qui

Ce volcan nu et rouge domine avec deux ou trois autres une vaste cheire tout en bruyères. Mes parents ont délivré là un pauvre chien attaché par un nœud coulant à un arbuste : à peine libéré, il a filé à toutes jambes vers le maître qui probablement avait voulu s’en débarrasser. Nous avons vu, un soir d’hiver, un albinos aux longs cheveux sortir d’un buisson ; il nous a regardés de ses yeux flamboyants et il a disparu dans la nuit. Ces parages étaient jadis déserts. Ils sont maintenant, je le crains, sillonnés de chemins et ponctués de signaux. Qui veut d’une lande balisée ?

Renaud Camus, « lundi 5 mai 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 154.

Guillaume Colnot, 13 mars 2004
comment

Je ne sais pas comment font les autres.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 47.

David Farreny, 19 nov. 2006
mucus

Pourquoi le Seigneur lui a-t-il concédé ces hanches de la perdition qui fouettent mon cœur et l’air d’un appel déchirant ? Ne pouvait-il pas leur mettre à la place quelque bon vieux parchemin sacré ? Oui, Moïse. Il ne jouait pas du piano, Moïse, et il ne cueillait pas des zinnias et des cataclas en disant : Voyez comme je suis immatériel et comme mon corps sans défaut, chère, est l’image de mon âme ! Il avait des cals sur la nuque et ses reins étaient vertueusement déformés ! Et il se mouchait sans honte, car il vivait en esprit. (Solal fit une grimace solennelle pour lui tout seul. Sous cette fureur bégayante, il y avait tant de joie et de jeunesse.) Tandis qu’Apollon se mouchait à petits coups derrière une colonne, Moïse, homme de Dieu, tirait son vieux mouchoir à carreaux, immense, comme une tente, le secouait, l’éployait au vent de l’esprit et, regardant l’Éternel face à face, il se mouchait. Alors, tonnant du haut du Sinaï, ses fortes expectorations remplissaient de crainte les douze tribus agenouillées au pied du mont. J’ai peur aussi. Ou peut-être il n’avait pas de mouchoir ? L’index droit, puis le gauche et la crainte de Dieu ! Tandis que ces filles vous sortent un petit mouchoir parfumé et armorié et elles font des petites expirations modestes, pff pff comme un petit chat, des petites mines discrètes, comme si elles disaient : « C’est un petit jeu, notre joli petit nez fait des confidencettes à notre carré de linon. » En réalité, elles y mettent du beau mucus bien vert, bien solide et bien carré ! Production de l’amour : hasard (elle aurait tout aussi bien pu faire ses singeries musicales, distinguées, passionnées, poétiques, avec un autre) ; social (admiration consciente — ou inconsciente chez les purettes — de l’homme qui réussit) ; biologique (une large poitrine est indispensable à ces vierges ou verges du diable pour qu’elles aiment) ; et si l’aimé n’est pas absolument idiot il peut les tourner sur le gril par l’inquiétude. Alors c’est le grand amour bleu céleste et rouge cœur et violet infini.

Albert Cohen, Solal, Gallimard, pp. 170-171.

Bilitis Farreny, 1er avr. 2008
méandra

Rien n’est plus agréable que de discuter auprès d’un feu vif et pétillant de la formation des massifs montagneux qu’on a visités en été ; d’entendre causer de volcans, de planètes fracassées, de pétrifications. Et si d’aventure, on en vient à la paléontologie, il me faut aussitôt faire entrer dans la danse les mammouths et les gigantosaures : imaginez un peu un des Béhémoths qui se promène dans la forêt carbonifère et nourrit sa couvée avec des éléphants, un peu comme nos lézards d’aujourd’hui le font avec les mouches bleues : vive le pittoresque !

Mon regard gêné méandra dans la chambre.

Arno Schmidt, « Histoire raconté sur le dos », Histoires, Tristram, p. 54.

Cécile Carret, 17 nov. 2009
vent

Les piaillements des moineaux coupaient de fines entailles l’enceinte de bruit du trafic. Le vent ramassa dans toutes sortes de détritus un grand gaillard de poussière qui fut obligé de valser (jusqu’à ce qu’une auto vienne l’étirer en longueur et le traîne à mort ; avec son unique papier).

Arno Schmidt, « Sortie scolaire », Histoires, Tristram, p. 131.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
sémantisme

C’est à sa voix qu’il aurait fallu s’en remettre, à ses gestes, à sa seule présence ; et ne tenir que très peu de compte de ses mots, qui eux n’ont pas grand sens, et qui l’étonnent sans cesse quand on les lui rappelle. Il s’étonne surtout qu’on ait pu leur porter assez d’attention pour s’en souvenir. Que ne fait-on comme lui, et n’imite-t-on son détachement parfait à leur égard, sa merveilleuse capacité d’indifférence et d’oubli ? Mais je n’ai pas su m’abandonner à ce sémantisme libéré du verbe et qui flotte dans l’air, s’accrochant un moment, comme une brume, à une intonation, une attitude, un regard. Je n’ai eu ni assez de patience ni assez d’amour. J’ai bêtement exigé des phrases, du bon sens bien français, clairement débité, avec des sujets, des verbes et des compléments à la parade. Or c’est manifestement ce que ce pauvre garçon est le moins capable d’offrir.

Renaud Camus, « dimanche 25 janvier 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, pp. 35-36.

Élisabeth Mazeron, 30 mars 2010
imitations

C’EST VRAI QUE. A l’orée du troisième millénaire, en France, c’est vrai que est la scie entre les scies. Il est même à croire qu’aucune, à aucun moment de l’histoire de notre langue, n’a connu une diffusion aussi large, et pareille fréquence dans les occurrences. Même au niveau de ou quelque part, au plus fort de leur règne qui pourtant fut lourd et long, n’ont jamais envahi si avant, tout de même, l’ensemble de la parole et peut-être de la pensée, ni imposé si largement leur présence.

[…]

Il paraissait aller de soi, jadis, que ce qu’on allait dire était vrai — puisqu’on prenait la peine de le dire. Faut-il que le rapport avec la vérité se soit distendu parmi nous — à force de publicité généralisée, de volonté d’appartenance et de conformité, d’effacement du narcissisme moral, d’indifférence à l’honneur et de dévaluation de la parole —, pour qu’une affirmation simple ne suffise plus, soit perçue comme ne suffisant plus, par celui qui l’émet et par celui qui la reçoit, et pour que la plupart de nos contemporains estiment indispensable de la faire précéder de la proclamation dogmatique de sa vérité !

Moins il y a de vérité, plus s’affichent ses imitations. Moins le verbe a de poids et de prix, plus il y a de c’est vrai que.

Renaud Camus, Répertoire des délicatesses du français contemporain, P.O.L., pp. 97-98.

Élisabeth Mazeron, 2 avr. 2010
solde

Ce serait bien s’il y avait moyen de se tirer soi-même d’emblée de soi-même. Mais on n’accède à notre âge, à notre être de raison qu’après avoir traversé l’épaisseur, la douleur de l’antique illusion. On s’est cru d’abord différent, dénaturé, pire qu’un scorpion, qu’une raie torpille car on ne les voit pas, eux, désespérer de leurs dards, accus, se frapper à la nuque, se consumer dans l’éclair d’un arc électrique.

Nous si. Nous, on peut. Il vient un moment où on va le vouloir et peut-être que ce moment, aussi, est nécessaire. C’est la quittance à verser au vieux sang, le tribut que la veille duperie réclame pour solde de tout compte.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, pp. 50-51.

Élisabeth Mazeron, 8 juin 2010
écoulement

La rumeur d’une cataracte enfla brusquement, puis le vacarme hésita et reflua. Il pleuvait en bordure de l’espace noir. Comme l’écoulement du temps n’avait pas encore débuté, l’ondée prit fin dans l’incertitude et, après des chutes de gouttes isolées, le silence se rétablit.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 208.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
chantez

La foudre fût tombée subitement sur tous ces messieurs que leur stupeur eût été certainement plus considérable, mais, tout de même, ils furent bien étonnés de cette déclaration.

— Qu’est-ce que vous nous chantez là, Fléchard ?

— Je ne chante pas, messieurs… j’avoue, car dans cette ténébreuse affaire Blaireau, le vrai coupable, je viens d’avoir l’honneur et le plaisir de le déclarer à Mlle Arabella de Chaville, c’est votre serviteur.

Alphonse Allais, L’Affaire Blaireau, FeedBooks.

Cécile Carret, 11 nov. 2011

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