veut

La reconnaissance c’est une belle chose, mais l’appétit est autre chose. Le rêve est une belle chose, mais les cuisses disent autre chose. Le respect est une belle chose mais il faut savoir ce qu’on veut.

Henri Michaux, « Braakadbar », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 260.

David Farreny, 24 mars 2002
renoncer

Même si la naissance fut un choc, il ne faut pas désirer, fût-ce dans le rêve le plus trouble, reprendre une vie intra-utérine. Il convient de savoir renoncer. On n’aura plus à naître. Ça au moins n’est plus à recommencer. Et encore. Quelques faits de réminiscence chez de tout jeunes enfants font douter certains. Cette époque peut-elle demeurer dans le doute ? Non ! Il va falloir prochainement faire la preuve. Qu’on soit enfin tranquille. Ou qu’on ne le soit plus jamais…

Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 381.

David Farreny, 14 avr. 2002
placide

Enfin, je me rappelle la satisfaction et la quiétude, je dirais presque le placide bonheur, que procure au milieu de la nuit la perception assourdie de la trépidation des machines et du froissement de l’eau par la coque ; comme si le mouvement faisait accéder à une sorte de stabilité d’une essence plus parfaite que l’immobilité ; laquelle, par contre, réveillant brusquement le dormeur à l’occasion d’une escale nocturne, suscite un sentiment d’insécurité et de malaise : impatience que le cours devenu naturel des choses ait été soudain compromis.

Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Plon, p. 65.

David Farreny, 29 nov. 2003
déguiser

Nous sommes si accoutumés à nous déguiser aux autres qu’enfin nous nous déguisons à nous-mêmes.

François de la Rochefoucauld, Maximes, Flammarion, p. 55.

David Farreny, 22 oct. 2004
illimitation

Il est étrange de penser que ce qui fut, durant deux siècles, la souffrance de l’ère industrielle, la vibration puissante et grave des machines, ébranlant jusqu’à le ruiner le corps des travailleurs, est devenue la réjouissance des oisifs. Le pire est peut-être la cadence invariable des coups portés, l’égalité de la hauteur de la vibration, le bruit sourd et toujours identique, sans modulation, comme un symbole de l’illimitation du mal, ce qui se répète et qui ne change pas, comme un glas infernal et infini.

Jean Clair, « Agressions », Journal atrabilaire, Gallimard, p. 26.

David Farreny, 21 mars 2011
mine

Pendant ces heures de lecture, mon père trouvait enfin, pour une fois, sa place, au soleil dehors sur le banc de la cour, ou sinon sur le tabouret sans dossier à la fenêtre de l’est, où il scrutait avec une mine puérile de savant chacun des caractères – image au souvenir de laquelle il me semble être encore assis auprès de lui.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 66.

Cécile Carret, 4 août 2013
île

Le temps où je n’ai pas été au monde est une île de mots sur laquelle je tente inlassablement de prendre pied tout en sachant qu’on n’y sera que fantôme, l’autre côté n’étant que le royaume de la noire illusion, aucun vivant ne franchissant cette mer inconnue, sinon sous forme de métaphores qui ne sont qu’une anticipation de notre propre mort. Je me retire de ce seuil : la vie n’est pas la gestion plus ou moins raisonnable et heureuse de moments qui se succèdent comme des nuages, mais une série d’actes souvent obscurs, incompréhensibles à autrui, sinon à nous-mêmes, que nous passerons notre vie non pas à essayer d’éclaircir mais à en mesurer l’ombre portée sur un futur où nous ne serons plus.

Richard Millet, Petit éloge d’un solitaire, Gallimard, pp. 65-66.

David Farreny, 25 août 2013
culs

toi t’aimes bien les bons petits culs, t’aimes bien ça voir les petits culs tout bons, t’aimes bien voir un bon petit cul passer, un bon petit cul papoter ou passer, hein ouais t’aimes bien voir ça, le bon petit cul qui demande pas son reste et passe, qui passe et qui rapasse, mais le bon petit cul ne demande pas mieux que de rester, le cul petit tout bon qui demande pas son reste mais reste tout de même, t’aimes bien ça hein, t’aimes bien que le petit cul tout bon reste sur place, pour ça t’aimes bien que ça t’écoute un bon petit tout cul, que ça se tende bien de par le cul le petit cul tout bon, que cul tendu te soit tout ouïe, qu’il soit tout oui le tout bon petit cul tout ouïe, qu’un petit tout bon cul comme ça c’est bon pour n’être qu’un petit cul après tout, pourquoi ce n’est pas qu’un tout bon petit cul qui passe et qui rebondit quand on l’appelle, quand on le retient pour qu’il fasse un gros oui le tout petit bon cul tout ouïe à toi, car c’est à toi qu’il est le petit bon tout cul n’est-ce pas, et ça t’aimes bien, t’aimes bien avoir ton tout bon petit cul et qu’il te dise que oui, que ça dise oui à tout, à tout bout de champ le tout bon cul petit qui passe et qui rebondit, c’est ça que t’aimes au fond, au fond du fond t’aimes bien les tout bons petits culs qui passent, qui passent et qui rapassent, les bons petits tout culs qui ne restent pas en place

Charles Pennequin, « Les petits culs », Pamphlet contre la mort, P.O.L., pp. 92-93.

David Farreny, 11 fév. 2014
loi

Il avait coutume de nommer ses vertus et ses défauts, Chambre des communes et Chambre des Lords et, très souvent, la première promulguait une loi que la seconde refusait d’adopter.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 135.

David Farreny, 23 oct. 2014
petit

Même le diariste le plus présomptueux en vient à douter de l’intérêt que représentent ces pages envahies par le désarroi des sentiments, par l’absurdité quotidienne, par l’effort, presque toujours vain, de retenir une existence qui va à vau-l’eau. Lorsque le jeune Boswell demande à l’illustre Samuel Johnson s’il valait vraiment la peine de noter dans ses carnets de si « petites » choses, ce dernier lui répondit avec superbe : « Dès lors qu’il est question de l’homme, rien n’est jamais trop petit. » Ce pourrait être le premier commandement du diariste, le second étant : « Nulla dies sine linea », une façon comme une autre de dresser une barrière entre le néant et soi, en s’enfermant dans un cercle qui rétrécit d’année en année, jusqu’à la réclusion totale.

Roland Jaccard, « Les idoles du néant », La tentation nihiliste, P.U.F., pp. 116-117.

David Farreny, 9 déc. 2014

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