cohérence

Nous avons cette chance de nous dire, de parler. Chance que n’ont ni les fleurs ni les animaux. Pourtant ils se manifestent avec cohérence. Nous les admirons.

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 108.

David Farreny, 20 mars 2002
présent

Les promenades dans une ville souffrent de cette imperfection que Proust attribue au présent.

Michel Besnier, Cherbourg, Champ Vallon, p. 11.

David Farreny, 23 mars 2002
algèbre

Il en est de la musique comme des autres arts, y compris la littérature : la forme la plus haute de l’expression artistique est du côté de la littéralité, c’est-à-dire en définitive d’une certaine algèbre : il faut que toute forme tende à l’abstraction, ce qui, on le sait, n’est nullement contraire à la sensualité.

Roland Barthes, « Mythologies », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 803.

David Farreny, 5 déc. 2004
surcroît

Est-ce qu’une sonnerie de téléphone ou une mouche ne risquent pas d’arracher quelqu’un à sa lecture au moment précis où toutes les parties constituantes convergent vers l’unité d’une solution dramatique ? Et que se passera-t-il si le lecteur voit son frère, supposons, entrer dans sa chambre pour lui dire quelque chose ? La noble tâche de l’écrivain est gâchée à cause d’un frère, d’une mouche ou d’un téléphone. Pouah, vilaines mouches, pourquoi vous attaquer à une race qui n’a plus de queue pour s’en débarrasser ? Considérons ceci de surcroît : cette œuvre unique et exceptionnelle que vous avez élaborée, ne fait-elle pas partie d’un ensemble de trente mille autres, non moins uniques, qui paraissent chaque année avec régularité ? Détestables parties ! Devons-nous construire un tout pour qu’une parcelle de partie de lecteur absorbe une parcelle de partie de cette œuvre, et encore partiellement ?

Witold Gombrowicz, Ferdydurke, Gallimard, p. 105.

Cécile Carret, 13 mai 2007
inadéquation

L’universalité suivant laquelle l’animal, en tant que singulier, est une existence finie se montre, en lui, comme la puissance abstraite à l’issue du processus lui-même abstrait qui se déroule à l’intérieur de lui. L’inadéquation de l’animal à l’universalité est sa maladie originelle et le germe inné de la mort. La suppression de cette inadéquation est elle-même l’exécution de ce destin. L’individu supprime une telle inadéquation en tant qu’il insère dans l’universalité, pour l’y former, sa singularité, mais en même temps, dans la mesure où elle est abstraite et immédiate, il n’atteint qu’une objectivité abstraite dans laquelle son activité s’est émoussée, ossifiée, et où la vie est devenue une habitude sans processus, en sorte qu’il se met à mort ainsi de lui-même.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « La mort de l’individu, qui meurt de lui-même », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, pp. 329-330.

David Farreny, 7 fév. 2011
considérer

Il avait comme particularité, à mes yeux, que le dessus de son crâne s’ornait d’une excroissance, une « loupe » disait-on, qui m’avait d’abord paru monstrueuse, et que j’avais fini par considérer plus simplement comme lui appartenant ou le définissant : avec les années, on élargit l’idée qu’on se fait de l’humanité. Ou plus exactement : on brise le carcan d’idées convenues qu’on s’était fabriqué pendant l’enfance pour tenir à distance la multiplicité déroutante des choses.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 51.

Cécile Carret, 13 mars 2011
mouche

J’aime les animaux, y compris le crabe mou et le crapaud verruqueux modelé par un ivrogne dans son foie malade, de ses propres mains tremblantes, y compris la hyène qui veut me voir mort et le cobra qui lui prêterait volontiers ses lunettes pour cela, y compris le bousier, le requin et le perce-oreille, mais je hais les mouches, m’entendez-vous, les entendez-vous, c’est insupportable, on m’apprendrait la disparition soudaine et définitive des mouches, je serais aux anges.

Il faudrait alors apprendre à vivre dans un monde sans mouche, me dira-t-on.

Je ne me donne pas trois secondes pour m’accoutumer à cela très bien et comme si je n’avais jamais connu autre chose.

Ce serait pourtant la fin d’une époque, me dira-t-on.

Oui, eh bien, la Terreur aussi n’a duré qu’un temps.

Je pense pouvoir me passer d’elles pour lire, pour manger, pour dormir. Si les mouches disparaissaient, elles emporteraient le deuil avec elles. Quand une mouche meurt, c’est un point d’azur en plus dans le ciel, une touche de vert frais sur la prairie, une nouvelle couche de lait de chaux sur les murs et dehors un jardin.

Je hais les mouches, leur vol est une aberration, une dérision du vol – à quoi bon voler, d’ailleurs, quand on sait marcher au plafond ? –, c’est un vol lourd et vrombissant avec pourtant des trajectoires absurdes de ballon crevé.

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 35.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
technique

Puis vient la question de la technique. Pour l’Angkar, la révolution n’est pas une idée ou une pensée, mais une technique qu’on acquiert par des actes. La révolution n’est pas une aspiration : elle est une pratique codifiée. Le « technicien de la révolution » est aussi un « instrument de la révolution », et la plus haute distinction du régime est : « Instrument pur de la révolution ». Pureté de la technique. Duch se plaint que S21 n’ait jamais obtenu ce titre.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 97.

Cécile Carret, 7 fév. 2012
décrire

Ces édifices, dont on ne peut percevoir que des fragments, sont en effet à peine visibles dans la végétation sur laquelle nous allons revenir. Nous devrons en effet y revenir quoique nous aurions peut-être pu, peut-être dû commencer par elle, nous ne savons pas.

Nous ne le savons pas, pour tant qu’il est difficile dans une description ou dans un récit, comme le fait observer Joseph Conrad dans sa nouvelle intitulée « Un sourire de la fortune », de mettre chaque chose à sa place exacte. C’est qu’on ne peut pas tout dire ni décrire en même temps, n’est-ce pas, il faut bien établir un ordre, instituer des priorités, ce qui ne va sans risque de brouiller le propos : il faudra donc revenir sur la végétation, sur la nature, cadre non moins important que les objets culturels – équipements, bâtiments –, que nous essayons d’abord de recenser.

Jean Echenoz, « Caprice de la reine », Caprice de la reine, Minuit, p. 21.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
psychanalyse

Mais, plus radical encore que Freud, Wittgenstein saisit immédiatement par où pèche la psychanalyse : elle flatte trop le narcissisme. Les explications qu’elle propose sont d’autant plus attrayantes qu’elles sont à première vue plus choquantes. « C’est peut-être, confie-t-il à l’un de ses amis, le fait que l’explication est extrêmement repoussante qui vous pousse à l’accepter. » Et, plus que quiconque, il est sensible au jeu incessant de la mélancolie et du besoin de consolation, à l’exigence de l’idéal et au besoin d’être trompé, à la dialectique subtile entre la croyance et la désillusion…

Sur le charme des profondeurs, Wittgenstein a cette formule ironique : « Les gens y trouvent un dédale dans lequel s’égarer. » Dans ce type d’explications, le mystère tient lieu de réponse. Plus proche de Kraus que de Freud, il estime que toute la fécondité de la psychanalyse peut être éprouvée à condition de convenir que Freud n’a rien inventé ; la psychanalyse ne relève pas de la science, mais de l’esthétique : Freud ne nous apprend rien, mais nous fait voir ce dont on ne s’était pas avisé jusque-là. Selon Wittgenstein, la bonne explication psychanalytique n’est rien de plus (ni de moins) qu’un tableau réussi. La réaction au tableau est en ce sens constituante de son effet esthétique, puisqu’il résout la perplexité du destinataire.

Roland Jaccard, « Le dicible et l’indicible », L’enquête de Wittgenstein, P.U.F., pp. 52-53.

David Farreny, 6 déc. 2014
fiches

Parfois, on écoute parler quelqu’un, on écoute vraiment, et ce qu’on entend a l’air d’avoir été écrit par trois ou quatre scénaristes différents qui auraient travaillé sans se concerter, comme si notre interlocuteur avait pioché un peu au hasard dans les fiches incomplètes qu’il tient sur sa propre vie.

Jérôme Vallet, « Semaine sainte », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 27 fév. 2024
été

Mais mon récit est un terrain vague sur lequel je ne sais que récolter les quelques lambeaux de ma mémoire. J’ai voulu mettre ma confiance en l’amour, moi aussi, et je suis comme un pauvre type, à l’aube, qui sort d’un casino où il a tout misé et tout perdu. Il fait froid. Je suis fatigué. Je ne possède plus rien qu’un corps éreinté, laminé, le vent souffle, je voudrais dormir mais le monde est trop bruyant. Je me souviens de l’été qui ne reviendra pas. Avoir été. Je n’ai plus qu’une chose : le récit de l’été, de l’avoir été, des lilas en fleurs et des roses, du seringat devant la fenêtre de la cuisine. Je le veux encore. Réciter, c’est-à-dire écrire sous la dictée du corps vieillissant, dont une partie se rebelle contre sa fin programmée. Comme un enfant de dix ans qui refuse de céder la place au vieillard, parce qu’il veut encore apprendre et découvrir les secrets que le monde prétend garder par devers lui. « En amour, nous ne nous rendons compte que trop tard, si un cœur ne nous était que prêté, ou nous était offert, ou bien alors sacrifié. »

On aura beau faire, on ira jusqu’à la fin. On traversera les temps inconnaissables et ceux qui remontent de la voix perdue à travers l’oubli et le désespoir. La clarinette et la flûte se croisent sans se reconnaître, comme les femmes pressées qui ont traversé notre existence : elles aussi se sont fanées, mais leurs derniers parfums sont les plus déchirants, appels désespérés et perdus dans les péripéties biologiques qui vont les étreindre et les terroriser.

Jérôme Vallet, « Terrain vague », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 19 mars 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer