labeur

Mercredi matin, nous avons fait les courses au Champion de Fleurance. Et c’était un moment délicieux. Je songeais une fois de plus à cette phrase qui me reste de Paris Texas, de Wim Wenders : « Nous étions si heureux que même de faire les courses au drugstore était un plaisir. » Sans doute étais-je seul à être si heureux ; et c’était un bonheur bien tremblant, bien mal assuré sur ses bases, et même tout à fait dépourvu de fondement, ainsi que la suite allait s’empresser de le prouver. Mais se disputer en riant pour savoir si l’on prenait tel ou tel type de biscuit, c’était exactement la vraie vie, à laquelle je me trouvais rendu après des années de malentendu, et que je trouvais seule normale, naturelle, consubstantielle à mon être, le revers exact de cette solitude et de cette tristesse à crever qui m’avaient vu si souvent pousser mon ridicule chariot le long des mêmes allées de supermarché, loin de toute raison d’exister et tout occupé au seul fastidieux labeur de durer. C’est à cela que me voici brutalement restitué. Je n’en éprouve que de l’horreur.

Renaud Camus, « dimanche 14 février 1999 », Retour à Canossa. Journal 1999, Fayard, pp. 129-130.

David Farreny, 14 mars 2004
orientation

Celui qui a cru être ne fut qu’une orientation. Dans une autre perspective sa vie est nulle.

Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1064.

David Farreny, 7 août 2006
sus

Il est cinq heures vingt-cinq, on voit encore un morceau de soleil reflété sur l’hôtel d’en face, j’ai les yeux rouges d’avoir tant pleuré, je suis toujours malade de cette grippe étrange, sans fièvre, qui dure maintenant depuis deux semaines. Me voici restitué à ma rive natale. Exténué, ayant perdu tout espoir dans le seul domaine qui m’importait vraiment, je me sens comme un condamné à mort inexplicablement gracié, dont la vie désormais est en sus de la vie : un temps luxueux, inespéré, gratuit, dont il n’aurait pas la responsabilité.

Renaud Camus, « samedi 12 mars 1977 », Journal de « Travers » (2), Fayard, p. 1550.

David Farreny, 1er mars 2008
secousse

J’aimerais, une fois dans ma vie, une secousse paroxysmique.

Jean-Pierre Georges, Car né, La Bartavelle, p. 67.

David Farreny, 5 juil. 2009
satisfaction

J’ai étendu aux insectes, qui mènent une vie mystérieuse et braillante, sous l’écorce, la nuit, l’attention passionnée, atavique, sans doute, que m’inspiraient les hôtes écailleux de l’humide élément. Telle serait ma contribution affirmative au pays natal. Elle en garde le pli. Ce qu’il contenait d’attirant n’était accessible qu’après une épisode déplaisant, plein de dégoût. Ce que j’obtenais n’était jamais exempt de l’hostilité foncière, du refus auxquels se heurtaient les aspirations les plus humbles, comprendre un peu, posséder quelque chose de beau ou de bon, connaître quelque satisfaction.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, pp. 92-93.

Élisabeth Mazeron, 31 mai 2010
narrats

Les vieilles restaient impavides en face de moi, à une distance moyenne de deux cent trois mètres. J’aurais aimé leur expliquer pourquoi je façonnais autre chose que des petites anecdotes limpides et sans malice, et pourquoi j’avais préféré leur léguer des narrats avec des inaboutissements bizarres, et selon quelle technique j’avais construit des images destinées à s’incruster dans leur inconscient et à resurgir bien plus tard dans leurs méditations ou dans leurs rêves.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 95.

Cécile Carret, 11 sept. 2010
cerveau

Heureusement voici Dino Egger avec son 109) échelle de corde ! Ah ! le pitre ! Merci la science ! Certes, il a le front proéminent, il y en a des cellules amalgamées sous son crâne bulbeux. Quel cerveau ! On en mangerait ! Des circonvolutions comme pour gravir l’Everest à bicyclette. C’est gris, c’est rose, ça bat, ça tremble, ça vibre, ça flageole, c’est incontestablement parcouru de pensées fulgurantes. Nous allons nous électrocuter si nous y touchons, prudence. Mais je n’y mettrai pas les doigts, aucun risque. Me dégoûte un peu, la grosse éponge à songes.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 113.

Cécile Carret, 18 fév. 2011
réfutation

Pour le chat, n’existe du mur que le faîte qui est aussi sa réfutation.

Éric Chevillard, « samedi 10 septembre 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 10 sept. 2016

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer