apéritifs

Prévenez-moi si la vie commence

je ne voudrais pas rater ça

les heures deviennent longues

entre les apéritifs

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 66.

David Farreny, 20 mars 2002
valences

Des idées passent, fulgurantes, mais qu’il ne reverra plus (inutilisables). Des impressions à changer toute une vie, mais aussitôt perdues dans les coulisses du néant. Une agitation le prend, seule réponse possible aux commencements contradictoires qui se forment en lui. Une titillation d’envies, d’envies incessantes, extrêmes et puis disparues, qui reviennent ou pareilles ou autres, mais toujours tendues, éperdument désirantes. Des pulsions apparaissent dans un entrebâillement de conscience de plus en plus court, de plus en plus outrées, d’une outrance de plus en plus incompatible avec toute vie sociale, avec sa propre vie dans quelque milieu que ce soit. Débordantes envies qu’il lui faut veiller à réprimer dans l’instant.

L’intelligibilité s’accroît merveilleusement. Idées fringantes, prodigieusement interrelationnées, tenant par vingt valences, éclairées à la lumière d’un phare invisible.

Il voit. Il a compris, mais dans un tournoiement tout disparaît. Il reste un bourdonnement énigmatique.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, pp. 133-134.

David Farreny, 21 oct. 2005
sottise

Même si tu as eu la sottise de te montrer, sois tranquille, ils ne te voient pas.

Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1056.

David Farreny, 7 août 2006
arsouilles

Déjeuné de tomates, de sardines, de vaches qui rit, de raisin sur les hauteurs d’un pré. Des maçons arsouilles allongés à côté d’une villa qu’ils bâtissaient ont appelé des étudiantes qui partaient en promenade à une heure de l’après-midi. Les maçons ont échoué, le chant tenace d’un oiseau invisible a buté l’hymen des jeunes filles qui s’éloignaient en se donnant la main.

Violette Leduc, Trésors à prendre, Gallimard, p. 138.

Cécile Carret, 11 mars 2007
enfance

Une aube pâle suintait par les stores entrouverts, et moi, en traçant ainsi le bilan de mon existence, je rougissais et je poussais, dans les draps, des ricanements indécents, mais, j’éclatai soudain d’un rire animal, mécanique, un rire de pieds, comme si on m’avait chatouillé les talons et comme si ce n’était pas mon visage mais ma jambe qui riait. Il fallait en finir au plus vite, rompre avec l’enfance, prendre une décision et recommencer à zéro, il fallait faire quelque chose !

Witold Gombrowicz, Ferdydurke, Gallimard, p. 21.

Cécile Carret, 23 avr. 2007
pouvait

C’était dur. Mais comme ces changements dans les habitudes de la dame s’adressaient sans aucun doute à lui, il y avait évidemment quand même un rapport entre eux, bien que sous une forme négative ; et cela pouvait suffire.

Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, p. 165.

David Farreny, 3 juin 2007
gravifique

On n’est pas fait pour les dévers. On n’a pas l’organisation penchée qui permettrait de compenser la fuite du sol, l’allure dissymétrique du dahu. Lorsqu’on ne s’échine pas à surmonter la limitation que la hauteur a partout dressée, c’est en bas, dans la combe, qu’on a sa place naturelle. Tout y ramène, le relief et la vertu gravifique, l’espace plus ou moins découvert, l’eau, la lumière qu’on trouve à l’état pur, et non pas en décoction, pleines d’ombre et de terre, d’herbe et de branchages. C’est dans la verticale que s’inscrit l’axe directeur de l’expérience, en bas que se concentrent ses occasions et ses objets, qu’elle a son penchant.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 12.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
loi

Ce que nous tentâmes de faire, en quittant notamment la cafétéria pour déboucher, au-dessus, dans le restaurant, où nous circulâmes entre des sièges violets recouverts de bagages, de gens lisant les mêmes magazines, d’enfants que leurs parents tentaient d’y maintenir à l’état de repos, avant de déboucher sur le pont numéro sept, où nous découvrîmes une minuscule piscine circulaire, bâchée, au bord de laquelle, en lui tournant le dos, d’aucuns avaient trouvé là encore le moyen de s’asseoir, nouvelle scène, donc, de suroccupation de l’espace, se déroulant en anneau cette fois, mais toujours immobile, c’était la loi du genre.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 90.

Cécile Carret, 21 sept. 2008
vide

Tu n’avais pas encore admis que la littérature n’est pas possible. Ce que tu barbouillais n’avait rien de réel, tout simplement. Ça ne correspondait à rien, ça n’entrait pas dans le monde. À chaque fois que tu te mettais à écrire, tu sentais douloureusement à quel point toi, assis devant ton écran d’ordinateur, alignant des mots, tu n’accrochais plus à rien. Ça tournait à vide.

Que faire avec ce vide de ton esprit ? Il n’y avait rien, il n’y a toujours rien en toi, un peu de froid, des passages nuageux, des pluies fines. Eh oui, il n’y a rien à dire, il n’y a jamais rien à dire. Le monde est là, tout autour, neutre. On mange et l’on s’habille. On est toujours avec soi-même. On fait les courses à la supérette. On dort. Tout est normal. Que faire avec tout ça, en fait de littérature ? La littérature n’a aucune place dans ce monde. Comment ne pas mentir ? Comment écrire sur un écran des mots qui ignorent la banalité de cette pièce, le poids des viandes dans le ventre, la grande indifférence en soi qui digère tout ? Il faudrait dire ce froid et cette indifférence. Mais avec quels mots ? Prendre les choses, les choses bêtes, les choses plates, et les rendre transparentes comme l’esprit.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, p. 244.

Élisabeth Mazeron, 5 nov. 2009
prix

Avec un sentiment.

Un curieux sentiment.

Comme un sentiment de domination, de supériorité, voilà, la supériorité de l’homme debout sur l’homme assis.

Quoi encore ?

Un certain pouvoir sur la vitesse, sur le paysage, qui défile devant les fenêtres, où le jour se joue de tout. Des têtes. Des nuques, des visages, qui se balancent en même temps. Il reste même une place libre.

Lui seul peut décider de la prendre.

Quelle jouissance, quand même.

Et si j’allais m’asseoir, se dit-il.

Tu paieras pas plus cher.

On ne s’entend jamais sur le prix.

Ce qui lui coûte à lui, c’est de se faire remarquer, encore, de déranger encore, de demander pardon, enfin bon.

Il y va. Il prend son sac et il y va.

Il aurait pu ne pas y aller mais il y va.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 51.

Cécile Carret, 4 mars 2012
disproportion

Pour notre consolation, la disproportion du monde semble n’être que d’ordre numérique.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 453.

David Farreny, 8 nov. 2012
séparé

Travaillé jusqu’à tard. Roulé dans la ville, célibataire, séparé. L’irréalité dont tout est frappé se reconnaît sans mal ; c’est celle de l’attente.

Gérard Pesson, « dimanche 1er octobre 1995 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 208.

David Farreny, 4 fév. 2014

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