empalés

Ces bouffons lamentables et ces polichinelles humanitaires (il paraît qu’avant même d’expédier Kouchner au Kosovo, on a envoyé des clowns dans les camps de réfugiés ; et ce qui est invraisemblable c’est qu’ils n’aient pas été empalés dès leur arrivée) envahissent comme de juste l’espace malade du nouveau monde, seul et dernier théâtre où ils ont encore une petite chance, avec leurs gaudrioles morbides, de déchaîner le rire jaune des têtes de mort ; et de voir des squelettes se tenir les côtes. Si tu ne viens pas aux rigolos, les rigolos viendront à toi ; même sous perfusion.

Philippe Muray, Après l’histoire, Les Belles Lettres, p. 448.

David Farreny, 20 mars 2002
figure

Beaucoup souhaitent léguer à la postérité, à défaut d’une œuvre, leur propre figure.

Simone de Beauvoir, Pour une morale de l’ambiguïté, Gallimard, p. 90.

David Farreny, 21 mars 2002
aboie

Désir qui aboie dans le noir est la forme multiforme de cet être

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 437.

David Farreny, 22 juin 2002
chose

L’efficacité thérapeutique du pont naissait de son application directe à l’inimitié forte, concentrée de l’endroit.

Il ne mesurait guère plus de six ou sept mètres. À l’extrémité mobile, pour la dilatation, sous la plaque de garde-grève, on devinait le profil en double té des poutres principales. Elles reposaient sur une platine de fer scellée, elle-même, sur le sommier en pierre de taille. Le platelage en tôle striée masquait les entretoises. Mais il était facile de descendre le massif de la culée et on pouvait les voir par-dessous, avec leur contreventement en croix de Saint-André. Les traverses étaient agrafées sur les longerons. Elles étaient renforcées par des cornières de butée qui servaient à lutter, m’expliquerait plus tard le chef de gare, contre l’arrachement produit par le freinage des convois. Le tout était enduit d’une épaisse peinture grise, qui avait dégouliné sur les flancs des poutres et maculait la pierre très tenace — du granite, sans doute — à joints creux, du sommier. Voilà pour la chose.

Pierre Bergounioux, Simples, magistraux et autres antidotes, Verdier, pp. 30-31.

David Farreny, 9 août 2005
rata

Partout les mêmes nuages, partout la même attente. Rien que le rata des jours, le maigre chapelet des heures. Dont seul l’esclavage parfois délivre… Rends grâce à ce qui te rebute, car tu n’as rien d’autre. Naissance et mort lente, voilà tout. Untel, né le 08-04-49, meurt depuis cinq décennies et n’a toujours pas fini, est néanmoins sur la bonne voie. Tout se termine dans douze mètres carrés, sur un lit à une place, avec une petite table et une fenêtre fermée sur la dernière image du monde. Ici un vieux mur et un tilleul remué par le vent dans un mouchoir bleu. Trois couleurs à vous couper le souffle, c’est le cas de le dire. Rien de plus naturel que de cesser de respirer, mais pas encore pour cette fois : ce n’est que partie remise. Personne n’a touché aux chocolats ; tout est sans : sans nom, sans vie, sans force, sans âme. Une vie sans, l’agonie ordinaire.

Jean-Pierre Georges, Aucun rôle dans l’espèce, Tarabuste, p. 98.

Élisabeth Mazeron, 28 juin 2006
engrenage

Nos poumons et nos bronches se mettent au repos – pompes sans cesse activées pour lutter contre l’asphyxie qui à chaque instant nous menace : inspiration, expiration, celle-ci suivie de funérailles. L’œuvre de Dino Egger eût brisé cet engrenage fatal, apaisé notre halètement. Nous recouvrons le calme propice aux pensées délicates, aux amples conceptions, aux affections durables. Notre cœur cependant bat toujours : c’est l’émotion.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 102.

Cécile Carret, 18 fév. 2011
éléments

À quelque distance de la ville, on peut rêver le désert, la solitude la plus absolue. Toutes les maisons disparaissent entre les collines qui les abritent, et l’on n’aperçoit que la mer, les montagnes et le ciel. Là règne le silence des lieux inhabités. Pas une voix humaine ne se fait entendre, pas un chant d’oiseau ne s’élève dans l’air, pas une feuille ne soupire. Tout est calme, repos, sommeil ; et si après avoir contemplé ce tableau oriental, on reporte ses regards sur cette terre si nue, sur ces landes rocailleuses qu’on a à ses pieds, on dirait que la nature a jeté là par grandes masses tous les éléments d’une création splendide, et ne s’est pas donné la peine d’achever son œuvre.

Xavier Marmier, Lettres sur le Nord, Delloye.

David Farreny, 21 avr. 2013
pleine

Et sans nous lasser, dans nos rêves enfiévrés de désir, nous reprenons la quête tâtonnante, explorant de ce passé chaque détail, chaque pli. Et le sentiment nous vient alors que nous n’avons pas eu notre pleine mesure de vie et d’amour, mais ce que nous laissâmes échapper, nul repentir ne peut nous le rendre.

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Gallimard, p. 9.

Cécile Carret, 27 août 2013
filles

Qu’on ne se méprenne pas ; je ne suis pas en train de me vanter d’avoir engendré des libellules ou des fleurettes. Ou des fées. […] Non, bel et bien des filles, au nombre de deux, deux filles de plus sur cette terre, deux filles encore, deux filles terribles, mais cette fois je suis dans leur camp.

Cette fois, ce ne sont pas des filles là-bas, ce ne sont pas des filles là-haut, ce ne sont pas des filles au loin. Agathe a pris ma main droite ; Suzie a pris ma main gauche ; elles marchent avec moi. J’avance désormais entre deux filles, prenez garde ! Le garçonnet dans mes bottes triomphe. Deux filles à ses côtés ! Ce n’est plus la force adverse à combattre, à séduire, de toute façon à circonvenir. C’est une tendresse mienne ; ce sont des sourires qui prolongent le mien. Cette beauté ne m’est pas jetée à la figure comme une pierre.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 103.

Cécile Carret, 25 fév. 2014
régler

Nous avons parfois l’impression qu’en déchirant deux ou trois vieilles lettres et quelques factures payées, nous allons régler notre situation et être heureux pour toujours.

Baldomero Fernández Moreno, « Air aphoristique », Le papillon et la poutre.

David Farreny, 7 juil. 2015
naturalisme

La littérature sur le coït, l’écriture du sexe, est le lieu d’un naturalisme fou, d’une zoologie échevelée et impossible. La mécanique de la métaphore y est poussée à ses limites extrêmes. Exemple : lui brouter la chatte !

Philippe Muray, « 22 septembre 1984 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 498.

David Farreny, 23 août 2015

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