nihiliste

Le nihiliste n’est pas celui qui ne croit à rien, mais celui qui ne croit pas à ce qui est.

Albert Camus, L’homme révolté (2), Gallimard.

David Farreny, 22 mars 2002
poules

Les poules ne pondent pas d’œuf. Personne ne pond. Il n’y a pas moyen. Elles les déterrent.

Henri Michaux, « En marge de Qui je fus », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 132.

David Farreny, 23 mars 2002
signe

Tu as peur quand tu penses à la mort ? Je n’ai qu’une effroyable peur de souffrir. C’est mauvais signe. Vouloir la mort sans la souffrance est mauvais signe.

Franz Kafka, Lettres à Milena, Gallimard, p. 246.

David Farreny, 24 mars 2002
élytres

Je me suis mis au travail, une flaque de sueur sous chaque coude, en sachant bien que je trichais, que j’avais peur, que je m’attachais au mât comme UIysse. Il s’agit d’autre chose ici. La nuit regorgeait de lenteur d’un silence interrompu seulement par le bref galop des chèvres qui tondent les bastions, ou le bourdonnement de je ne sais quelle beste dans ma toiture. Pour me donner du cœur et garnir un peu mon carquois, j’ai fait le compte des chambres où je suis passé depuis mon départ. C’est la cent dix-septième. La prochaine risque d’attendre longtemps son tour. Il faut bien s’arrêter de temps en temps pour apprendre à faire sa musique, faire un peu chanter ses élytres, non ?

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, p. 33.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
cercueil

J’ai rasé ce matin la barbe que je portais depuis l’Iran : le visage qui se cachait dessous a pratiquement disparu. Il est vide, poncé comme un galet, un peu écorné sur les bords. Je n’y perçois justement que cette usure, une pointe d’étonnement, une question qu’il me pose avec une politesse hallucinée et dont je ne suis pas certain de saisir le sens. Un pas vers le moins est un pas vers le mieux. Combien d’années encore pour avoir tout à fait raison de ce moi qui fait obstacle à tout ? Ulysse ne croyait pas si bien dire quand il mettait les mains en cornet pour hurler au Cyclope qu’il s’appelait « Personne ». On ne voyage pas pour se garnir d’exotisme et d’anecdotes comme un sapin de Noël, mais pour que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces serviettes élimées par les lessives qu’on vous tend avec un éclat de savon dans les bordels. On s’en va loin des alibis ou des malédictions natales, et dans chaque ballot crasseux coltiné dans des salles d’attente archibondées, sur de petits quais de gare atterrants de chaleur et de misère, ce qu’on voit passer c’est son propre cercueil. Sans ce détachement et cette transparence, comment espérer faire voir ce qu’on a vu ? Devenir reflet, écho, courant d’air, invité muet au petit bout de la table avant de piper mot.

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, p. 46.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
horizon

Au reste, mon horizon ne se borne pas à la littérature. Une confidence : j’écris pour gagner ma vie. Mais mes vraies passions secrètes sont l’immobilier, la bourse et l’import-export.

Éric Chevillard, Du hérisson, Minuit, p. 27.

David Farreny, 18 mai 2009
plaie

La lenteur est restée là cependant, la lente et terrible vie. Ils sont là, derrière les tilleuls tout au fond des cours, ceux qui sont partis chercher du grain et sont revenus sans paille. On ne les voit pas, ils se cachent de père en fils dans des blouses de pharmaciens, ils colligent des dossiers, des actes timbrés, la poussière les tient. Ils sont là, derrière les grappes de glycines, les poètes qui ne sont pas devenus poètes, les lions qui sont devenus chiens, les amoureuses qui ont vainement brûlé jusqu’à la vieillesse, et dont toutes les supériorités ont fait plaie dans l’âme au fur et à mesure que le froid de la province les saisissait, les gelait, doucement les broyait là — et leur laissait le temps, tout le temps d’y penser.

Pierre Michon, « Le temps est un grand maigre », Trois auteurs, Verdier, pp. 24-25.

Élisabeth Mazeron, 1er juil. 2010
bureaux

Eh bien ! Barnabé n’a pas ce costume, ce n’est pas seulement humiliant, avilissant, ce qui serait encore supportable, mais, surtout aux heures pénibles — et nous en avons quelquefois, souvent même, Barnabé et moi — cela donne à douter de tout. Est-ce bien du service comtal ce que fait Barnabé, nous demandons-nous alors ; certes il entre dans les bureaux, mais les bureaux sont-ils le vrai Château ? Et même si certains bureaux font bien partie du Château, est-ce que ce sont ceux où il a le droit de pénétrer ? Il va dans des bureaux, mais dans une seule partie de l’ensemble des barreaux, après ceux-là il y a une barrière, et derrière cette barrière encore d’autres bureaux. On ne lui interdit pas précisément d’aller plus loin, mais comment irait-il plus loin, une fois qu’il a trouvé ses supérieurs, qu’ils ont liquidé ses affaires et qu’ils l’ont renvoyé ? Et puis on est observé constamment là-bas, on se le figure tout au moins. Et, même s’il allait plus loin, à quoi cela servirait-il s’il n’a pas de travail officiel, s’il se présente comme un intrus ? Il ne faut pas te représenter cette barrière comme une limite précise, Barnabé y insiste toujours. Il y a aussi des barrières dans les bureaux où il va, il existe donc des barrières qu’il passe, et elles n’ont pas l’air différentes de celles qu’il n’a pas encore passées, et c’est pourquoi on ne peut pas affirmer non plus a priori que les bureaux qui se trouvent derrière ces dernières barrières soient essentiellement différents de ceux où Barnabé a déjà pénétré. Ce n’est qu’aux heures pénibles dont je te parlais qu’on le croit. Et alors le doute va plus loin, on ne peut plus s’en défendre. Barnabé parle avec des fonctionnaires, Barnabé reçoit des messages à transmettre, mais de quels fonctionnaires, de quels messages s’agit-il ? Maintenant il est, comme il dit, affecté au service de Klamm et reçoit ses missions de Klamm personnellement. C’est énorme, bien des grands domestiques ne parviennent pas si loin, c’est même presque trop, c’est ce qu’il y a d’angoissant. Imagine : être affecté directement au service de Klamm ! Lui parler face à face ! Mais en est-il ainsi ? Oui il en est ainsi, il en est bien ainsi, mais pourquoi Barnabé doute-t-il donc que le fonctionnaire qu’on appelle Klamm dans ce bureau soit vraiment Klamm ?

Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, pp. 669-670.

David Farreny, 24 oct. 2011
chat

On ne possède jamais que le chat du voisin.

Éric Chevillard, « mardi 9 juillet 2013 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 9 juil. 2013
cour

Peu de plaisir, davantage d’obligations, encore plus d’ennui, encore plus d’insomnies, encore plus de maux de tête — voilà comme je vis et maintenant j’ai juste dix minutes de calme pour regarder la pluie tomber dans la cour de l’hôtel.

Franz Kafka, « lettre à Felix Weltsch (10 septembre 1913) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 715.

David Farreny, 1er mai 2014
surdité

Qui peut écrire comme ça, aujourd’hui, sachant que le théâtre des opérations est devenu quasi insignifiant, notamment sur le plan de la langue ? La perte du sentiment de la langue, quoi qu’on en dise, produit une déperdition littéraire : la surdité est culturelle, l’aveuglement, idéologique.

Richard Millet, « 25 décembre 1999 », Journal (1995-1999), Léo Scheer.

David Farreny, 24 avr. 2024

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