plongeuse

Des cuisses, des cheveux, cette femme est plongeuse

Pierre Jean Jouve, Les noces, Gallimard, p. 66.

David Farreny, 22 mars 2002
viciait

Oh, c’était bien cela. Lagrand le savait. Tout le monde souhaitait ici la mort du garçon, de ce pauvre, vilain et ridicule enfant bêtement surnommé Titi, et peut-être même jusqu’à la petite Jade qui souhaitait innocemment que Titi meure, ce garçon aride, déprimant comme une tache irrémédiable au revers de tout plaisir possible, de quelque espèce de goût bien légitime qu’on pouvait arriver à prendre à l’existence et que lui, ce manquement tenace, viciait, lui, Titi, qui avait survécu, en les gâtant, à toutes les occasions de joie.

Marie NDiaye, Rosie Carpe, Minuit, p. 214.

David Farreny, 24 déc. 2002
mais

Dégoût de ce qui est fait, de l’opera omnia. Sensation d’être en mauvaise santé, de déchéance physique. Courbe déclinante. Et la vie, les amours, où sont-ils ? Je conserve un certain optimisme : je n’accuse pas la vie, je trouve que le monde est beau et digne. Mais je tombe.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 451.

David Farreny, 24 mai 2003
imposteur

Depuis le temps qu’il le cultive, c’est un sujet qu’il pourrait traiter les yeux fermés, la tête en bas, et en commençant par la fin. Sa propre dextérité, en la matière, l’agace un peu, même. Elle lui donne parfois, paradoxalement, le sentiment d’être un imposteur. Non pas un imposteur par défaut : un imposteur par excès.

Renaud Camus, Voyageur en automne, P.O.L., p. 14.

David Farreny, 21 déc. 2004
indifférence

Mais qu’est-ce que cette sagesse, sinon l’usure de nos sentiments, et le refroidissement de notre ferveur ? La présence en nous d’une plus grande quantité de la sottise du monde (nous en absorbons un peu plus chaque année, sans doute) et l’acquisition de ce fonds d’indifférence, qui n’est qu’un fonds d’imbécillité ?

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 103.

David Farreny, 24 avr. 2007

Tu conservais tes agendas des années passées. Tu les relisais quand tu doutais d’exister. Tu revivais ton passé en les feuilletant au hasard, comme si tu survolais une chronique de toi-même. Il t’arrivait de trouver des rendez-vous dont tu ne te souvenais plus et des gens dont les noms, écrits de ta main, ne t’évoquaient rien. La plupart des événements te revenaient cependant en mémoire. Tu t’inquiétais alors de ne pas te souvenir de ce qu’il y avait entre les choses écrites. Tu avais aussi vécu ces instants. Où étaient-ils passés ?

Édouard Levé, Suicide, P.O.L., p. 30.

Cécile Carret, 22 mars 2008
voir

Mercredi – Pour réussir à voir ce que cache cette fenêtre, il faudrait allonger le cou et contourner le métro d’en face, sauter par-dessus la rambarde et attendre le moment où le soleil entrera dans la chambre. S’il arrive.

Jeudi – De la voiture encore, à la même heure mais sur un trajet différent. Tout voir brusquement à ras de terre, l’Art nouveau, la dentelle aux rideaux, les rideaux de fer et les Buttes-Chaumont (un crâne d’herbe).

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 13.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
créancier

J’avais beau ne pas lui être très supérieur, il m’inspirait à la fois de la pitié et une vague répugnance ; mais la pitié de ce temps-là, demeurant sans effet, se dissipait aussitôt conçue comme fumée au vent, et laissait dans la bouche un inutile goût de faim. Comme tout le monde, sans toujours me l’avouer je cherchais à l’éviter : il était dans un état de besoin trop criant, et quiconque est dans le besoin est un peu notre créancier.

Primo Levi, « Capaneo », Lilith, Liana Levi, p. 8.

Cécile Carret, 21 mars 2010
survivre

Nous nous sommes retrouvés en début d’après-midi pour Jean-Claude. La cérémonie avait lieu à seize heures à Tour-en-Sologne.

On est plutôt contents de se voir, on en est plus à être triste. On est si peu nombreux.

La sonnette retentit. Ma tente se penche à la fenêtre et les invite à monter. Ils sont trois, une femme et deux hommes, dans des costumes du dimanche tirés du vestiaire de l’Armée du Salut. Un petit quelque chose d’alcoolique dans les traits ; des amis qu’il avait connus, là-bas, chez le ferrailleur.

Au total, on est huit.

À force, les enterrements, ces dernières années, sont devenus des opérations de survie, même à mon âge. Survivre aux températures en hiver, à taper du talon autour des gars des entreprises de pompes funèbres, survivre aux canicules en été dans les rallonges de cimetières où les arbres n’ont pas eu le temps de pousser, se sentir survivre, enfin, d’être encore là.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 110.

Cécile Carret, 25 sept. 2013
losanges

Entre deux inspections de cet empire, il revenait volontiers profiter du confort de son trône : un panier installé au bout de ce vestibule carrelé qu’il n’abordait pourtant jamais sans une espèce de méfiance, marquant au seuil un temps d’arrêt, comme s’il n’avait pas tout de suite reconnu le cœur même de son domaine, et s’assurait qu’aucune mauvaise surprise ne l’y attendait.

C’était que malgré son habitude de la conformation du carrelage, et à cause d’elle sans doute, il restait à chaque fois décontenancé par l’instabilité paradoxale qu’elle offrait à ses yeux comme aux miens.

L’assemblage régulier de losanges de trois teintes différentes composait en effet une sorte de kaléidoscope fixe d’où, vues en perspective et en relief, sortaient presque simultanément ou s’engendrant les unes les autres, les faces antérieures de trois cubes distincts, bien propres à susciter la prudence d’un chat.

[…]

Ainsi ai-je mieux compris la perplexité des chats au seuil du vestibule : il leur fallait d’abord prendre la mesure de l’illusion que le carrelage systématique leur présentait, eux qui s’accommodent si souplement d’une succession de vrais creux et de vraies bosses.

Pour moi, je m’arrêtais souvent devant ces cubes durant de longues minutes, hypnotisé par cette transformation d’une forme fondamentale abstraite, presque absente, en volumes théoriques surgis de leur immobilité.

Car sous l’alternance des cubes, j’observais le jeu d’une loi qui veut que tout ce qui apparaît simultanément disparaisse pour réapparaître aussitôt ou, pour mieux dire, tire son apparition de sa disparition concomitante.

Le chat pendant ce temps ronronnait.

Jacques Réda, « Autres écarts expérimentaux », «  Théodore Balmoral  » n° 71, printemps-été 2013, pp. 66-67.

David Farreny, 30 juin 2014
quand

On n’a qu’une vie, j’ai bien compris, mais elle commence quand ?

Éric Chevillard, « samedi 13 septembre 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 13 sept. 2014
idée

Toute idée féconde tourne en pseudo-idée, dégénère en croyance. Il n’est guère qu’une idée stérile qui conserve son statut d’idée.

Emil Cioran, « Le mauvais démiurge », Œuvres, Gallimard, p. 711.

David Farreny, 28 fév. 2024
apocalypse

Avec ses dix siècles de terreurs, de ténèbres et de promesses, elle était plus apte que quiconque à s’accorder au côté nocturne du moment historique que nous traversons. L’apocalypse lui sied à merveille, elle en a l’habitude et le goût, et s’y exerce aujourd’hui plus que jamais, puisqu’elle a visiblement changé de rythme. « Où te hâtes-tu ainsi, ô Russie ? » se demandait déjà Gogol qui avait perçu la frénésie qu’elle cachait sous son apparente immobilité. Nous savons maintenant où elle court, nous savons surtout qu’à l’image des nations au destin impérial, elle est plus impatiente de résoudre les problèmes des autres que les siens propres.

Emil Cioran, « Histoire et utopie », Œuvres, Gallimard, pp. 457-458.

David Farreny, 17 mars 2024

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