poules

Les poules ne pondent pas d’œuf. Personne ne pond. Il n’y a pas moyen. Elles les déterrent.

Henri Michaux, « En marge de Qui je fus », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 132.

David Farreny, 23 mars 2002
Création

Nous sommes plongés dans l’aventure de la Création, exploit des plus redoutables, sans « fins morales », et peut-être sans signification ; et quoique l’idée et l’initiative en reviennent à Dieu, nous ne saurions lui en vouloir, tant est grand à nos yeux son prestige de premier coupable. En faisant de nous ses complices, il nous associa à cet immense mouvement de solidarité dans le mal, qui soutient et affermit la confusion universelle.

Emil Cioran, Essai sur la pensée réactionnaire, Fata Morgana, p. 28.

Guillaume Colnot, 11 juin 2004
vie

Pour moi, une vie heureuse est un bien, sans doute, mais seulement parce qu’elle est heureuse, non parce que c’est la vie.

Giacomo Leopardi, « Dialogue d’un physicien et d’un métaphysicien », Petites œuvres morales, Allia, p. 72.

David Farreny, 9 nov. 2005
risque

Je me suis souvent étonné que l’on n’ait jamais vu de princes qui aient désiré mourir par simple dégoût, par pure satiété de leur état, comme on l’entend dire tous les jours des simples particuliers. Je pense à ces auditeurs d’Hégésias le Cyrénaïque, qui après l’avoir entendu déclamer ses leçons sur la misère de la vie sortaient de l’école pour aller se tuer, si bien que ce philosophe fut surnommé le Tentateur de la mort et que, dit-on, le roi Ptomélée lui interdit de continuer à professer sur ce thème. Il est vrai que l’on trouve parfois des princes, comme le roi Mithridate, la reine Cléopâtre, l’empereur Othon, et peut-être quelques autres, qui se donnèrent la mort, mais c’est parce qu’ils étaient alors frappés par l’adversité et menacés de plus grands malheurs. Or, il m’eût semblé naturel que les princes, plus facilement que d’autres, dussent prendre en aversion leur état, se lasser de tout, et souhaiter la mort. En effet, comme ils siègent au point culminant de ce que l’on nomme le bonheur humain, et qu’ils n’ont pas grand-chose, peut-être rien, à espérer des prétendus biens de la vie, puisqu’ils les possèdent tous, ils ne peuvent se promettre de lendemains meilleurs que la veille. Le présent, pour fortuné qu’il soit, est toujours triste et sans attrait, seul le futur risque de plaire.

Giacomo Leopardi, « Dialogue de Plotin et de Porphyre », Petites œuvres morales, Allia, p. 224.

David Farreny, 9 nov. 2005
dessous

Examinateur encore ignorant mais beaucoup moins, il questionne. L’esprit du pardon, est-ce qu’il y songe ?

Des femmes qui s’ennuient viennent à lui. Ennui à soulever. Il sait ce qu’il y a dessous.

Henri Michaux, « Textes inédits autour du “Poltergeist” », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1037.

David Farreny, 7 août 2006
soustraction

Louis Armand, à la télévision, L’invité du dimanche. Parle de tout avec faconde : « Ce petit Larousse illustrant. » Mélange d’autodidactisme et de mysticisme maçonnique ; et teilhard-de-chardinesque ; je croyais entendre mon maître d’hôtel Raymond, technicien généralisateur, et mon gardien Annest, intarissables sur tout. Et aussi mon cousin Jean Zafiro qu’on peut mettre sur n’importe quel sujet ; on s’assied à table : Hélène et moi, cent fois, nous nous amusâmes à le lancer à l’aveuglette, en nous étant donné le mot, sur l’évolution du fer à cheval, ou l’analyse spectrale des planètes : le cours (avec beaucoup d’assurance, de vanteries, de souvenirs, vrais ou faux) dure jusqu’au café. « C’est un imbécile, il a réponse à tout. » Ce mot de Voltaire m’a toujours frappé : une accumulation prodigieuse, un amas de connaissances encyclopédiques… se soldant par une soustraction.

Paul Morand, « 12 octobre 1969 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 279.

David Farreny, 25 mai 2009
reprise

K. était convaincu qu’Amalia se trompait, Amalia sourit, et ce sourire, bien qu’il fût triste, illumina ce visage si gravement fermé, rendit le mutisme parlant, supprima les distances, livra un secret, livra une possession jusqu’alors gardée qui pouvait bien être reprise, mais jamais complètement.

Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 663.

David Farreny, 22 oct. 2011
pur

À qui Duch ne voudrait-il plaire ? Qui ne veut-il emporter dans son enfer intime et sophistiqué ? Un après-midi que son attitude m’excède, je lui demande : « Comment un intellectuel comme vous a-t-il pu agir de la sorte ? » Il me lance : « C’est ainsi. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse maintenant ? » Moi : « Vous pourriez vous tuer, par exemple. Vous n’y avez jamais pensé ? » Il a un instant d’hésitation : « Si. Mais ça n’est pas si facile. » Moi : « Mon père l’a fait, vous savez. » Alors Duch se met en colère, sa voix devient aigüe et menaçante : « Oui, c’est ça ! Votre père, c’est un héros ! » Je réponds doucement : « Je ne crois pas. Il a mis ses actes en accord avec ses idées. Il se respectait. Vous avez fait la révolution pour la justice, non ? Être un héros me semble facile : sauter sur une mine ; mourir pour sa cause ; c’est un état de guerre. Mais être un homme ; chercher la liberté et la justice ; ne jamais abdiquer sa conscience : c’est un combat. » Duch ne répond pas. Ses grands yeux regardent derrière moi, est-ce le garde, un mur, la caméra, le passé ?

Sur la table de travail de Pol Pot, dans la jungle, il y a des livres de Marx, Lénine et Mao. Un cahier. Des crayons. À côté, un lit de camp, et un krama parfaitement plié. Simplicité et vérité de la révolution. Je me suis souvent arrêté sur cette image de propagande. Qu’ont-ils fait de leurs idées pures ? Un pur crime.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 94.

Cécile Carret, 7 fév. 2012
dissimuler

Il avait à peine examiné ses compagnes de voyage. Lui non plus ne tenait pas à lier connaissance. Instruit d’amères leçons, il feignait l’indifférence. Il savait déjà mieux dissimuler, comme ceux qui cultivent cela toute leur vie.

Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 41.

Cécile Carret, 26 août 2012
étendue

Il faut en France beaucoup de fermeté et une grande étendue d’esprit pour se passer des charges et des emplois, et consentir ainsi à demeurer chez soi, et à ne rien faire. Personne presque n’a assez de mérite pour jouer ce rôle avec dignité, ni assez de fonds pour remplir le vide du temps, sans ce que le vulgaire appelle des affaires. Il ne manque cependant à l’oisiveté du sage qu’un meilleur nom ; et que méditer, parler, lire, et être tranquille, s’appelât travailler.

Jean de La Bruyère, « Les caractères ou les mœurs de ce siècle », Œuvres complètes (1), Henri Plon, p. 242.

Guillaume Colnot, 28 fév. 2013
spacieux

Tout ce gravier roulait sous mes semelles trop épaisses pour me permettre de tâter le terrain, m’obligeant à chaque pas à m’accrocher aux branches trop souples des arbustes ou à une touffe d’épineux.

Je me rappelle pourtant bien avoir atteint le sommet d’où, après un moment de répit passé affalé sur le dernier replat, j’escomptais prendre des environs une vue intéressante, mais il ne me reste aucun souvenir de ce que j’y ai contemplé.

Peut-être l’effort que j’avais dû fournir m’avait-il momentanément privé de toute ressource émotive ; ou peut-être n’ai-je ressenti qu’une déconvenue elle-même d’ailleurs due à cet affaiblissement de ma capacité à réagir en présence d’un paysage répondant à mon appétit pour le spacieux.

Il ne contredit pas un goût tout aussi prononcé pour la clôture : un cercle étroit de collines boisées autour de quelques toits architecturés au creux des prés par un hasard géométricien de génie.

Bien que le temps les oblige à se manifester tour à tour, ce sont deux aspects concomitants du même unique mouvement, et qui s’engendrent l’un l’autre en un point que nous ne pouvons situer que comme un point de fuite.

Devant une irruption du spacieux, j’éprouve une envie très intense de m’y fondre et, comme je n’y parviens jamais complètement, j’exécute une espèce de danse rituelle compensatrice, un peu auvergnate, un peu sioux, qui témoigne au moins de l’allégresse que m’inspire cette rencontre avec un premier degré de l’infini.

Si je pousse en même temps parfois des cris inarticulés ou improvise une mélopée plus savante ? — j’avoue que oui, car il s’agit de célébrer l’ampleur du monde dans un langage lyrique dont les vocables n’aient ni moins ni plus de sens que les sons naturels produits par le vent et les eaux courantes.

Jacques Réda, « Autres écarts expérimentaux », «  Théodore Balmoral  » n° 71, printemps-été 2013, p. 64.

David Farreny, 29 juin 2014
spectateur

Le pessimiste est un spectateur. L’optimiste, un spectacle.

Jaime Fernández.

David Farreny, 26 fév. 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer