étalé

Le comble est que je ne me souviens pas si pour ma part je suis arrivé jusqu’à l’orgasme. Mais peu importe : l’orgasme est étalé sur les mois et sur les années, multiplié par le souvenir et par son immanquable effet, attesté hier encore et ce matin, à l’instant, à cause de ces phrases même — le point de renversement égaré étant atteint sur le mélange d’une sensation visuelle étroite, obscure et vaporeuse, très rapprochée et d’une sensation tactile, procédant plus exactement du toucher, à la fois, et du goût, celle que me donnaient ma langue et mes lèvres, avançant sur les poils en sueur, très denses, du haut du dos de cet inconnu, entre son épaule et sa nuque.

Renaud Camus, « mercredi 14 avril 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 94.

Élisabeth Mazeron, 12 août 2003
coule

Par moments, des milliers de petites tiges ambulacraires d’une astérie gigantesque se fixaient sur moi si intimement que je ne pouvais savoir si c’était elle qui devenait moi, ou moi qui étais devenu elle. Je me serrais, je me rendais étanche et contracté, mais tout ce qui se contracte ici promptement doit se relâcher, l’ennemi même se dissout comme sel dans l’eau, et de nouveau j’étais navigation, navigation avant tout, brillant d’un feu pur et blanc, répondant à mille cascades, à fosses écumantes et à ravinements virevoltants, qui me pliaient et me plissaient au passage. Qui coule ne peut habiter.

Le ruissellement qui en ce jour extraordinaire passa par moi était quelque chose de si immense, inoubliable, unique que je pensais, que je ne cessais de penser : « Une montagne malgré son inintelligence, une montagne avec ses cascades, ses ravins, ses pentes de ruissellements serait dans l’état où je me trouve, plus capable de me comprendre qu’un homme… »

Henri Michaux, « Misérable miracle », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 650.

David Farreny, 24 août 2003
terrier

Défaire

détourner

ramener à soi

rejeter d’auprès de soi

froisser

Insignifier par des traits

Percer

pousser

cherchant

cherchant toujours LA SORTIE DU TERRIER

Henri Michaux, « Par des traits », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1250.

David Farreny, 7 août 2006
en-face

Les résistances qui s’opposaient à mon cheminement dans la vie portaient des noms de personnes. Je me heurtais à des visages, à des corps — à des voix, surtout, dispensatrices d’ordres, de conseils, de menaces et accablantes d’un savoir qui n’était pas le mien et fertiles en jugements péremptoires contre lesquels je n’avais que ma solitude comme puissance de désaveu. Mais tout cela, au jour le jour, dans la continuité tendue d’un temps que je m’efforçais de dominer, constituait un en-face par rapport auquel je me situais, fût-ce même par ailleurs pour louvoyer et composer à travers de misérables entreprises quotidiennes de séduction (cherchant constamment à plaire pour me concilier les puissances du jour). En cela, mon adhésion à la vie ne différait pas de ce qui se passe chez n’importe quel jeune homme passé, présent et à venir.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, p. 45.

Élisabeth Mazeron, 13 mars 2010
volume

Cependant, tel le beau poisson qui scintille parfois dans le courant d’une rivière aux eaux sales et troubles à la sortie des usines, brille de temps en temps dans ce flot de vieux papiers le dos d’un volume précieux ; ébloui, je regarde un moment ailleurs puis je le repêche, je l’essuie à mon tablier, je l’ouvre, je hume le parfum de son texte, je concentre mon regard sur la première phrase et la lis telle une prédiction homérique, et ce n’est qu’après ça que je dépose le livre au sein de mes autres belles trouvailles, dans une caisse tapissée d’images saintes jetées par erreur dans ma cave avec des livres de prières.

Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, Robert Laffont, p. 13.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
rêves

Je bois une gorgée et les regarde s’affairer à leurs tâches infimes : rouler une cigarette, porter une cannette à leur bouche, dire quelque chose à un chien.

Une des femelles parle d’ouvrir une boutique de tatouages, une boutique « légale » : rêves minuscules, pathétiques. Pourquoi pas une boutique de souvenirs punks du temps où ils étaient zombies, pourquoi pas une épicerie de croquettes pour chiens bio ? Ils ont envie de sauver le monde : alors qu’ils disparaissent, qu’ils prennent leurs responsabilités ! La secte écologiste se demande quel monde on va laisser à nos enfants ? Mais moi je vois leur progéniture et me demande quels enfants on va laisser au monde.

François Beaune, Un ange noir, Verticales, p. 219.

David Farreny, 23 août 2011
portiques

Et si ce n’est ce chant, je vous le demande, qui témoignera en faveur de la Mer — la Mer sans stèles ni portiques, sans Alyscamps ni Propylées ; la Mer sans dignitaires de pierre à ses terrasses circulaires, ni rang de bêtes bâtées d’ailes à l’aplomb des chaussées ?

Saint-John Perse, « Amers », Œuvres complètes, Gallimard, p. 264.

Guillaume Colnot, 3 avr. 2013
brick

In place of food, my senses existentially turn to old high walls of red brick, and I lie awake at night weighing the fascination. There will never be an end or a conclusion to this dazed attraction, and even now, decades on, I cannot find any written acknowledgement of the trance such things pull me into. Whatever detains the eye is understood by no one, least of all me.

Morrissey, Autobiography, Penguin, pp. 53-54.

David Farreny, 26 janv. 2014

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