Norvégiens

Les Norvégiens sont translucides ; exposés au soleil, ils meurent presque aussitôt.

Michel Houellebecq, Lanzarote, Flammarion, p. 18.

David Farreny, 22 mars 2002
rien

Tout peut arriver dans la vie, et surtout rien.

Michel Houellebecq, Plateforme, Flammarion, p. 216.

David Farreny, 14 avr. 2002
fureur

Savoir n’est pas nécessaire. D’abord, ça suppose qu’on prenne du recul, qu’on arrête un peu et le temps manque. Il y a trop à faire pour qu’on s’offre le luxe de s’interrompre un seul instant. Les choses sont là, obstinées dans leur nature de choses, corsetées de leurs attributs, rétives, dures, inexorables. Elles ne livrent leur utilité qu’à regret. Elles réclament toute la substance des vies qu’elles soutiennent. Encore le temps dont celles-ci sont faites ne suffit-il pas toujours. Il faut y verser quelque fureur. C’est à ce prix qu’on demeure.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 28.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
marais

On peut étouffer le désir, plus ou moins ; mais la vie n’est plus alors qu’un champ morne, une lassitude plate, un marais que la fatigue investit tout entier.

Renaud Camus, « lundi 27 avril 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., p. 155.

Élisabeth Mazeron, 16 avr. 2005
jamais

Le répit n’est jamais qu’un instant de la trépidation.

Éric Chevillard, Commentaire autorisé sur l’état de squelette, Fata Morgana, p. 70.

David Farreny, 30 déc. 2007
chat

Crab ne pourrait pas avoir de chat. Je suis beaucoup trop indépendant, dit-il.

Éric Chevillard, Un fantôme, Minuit, p. 119.

David Farreny, 3 mars 2008
anachronisme

Le sot est celui qui pense après nous et avec effort une pensée que nous avons déjà eue sans difficulté et qui est astreint par là à faire son avenir avec nos restes, avec notre passé. Dès lors, c’est nous qui limitons sa pensée, puisque nous savons où elle va et quel arrêt momentané elle s’imposera, puisque nous connaissons en détail et par nécessité tous les relais qu’elle va trouver. Son invention est en même temps répétition, son avenir est en même temps passé. Je dis : pour nous. Car nous ne nions point que le sot n’invente, ne dévoile, ne découvre. Mais ces différents processus d’une pensée libre ne sont plus rien pour nous que des répétitions. […] Nous en connaissons les tenants et les aboutissants, nous la jugeons, la dépassons, en modifions par notre existence même perpétuellement le sens. En sorte que l’activité présente du sot, identique à la nôtre, est à la fois totalement invention et totalement périmée, totalement pour-soi et totalement en-soi figé. Cela va plus loin, car on pense que le sot ignore qu’il est sot. On lie donc ici sottise et ignorance : on s’amuse du sot qui croit à la validité de son effort libre, qui compte sur lui, met en lui sa dignité, s’effraye du résultat de son effort (faute de le voir encore) alors qu’il est en fait un pur anachronisme qui enfonce des portes ouvertes. Il y a donc au cœur de la conscience sotte une perpétuelle mystification, un perpétuel mensonge, une ignorance profonde. Le sot est dupe, sa conscience est truquée ; il croit être homme quand il n’est que nature, il croit agir quand il est entre parenthèses et qu’il se bat contre des difficultés déjà tombées hors du monde ; il croit être mon contemporain alors qu’il est tombé hors de mon temps, qu’il retarde, comme on dit. Ainsi pense l’homme « intelligent », sot en ceci qu’il ne voit pas que la sottise vient au sot par Autrui.

Jean-Paul Sartre, Cahiers pour une morale, Gallimard, pp. 320-321.

David Farreny, 14 déc. 2008
honte

Moralité : ce n’est plus le sentiment de supériorité religieuse, raciale ou nationale qui, sous nos latitudes, fait les antisémites, c’est la honte, la contrition, une mémoire en forme de casier judiciaire et le remords d’appartenir au camp des oppresseurs. Ainsi s’égare la mauvaise conscience ; ainsi bascule dans la monstruosité cette aptitude à se mettre soi-même en question qui a longtemps constitué le meilleur de l’Occident, son trait distinctif et sa principale force spirituelle.

Alain Finkielkraut, « Au pays du progressisme déconcertant », L’imparfait du présent, Gallimard, p. 235.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
sonorité

On passait par des villages, on en manquait aussi, qu’on voyait sur le côté avec leur clocher émergeant des maisons au bout d’une vicinale, et de temps en temps également on voyait des vaches, et toujours au loin ces rondeurs boisées qui se rapprochaient parfois et qu’alors on grimpait. Depuis la pause, Claire avait l’air moins tendue, à un moment il m’a semblé la voir de nouveau sourire, ou accueillir en elle un sourire, plutôt, qui lui venait de l’intérieur et qu’elle ne maîtrisait pas. Tout de suite après son visage est devenu impénétrable. Vous allez où, finalement ? a-t-elle dit soudain. Qu’est-ce que vous faites ? Je ne sais pas, ai-je répondu immédiatement, je roule comme ça, je me déplace, je n’ai pas d’a priori. Pour l’instant, je vous l’ai dit, je me dirige vers Mende. Je n’avais pas envie de lui dire que j’allais à Marseille, comme, je m’en rendais compte, je l’avais finalement décidé. D’abord parce que je ne voulais pas qu’elle puisse me situer dans un projet auquel elle aurait pu, peu à peu, adhérer. Ensuite parce que Marseille s’était peu à peu imposé à moi comme mot, et non prioritairement comme destination. J’ignorais comment Marseille, donc, l’avait emporté sur Nice, comment sa sonorité avait pris le devant, mais c’était un fait, je me dirigeais actuellement vers la sonorité de Marseille.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, pp. 65-66.

David Farreny, 22 sept. 2011
écartelé

Si les dimensions du réel et de l’imaginaire peuvent s’ajuster harmonieusement, et se communiquer mutuellement leurs richesses, il arrive aussi que le rêveur se retrouve écartelé entre leurs exigences contradictoires. Une part de sa vie, et non des moindres, nécessite qu’il abandonne sa bienheureuse hébétude, non seulement pour se soumettre à des contraintes qui lui déplaisent, mais aussi parce qu’il peut vouloir son propre bien d’une manière moins immédiate. Il peut par exemple avoir besoin de mobiliser toutes ses forces, en un effort tendu, pour progresser dans un domaine qui l’intéresse, pour intervenir dans la sphère sociale. Pour désigner ces deux temps de l’existence, Bachelard emprunte à Carl Gustav Jung ses notions d’animus et d’anima (chez Jung, l’animus désigne la part masculine du psychisme féminin, et l’anima, la part féminine du psychisme masculin). À l’animus le dynamisme, la socialisation, le temps haché par les horaires ; à l’anima la langueur, la solitude, la durée. Pour tous les hommes, le passage de l’un à l’autre se fait, par la force des choses. Sans cesse, les contingences de la vie quotidienne viennent rappeler au rêveur les exigences de l’animus. Il faut s’arracher de son lit lorsque le réveil sonne, quitter l’habitacle protecteur du train ou de la voiture lorsqu’on est arrivé à destination, s’ébrouer lorsque le médecin apparaît sur le seuil de la salle d’attente, se forcer à cesser de penser à l’être aimé pour se mettre enfin au travail, retourner à l’école, à l’atelier ou au bureau lorsque le week-end ou les vacances, dont on aurait voulu retenir chaque minute et qui nous ont coulé entre les doigts comme du sable, sont terminés…

Mona Chollet, La tyrannie de la réalité, Calmann-Lévy, p. 39.

Cécile Carret, 1er mai 2012
ouvre

Mais, pour le lecteur, quelle aubaine, un écrivain qui a du style ! Voici enfin toute l’expérience humaine reformulée. Tout est neuf – pas trop tôt ! C’est un enfant qui nous parle et qui, de plus, connaît tous les mots. La fleur, l’oiseau, la mort, le cageot, nous allons de révélation en révélation : c’était donc ça ! Il n’y a que les écrivains et la neige – mais elle fond – pour donner au monde un tel bain de fraîcheur.

Une langue que l’on comprend mais qu’on ne parle pas, que l’on sait lire mais pas écrire – étrange pays que nous visitons, où ne vit qu’un habitant – le premier ou le dernier homme ? l’un et l’autre sans doute. Un no man’s land de poussière grise et de végétation agressive – possiblement carnivore – en défend souvent l’accès. Et ces rouleaux hérissés, griffus, ronces ou barbelés ? On tâte du bout du pied le sol : il n’aurait tout de même pas des mines ? ! C’est autre chose en effet que l’allée de gravier blanc qui zigzague sur cinq mètres, entre deux parterres de gazon fleuri, jusqu’à la porte de notre maisonnette. Beaucoup vont reculer. Si l’on insiste pourtant, insensiblement le terrain change. Ou serait-ce seulement notre foulée qui gagne en aisance ? Le monde s’ouvre avec le livre. Nous avons à présent trouvé la vitesse de lecture qui convient, les volumes anguleux, les figures grimaçantes, toutes les formes revêches qui nous effrayaient au début s’y inscrivent harmonieusement : s’ensuit une nouvelle évidence qui cependant échappe au lieu commun de la représentation. Bonne gifle d’eau glacée sur nos têtes dodelinantes, réveil de la conscience assoupie, trop longtemps bercée par l’ennui ordinaire des jours, opacifiée par les idées reçues et leur formulation proverbiale.

Mais l’écrivain dépourvu de style, tenant de l’écriture blanche, neutre, plate, sans effets ni métaphore, fait le jeu de l’état des choses, redouble inutilement le réel, étend sur le sol la fameuse carte géographique aux dimensions du monde imaginée par Borges ; littérature de miroitier bègue à l’usage des singes et des perroquets. Faudra-t-il donc aussi mourir deux fois ?

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 91.

Cécile Carret, 24 fév. 2014
esthétique

Les autobiographies intéressantes pourraient abonder si écrire la vérité ne constituait pas un problème esthétique.

Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 36.

David Farreny, 3 mars 2024

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