue du lecteur, provoquera peut-être de l’intérêt, de l’adhésion, du plaisir (celui-là même que l’auteur a pris à la répéter), mais pas ces étincelles mystérieuses qui jaillissent entre auteur et lecteur du plus obscur de la forge individuelle où se travaille la langue de tous.

Bertrand Leclair, Théorie de la déroute, Verticales, p. 20.

Cécile Carret, 26 août 2009
épeurai

Porté par un tel élan, j’y fus bientôt, et, sous l’orbe adouci de la lampe, je retrouvai le lieu d’une existence dont la médiocrité m’apparut, brutale, et d’un coup. Rien n’avait changé cependant, et, dans ce sommeil qu’ont les choses la nuit, mes objets familiers demeuraient à leur place, silencieux et prêts à l’usage.

Un reste de feu mourait sous la cendre ; sa lueur dorait le flanc d’un vase, et, çà et là, quelques reliures. Je vis sur ma table le travail commencé, les feuillets noirs, et la plume, et les notes innombrables. Je vis tous ces témoins de mon labeur et de ma foi ; leur inutilité navrante m’apparut, et celle même de ma vie, et son ordre pauvre. Je perçus combien grande était ma faiblesse, et je m’épeurai.

Félix Vallotton, La vie meurtrière, Phébus, pp. 84-85.

David Farreny, 13 juil. 2010
hors

Elle semble bien comprendre ma question, une question d’homme, celle qui se pose aux lecteurs de La Princesse de Clèves, au moment où l’héroïne, lorsqu’elle se trouve enfin libre de répondre au désir du duc de Nemours, qui l’a si fort troublée, choisit plutôt « le repos ». Il y a une paix de l’intimité solitaire, hors d’atteinte de l’intrusion masculine et en général de l’intrusion, me dit-elle : être chez soi, travailler ou ne rien faire, écouter de la musique, et dont elle évoque un exemple. Ou plutôt une sensation qu’elle éprouve fréquemment, et dont elle essaie de me donner une idée : quand elle va faire des longueurs à la piscine, et que les cheveux et les oreilles étroitement enserrés dans un bonnet, elle-même contenue par l’eau qui l’enveloppe étroitement et l’isole, seule avec le tout d’elle-même, sans dérangement au moins pendant ce temps-là. L’exemple est énigmatique, et suggestif.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 77.

Cécile Carret, 13 mars 2011
panorama

Puis on me mit au lit dans une grande chambre au sommet de la maison, dans un dortoir de douze lits, aux murs revêtus de planches vernies. C’était si haut – on ne voyait, de toutes parts, que le ciel descendre jusqu’en bas des grandes fenêtres – qu’on se serait cru en pleine mer, dans le poste de commandement d’un navire. La neige tourbillonnait dans le vide.

Pour découvrir l’immense panorama il fallait aller sur le balcon, et toute la vallée se déployait alors. Un seul coup d’œil permettait d’être partout à la fois, de savoir bien avant les habitants du village qu’un camion rouge était en train d’arriver ou qu’on faisait traverser la route à un troupeau de vaches dont on entendait de loin les clarines.

Ce fut, dès lors, tous les jours, la même aventure du regard. Pendant les huit ans que je passais dans ce pensionnat appelé Collège Florimontane, je ne m’en lassais pas. Toute la vallée, avec ses pentes, ses maisons, ses habitants, était à la disposition du regard. Tout à la fois, on pouvait voir les gens traverser la place du village et sur la pente, à une demi-heure de marche de là, le fermier en train de rajuster sa barrière autour du potager carré.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 173.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
existence

Je les saluai et dis ensuite, sans toutefois franchir encore le seuil :

« Comme je cherchais justement un endroit pour passer la nuit dans le village, un jeune homme assis sur le mur de votre jardin m’a dit qu’en payant, on peut passer une nuit à la ferme. »

Les deux vieux avaient planté leurs cuillers dans la bouillie, s’étaient adossés à leur banc et me regardaient en silence. Leur attitude n’avait rien de très engageant, c’est pourquoi j’ajoutai :

« J’espère que le renseignement qu’on m’a donné était exact et que je ne vous ai pas dérangés inutilement. »

Je dis cela très haut, car ils étaient peut-être aussi tous deux durs d’oreille.

« Approchez », dit l’homme au bout d’un moment.

C’est uniquement parce qu’il était si vieux que je lui obéis ; autrement, il va de soi que j’aurais exigé de lui une réponse aussi claire que l’était ma question. Quoi qu’il en soit, je dis en franchissant le seuil :

« Si le fait de m’héberger devait vous attirer le moindre ennui, si infime fût-il, dites-le-moi franchement, je n’insiste pas du tout. J’irai à l’auberge, cela m’est absolument égal.

— Il parle tant », dit la femme à voix basse.

Cela ne pouvait être que dans l’intention de m’insulter ; ainsi, on répondait à mes politesses par des insultes, mais c’était une vieille femme, je ne pouvais pas me défendre. Et peut-être était-ce justement à cause de cette impuissance à me défendre que la remarque de la femme — à laquelle je n’osais riposter — agissait sur moi beaucoup plus profondément qu’elle n’eût mérité de le faire. Je sentais là quelque chose qui autorisait je ne sais quel reproche, non parce que j’avais trop parlé, je n’avais effectivement dit que le strict nécessaire, mais pour d’autres raisons qui touchaient de très près à mon existence. Je ne dis plus rien, n’insistai pas pour obtenir une réponse, avisai un banc tout proche dans un coin sombre, y allai et m’assis.

Franz Kafka, « Tentation au village », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 281-282.

David Farreny, 3 déc. 2011
pointe

Je continue de vider les bibliothèques du sous-sol, de mettre en caisse des livres que je ne lirai plus et cette occupation s’accompagne de pensées funèbres. Je remue les années mortes, fais lever des fantômes. Les moments écoulés, quoiqu’on les ait vécus avec toute l’intensité dont on était capable et comme à la pointe de soi, deviennent, à la lumière des suivants, une approximation malheureuse dont le souvenir afflige. On n’est pas. On devient. On n’arrivera pas. On meurt en chemin.

Pierre Bergounioux, « lundi 4 août 2003 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 399.

David Farreny, 26 janv. 2012
lithographies

Ô jardins, même pas suspendus ! Quelque part

le voyageur s’égare dans une forêt d’hommes ;

il écoute dans le ventre des employés des postes

la chanson écrémée et simple des laitières.

Mais y a-t-il encore des voyageurs, des pas

dans le sable, des touristes dévorés par des squales,

des îles ovipares où pousse l’ancolie,

des bateaux échoués sur des lithographies ?

À travers le charbon, l’essence et le pétrole

voici que le visage de l’homme s’est noirci.

Voici qu’il penche sur ses outils de travail :

le rein, le foie et le poumon.

Benjamin Fondane, « Titanic », Le mal des fantômes, Verdier, p. 108.

David Farreny, 21 juin 2013
talonnade

Tout voyage est une talonnade de plus dans la boule de ce monde que nous finirons par envoyer rouler pour de bon derrière nous.

Éric Chevillard, « mercredi 23 juillet 2014 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 10 août 2014

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