fils

Ne comptez pas sur moi

Je ne reviendrai jamais

Je siège déjà là-haut

parmi les Élus

Près des astres froids.

Ce que je quitte n’a pas de nom

Ce qui m’attend n’en a pas non plus

Du sombre au sombre j’ai fait

un chemin de pèlerin.

Je m’éloigne totalement sans voix

Le vécu mille et mille fois m’a brisé, vaincu.

Moi le fils des Rois.

André Laude, « dernier poème », Œuvre poétique, La Différence, p. 725.

David Farreny, 21 mars 2002
exception

Si vous pratiquez l’exception à une règle, la plupart des gens croiront que vous ignorez la règle. Si vous pratiquez l’exception à l’exception à une règle, ce qui consiste, dans la majorité des cas, à opérer un retour à la norme, la plupart des gens croiront que vous ignorez l’existence de l’exception.

Renaud Camus, Buena Vista Park, Hachette/P.O.L., p. 24.

David Farreny, 13 avr. 2002
boire

Après les circonstances que je viens de rappeler, ce qui a sans nul doute marqué ma vie entière, ce fut l’habitude de boire, acquise vite. Les vins, les alcools et les bières ; les moments où certains d’entre eux s’imposaient et les moments où ils revenaient, ont tracé le cours principal et les méandres des journées, des semaines, des années. Deux ou trois autres passions, que je dirai, ont tenu à peu près continuellement une grande place dans ma vie. Mais celle-là a été la plus constante et la plus présente. Dans le petit nombre des choses qui m’ont plu, et que j’ai su bien faire, ce qu’assurément j’ai su faire le mieux, c’est boire. Quoiqu’ayant beaucoup lu, j’ai bu davantage. J’ai écrit beaucoup moins que la plupart des gens qui écrivent ; mais j’ai bu beaucoup plus que la plupart des gens qui boivent.

Guy Debord, Panégyrique, Gallimard, p. 41.

Guillaume Colnot, 18 juil. 2002
tombe

Ainsi la mort violente est un usage presque aussi nécessaire que la loi de la mort naturelle ; ce sont deux moyens de destruction et de renouvellement, dont l’un sert à entretenir la jeunesse perpétuelle de la Nature, et dont l’autre maintient l’ordre de ses productions, et que peut seul limiter le nombre dans les espèces. Tous deux sont des effets dépendants des causes générales ; chaque individu qui naît tombe de lui-même au bout d’un temps ; ou lorsqu’il est prématurément détruit par les autres, c’est qu’il était surabondant.

Buffon, « Une nature animale », Histoire naturelle, Gallimard, p. 61.

David Farreny, 10 janv. 2006
a

Il se leva, fit un salut et chanta :

Quand on n’a pas ce que l’on aime

Il faut aimer ce que l’on a.

Il fit un salut et se rassit.

Witold Gombrowicz, Cosmos, Denoël, p. 167.

Cécile Carret, 11 déc. 2007
nuit

Jamais vache n’a bu la couleur du sang frais. Mais a toujours su quel genre d’arbre c’était. Un châtaignier par exemple.

La mémoire des vaches n’a pas de profondeur. Elle est plate et douce et répétitive comme un très vieux chant. Elle contient des choses inoubliables et semblables à jamais.

Une vache a facilement le mal d’un pays qui n’existe pas. Elle fait un doux repas dans les fougères mais la nuit est immense.

Frédéric Boyer, Vaches, P.O.L., pp. 20-21.

David Farreny, 6 mai 2008
tombe

Si j’ose dire, ma propre vie me tombe des mains.

François Nourissier, Le musée de l’homme, Grasset, p. 215.

David Farreny, 26 avr. 2009
butée

Mandex saisit l’échantillon (était-ce un échantillon ?), le balança dans le coffre, claqua la porte, se ravisa, la rouvrit doucement dans l’espoir de prendre le bidule sur le fait, en défaut. Un rai de lumière s’insinua, tombant sur des petites collines mouvementées qui, peu à peu, ondulèrent puis s’étendirent mollement sur leur aire maximale comme un gaz plat, et s’affala sur le sol, rendit, en retard, son fameux chtkk, ou chploc, un son sec de chose pressée de se taire, sans o dans le floc, un son de consonnes, chplk ou simplement k, une façon butée de signifier qu’elle n’avait aucun rapport avec les choses qu’elle cognait, ou un refus de transmettre. Mais peut-être évoluait-elle dans l’ultrason, ou l’infra.

— Faudrait un chien, alloua Pétapernal.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 110.

Cécile Carret, 10 déc. 2009
vieillir

Vieillir n’y fait rien ; même si on est plus faible, on ne s’habitue pas davantage aux choses. Simplement on ne les découvre plus, on s’y attend avec une sorte de résignation à chaque fois balayée par un sursaut de « non ». Encore plus âgé, peut-être qu’on finit par se taire et marmonner un « c’est comme c’est » vaseux.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 15.

Cécile Carret, 4 mars 2010
défaut

Toute allégresse a son défaut

       Et se brise elle-même.

Si vous voulez que je vous aime,

       Ne riez pas trop haut.

Paul-Jean Toulet, Les contrerimes, Gallimard.

David Farreny, 23 août 2011
longue

La fille est longue, très blanche de peau, éclatante, une lumière mate la nimbe toute quand elle paraît dans l’amphithéâtre rutilant de boiseries sombres et de fresques languides ; longue de jambes et de cheveux ; Claire eût dit longue de crinière ; elle a pensé aux chevaux massifs, croupes rondes encolures de velours pattes solides, crinières pâles partagées répandues épaisses, aux chevaux lourds rassemblés là-bas à l’automne derrière les clôtures de barbelés sur les plateaux ; les vaches ont déserté, quitté l’estive et les chevaux restent seuls en troupes fluides pour faire face aux hivers, aux nuits qui ne finissent pas, au bleu inouï, aux neiges réitérées.

Marie-Hélène Lafon, Les pays, Buchet-Chastel, p. 51.

David Farreny, 30 août 2013
cheminement

— C’est comme l’histoire de nos toilettes, était-il en train de dire. Au départ, on avait des toilettes conventionnelles. On y faisait nos besoins sans y penser. Ploc ! C’était fait et on tirait la chasse ! On n’avait pas plus idée de la suite que la vache qui laisse tomber sa bouse. Mais la vache, elle n’a pas besoin d’y penser, parce que la nature a tout prévu. Quand la bouse de vache tombe, c’est une sorte de bénédiction qui biodynamise l’écosystème. L’homme, c’est exactement le contraire. Lui, il pollue. Mais l’homme, il a une cervelle. Il y a eu un moment où j’ai essayé de m’en servir, de ma cervelle, et d’imaginer ce qui se passait après la grosse commission. Je me suis donné une espèce d’exercice spirituel : suivre par la pensée le cheminement de mes fèces dans les canalisations.

Applaudissements et sifflements.

— Oui, je sais, ça fait rire au début. Mais je me suis accroché. Je l’ai visualisé ce cheminement : un cheminement souterrain… obscur… cryptique… sinueux… visqueux… poisseux… gluant… sordide… infect… immonde… dégueulasse… interminable…

Il s’était mis à faire des gestes qui grandissaient avec son exaltation.

Applaudissements et sifflements.

— Et puis, tout d’un coup, a-t-il repris, ça débouche à l’air libre, loin du point de départ. Oui ! Mais où ?

— Eh ! Pardi ! C’est pas bien difficile à deviner, a lâché Christian.

— Vous soulevez une vraie question, est intervenu JPM.

— Une vraie question qui exige une vraie concertation, a cru bon d’ajouter Audrey Gaillard. […]

— Alors, bien sûr, a poursuivi l’homme au blouson gris, on peut se dire, comme beaucoup de gens : ce n’est pas notre problème ! Le Sivu a tout prévu ! Mais qu’a-t-il prévu, le Sivu ? Une station d’épuration qui brasse la merde des environs dans un gros mixeur ? Un hideux lagunage ? Tout balancer direct à la rivière ? Là je dis : stop ! Il faut regarder la réalité en face ! Je dis : ce problème est mon problème et c’est le problème de chacun. C’est comme ça que j’ai décidé d’installer des toilettes sèches pour toute la famille. Au début, on trouvait que ça sentait l’ammoniac, mais pas plus qu’un bon saint-nectaire. Finalement, on a décidé de prendre les choses du bon côté. Chez nous, on ne dit plus « J’ai envie d’aller au petit coin », on dit : « J’ai envie d’aller au saint-nectaire. » Mais quand on voit tant de gens continuer à faire leurs besoins à tire-larigot, sans se poser les vraies questions au bon moment, je dis que l’homme est le problème numéro un pour la planète. Le jour où il disparaîtra, tout rentrera dans l’ordre. Et il n’y aura personne pour le regretter ! Voilà tout !

Applaudissements…

Pierre Lamalattie, 121 curriculum vitæ pour un tombeau, L’Éditeur, pp. 179-181.

David Farreny, 20 fév. 2015

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