passoire

Je ne sais plus que verser des larmes sur chaque journée perdue, sur du temps enfui que je devrais pourtant retenir dans ma passoire de poète.

Jean-Pierre Georges, Aucun rôle dans l’espèce, Tarabuste, p. 116.

Élisabeth Mazeron, 28 juin 2006
raurait

Le nuage songeait à sa pluie tombée, à la ravoir, et qu’il la raurait ;

Henri Michaux, « Mes rêves d’enfant », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 62.

David Farreny, 12 mars 2008
souvenir

C’est un peu comme si, la mort nous attendant dans l’escalier, il fallait vite trouver ce qui va constituer un souvenir de la vie dans l’éternité de la planche.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 20.

David Farreny, 24 mars 2012
vis-à-vis

Volupté de voir ensuite à côté de soi dans la lumière changeante d’un cinéma le chatoiement du profil, la bouche, la joue, l’œil. Le summum était le léger corps à corps tel qu’il se produisait parfois de lui-même ; un simple attouchement fortuit eût alors fait l’effet d’une transgression. N’avais-je dès lors pas tout de même une amie ? La pensée d’une femme ne m’était pas connue comme concupiscence ou désir, mais seulement comme l’image idéale du beau vis-à-vis – oui, mon vis-à-vis devait être beau ! – à qui, enfin, je pourrais raconter. Raconter quoi ? Simplement raconter.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 17.

Cécile Carret, 3 août 2013
Mélanésie

                            LE DÉMON

       Elle est partie ce soir : tu ne vois qu’une image.

       Voici le train, les rails, les pierres du remblai.

       Tiens, que disais-je ? elle se penche à la portière.

       C’est curieux, regarde, un jeune homme est près d’elle :

       Un magique pouvoir nous les montre en sleeping.

       Ils sont drôles, tous deux. Elle ouvre son corsage.

       Il la rend folle, attends…

                            ARDEN

                                   Seins, ô Mélanésie !

                            LE DÉMON

       Ils assiègent l’amour.

                            ARDEN

                                   Je suis mort.

                            VOIX DE CRESSIDA

                                                 Baise-moi.

                            LA VIEILLE

       O ! comme on entend bien !

                            LE DÉMON

                                   C’est la fleur carnivore.

       Tu voulais tant savoir : écoute, elle jouit.

       Tu as capturé l’heure et la bête et les cris.

Gilbert Lely, « Ma civilisation », Poésies complètes (1), Mercure de France, p. 47.

Guillaume Colnot, 7 déc. 2013
culs

toi t’aimes bien les bons petits culs, t’aimes bien ça voir les petits culs tout bons, t’aimes bien voir un bon petit cul passer, un bon petit cul papoter ou passer, hein ouais t’aimes bien voir ça, le bon petit cul qui demande pas son reste et passe, qui passe et qui rapasse, mais le bon petit cul ne demande pas mieux que de rester, le cul petit tout bon qui demande pas son reste mais reste tout de même, t’aimes bien ça hein, t’aimes bien que le petit cul tout bon reste sur place, pour ça t’aimes bien que ça t’écoute un bon petit tout cul, que ça se tende bien de par le cul le petit cul tout bon, que cul tendu te soit tout ouïe, qu’il soit tout oui le tout bon petit cul tout ouïe, qu’un petit tout bon cul comme ça c’est bon pour n’être qu’un petit cul après tout, pourquoi ce n’est pas qu’un tout bon petit cul qui passe et qui rebondit quand on l’appelle, quand on le retient pour qu’il fasse un gros oui le tout petit bon cul tout ouïe à toi, car c’est à toi qu’il est le petit bon tout cul n’est-ce pas, et ça t’aimes bien, t’aimes bien avoir ton tout bon petit cul et qu’il te dise que oui, que ça dise oui à tout, à tout bout de champ le tout bon cul petit qui passe et qui rebondit, c’est ça que t’aimes au fond, au fond du fond t’aimes bien les tout bons petits culs qui passent, qui passent et qui rapassent, les bons petits tout culs qui ne restent pas en place

Charles Pennequin, « Les petits culs », Pamphlet contre la mort, P.O.L., pp. 92-93.

David Farreny, 11 fév. 2014
noir

Étaient-ce les champignons séchés dont il mordait encore un morceau ou non : toujours est-il, il eut pendant la nuit deux rêves qui se déroulèrent sans lui, par-delà sa personne. Dans l’un, des successions de salles souterraines bordaient la petite cave de la maison, une salle donnant sur l’autre, somptueusement arrangées, solennellement éclairées, et toutes vides, comme en attente, prêtes pour un événement merveilleux, peut-être terrible aussi, et cela non depuis peu mais depuis des temps immémoriaux.

Dans le second rêve, il n’y avait plus, tout à coup, les haies des propriétés voisines, arrachées de force ou tout simplement disparues, on voyait les jardins des uns et des autres et les terrasses, et pas seulement le dessus mais jusqu’au moindre recoin à l’intérieur des maisons, soudain mises à nu, de même un voisin voyait l’autre, aux premiers instants à son extrême honte, à sa réciproque opprobre et puis peu à peu avec une sorte de soulagement, oui presque de joie. (À remarquer que toutes ces maisons dépourvues de haies se révélèrent être montées sur pilotis, chacune avec une barque amarrée en bas.)

Après cela, était-ce encore un rêve ? du noir, et puis plus rien que ce noir, rien ne se déroulait, il n’y avait pas de film, mais la fin du film, la fin même de tout « suis », « es », « est », « sommes » et « êtes ». Un noir qui refoulait tellement toute étendue que cela tira le pharmacien de son sommeil, à l’instant — mais ne s’atténua pas, resta.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, pp. 54-55.

David Farreny, 19 fév. 2014
horizon

Même si bien peu l’admettent, et si personne ne s’en satisfait, chacun pressent que le nihilisme est notre horizon indépassable. Les grandes fictions religieuses, métaphysiques ou politiques ne suscitent plus que railleries ou dédain. Parfois la jeunesse s’en empare, dans l’impatience d’être grisée par les concepts ou les slogans qui hypnotisèrent leurs aînés. Les vieux s’en accommodent d’autant plus volontiers qu’ils ne disposent pas de rhétorique de rechange. Mais, à l’exception des quelques épileptiques de service, nous nous accordons à penser, avec Ludwig Wittgenstein, qu’au moment où notre bêche heurte le roc de l’injustifiable, il est inutile de chercher à creuser davantage.

Roland Jaccard, « Les adultères de la raison », La tentation nihiliste, P.U.F., pp. 4-5.

David Farreny, 9 déc. 2014
dissous

Ce qui coule, avec les larmes, ce sont les nerfs dissous par la pitié de soi.

Jérôme Vallet, « Il se dit que si la porte était fermée, il aurait plus chaud », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024
tromper

Voilà pourquoi ils furent plus indulgents à l’égard d’un Sartre qui, interrogé par Michel Contat à propos de son stalinisme pro-soviétique puis prochinois, déclara qu’il n’avait, au fond, rien fait d’autre que se tromper – même si l’actualité du communisme dont il était le témoin, à chaque procès truqué, à chaque massacre de masse, à chaque purge, à chaque déportation, lui aurait permis de se ressaisir. Son idéal étant moralement juste, seuls les faits, têtus, idiots, s’obstinaient à avoir tort ; par conséquent, il avait eu raison de se tromper.

Frédéric Schiffter, Sur le blabla et le chichi des philosophes, P.U.F., pp. 23-24.

David Farreny, 14 mai 2024

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