chambre

Peut-être, dans le noir de la nuit, après une journée décomposante, cela dit « tranquillise-toi, tu as encore une chambre ».

Henri Michaux, « Façons d’endormi, façons d’éveillé », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 469.

David Farreny, 2 juin 2006
personne

La catégorie de personne a le pouvoir de souder dans un temps commun le nouveau-né au vieillard. Et, même si l’on a tout oublié, si l’on a été l’objet d’une transformation radicale de la conscience, la catégorie de personne nous contraint à être les mêmes jusqu’à notre mort.

Jusqu’à l’essor des biotechnologies, les règles de subjectivation renvoyaient aux conditions langagières et médicales standardisées, extérieures au droit, que celui-ci devait, en quelque sorte, constater. Être né viable, ne pas être mort, avoir un corps étaient, dans une très large mesure, des évidences sensibles, faisant l’objet de conventions langagières certes variables, mais non juridiques. Les technologies de la vie ont poussé le droit à briser les conventions sur lesquelles s’appuyaient les règles de subjectivation. L’essor de la greffe a été à l’origine de la création d’une nouvelle forme de mort, la mort cérébrale, construction juridique qui permet de déclarer morts des êtres humains qui sont encore vivants. Et puis, lorsque les biotechnologies ont octroyé au matériau humain une valeur médicale croissante à chaque stade du développement de l’être humain, il a fallu étendre l’artificialisation de la vie par le droit. L’hypothèse de la greffe totale fait vaciller tout support corporel à l’identité personnelle, et le droit intervient non plus seulement pour organiser les pratiques médicales, mais aussi pour créer des conventions langagières communes nous permettant de nous entendre dans un monde si extravagant. Ainsi, le droit a dû établir à quelles conditions la catégorie de personne pouvait unifier l’existence biologique d’un individu empirique ; alors, son corps, comme on l’a vu, pouvait être soumis à un rapiècement et à une circulation maximale.

Marcela Iacub, Penser les droits de la naissance, P.U.F., p. 113.

David Farreny, 3 août 2006
réservoir

Je sais que mon corps est un réservoir à pièges, mon sang perclus de chausse-trapes, mes os émaillés de silences inquiétants. Partout peuvent affleurer des symptômes, se dresser des malaises. Ces lieux qui me constituent me sont à la fois familiers, amicaux, même quand ils génèrent des serpents, et inaccessibles. Les images qu’en donnent les échographies ou les scanners sont de magnifiques fantasmes à usage médical, un vertigineux empilement de pixels qui ne peut pas me concerner, encore moins me représenter.

Mathieu Riboulet, Mère Biscuit, Maurice Nadeau, p. 23.

Élisabeth Mazeron, 7 nov. 2007
avenir

L’avenir est difficile.

Pierre Bergounioux, « vendredi 2 août 1996 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 738.

David Farreny, 12 déc. 2007
histoire

Finie la vie. Il n’en reste plus. On pourra seulement, si on le veut absolument, en faire l’histoire.

Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 208.

David Farreny, 4 mars 2008
égaré

Égaré dans ces images de maisons basses et d’étoiles, j’aperçus tout à coup un avion – un garçon, les bras tendus en ailes, vrombissant comme un supersonique, qui tournait, virevoltait, atteignit une petite place, devint automobile, gronda, actionna ses leviers, saisit son volant, fit, d’une grosse voix muée, rugir son moteur et, les poings en pare-choc, freina brusquement devant une autre voiture pour pisser contre.

Tony Duvert, Journal d’un innocent, Minuit, p. 22.

Cécile Carret, 6 déc. 2008
nullifié

Telle fut, je crois, la première pensée qui se leva en moi lorsque je finis par éprouver comme une chose gênante et indécente ma propre existence au sein de l’entière blancheur. Je sentis péniblement la matérialité de mon corps qui faisait obstacle à la toute paisible et pacifiante expansion du blanc. Je me découvris singulier, hétérogène, rejeté du cœur absent de ce monde nullifié que je contemplais, certes, mais qui ne m’était pas donné en partage. Et dans le désert d’être qui se perdait en ses propres lointains sans forme, sans couleur et sans substance, ma présence, infiniment chétive, faisait injure au néant.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, p. 76.

Élisabeth Mazeron, 24 mars 2010
possible

À peu près cinq cents mètres avant l’hôtel, dans un virage, il s’arrêta, ouvrit la portière :

— Je vous lâche. Il n’est pas nécessaire qu’on sache que nous venons de faire ensemble ce bout de chemin. Qu’en pensez-vous ? C’est préférable.

Et, plus doucement, il prit ma main ; il la regarda quelque temps, la maintenant entre ses doigts, la paume ouverte, il la porta lentement à ses lèvres.

— Il faut profiter du moment où les choses sont possibles, dit-il. Encore possibles. Un jour, même l’hypothèse n’est plus possible. Un jour, la possibilité n’existe plus. Vous le saurez, vous aussi. Vous le découvrirez, vous aussi. Un jour, il n’y a plus qu’à marcher devant soi, droit au mur. Mais le regret reste, dit-il. Au bout d’un certain temps, le regret, c’est tout ce qui reste. Allez, sortez.

Dominique Barbéris, Beau Rivage, Gallimard, pp. 126-127.

David Farreny, 16 août 2010
mécanique

Adossé au comptoir de la Brasserie-Noire, je bois un demi ; à partir d’aujourd’hui, te voilà seul, mon bonhomme, tu dois faire face tout seul, te forcer à voir du monde, t’amuser, te jouer la comédie aussi longtemps que tu t’accrocheras à cette terre ; à partir d’aujourd’hui ne tourbillonnent plus que des cercles mélancoliques… En allant de l’avant tu retournes en arrière, oui : progressus ad originem et regressus ad futurum, c’est la même chose, ton cerveau n’est rien qu’un paquet d’idées écrasées à la presse mécanique.

Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, Robert Laffont, p. 109.

Cécile Carret, 13 juin 2011
prix

Avec un sentiment.

Un curieux sentiment.

Comme un sentiment de domination, de supériorité, voilà, la supériorité de l’homme debout sur l’homme assis.

Quoi encore ?

Un certain pouvoir sur la vitesse, sur le paysage, qui défile devant les fenêtres, où le jour se joue de tout. Des têtes. Des nuques, des visages, qui se balancent en même temps. Il reste même une place libre.

Lui seul peut décider de la prendre.

Quelle jouissance, quand même.

Et si j’allais m’asseoir, se dit-il.

Tu paieras pas plus cher.

On ne s’entend jamais sur le prix.

Ce qui lui coûte à lui, c’est de se faire remarquer, encore, de déranger encore, de demander pardon, enfin bon.

Il y va. Il prend son sac et il y va.

Il aurait pu ne pas y aller mais il y va.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 51.

Cécile Carret, 4 mars 2012
impossible

Dimanche atroce. Hier je reçois une lettre de N. : « Arrive demain… » Pas moyen de lui répondre, sinon par télégramme, et comment écrire un télégramme ? J’ai passé une mauvaise nuit, puis bien obligé d’aller la chercher à la gare, à huit heures. J’avais ma gueule impossible — impossible d’en avoir une autre — et je pensais à toute la journée qu’il faudrait passer. Je l’ai emmenée sur le port, nous avons bu du café, puis les heures avançaient quand même ; restaurant. L’après-midi, je l’ai traînée voir des amis à la Pointe du Leydé. Dès qu’elle me touchait, c’était affreux. Nous sommes revenus à cinq mètres l’un de l’autre, elle pleurant, moi sifflotant. Horrible. Enfin, à six heures, dans ma piaule, j’ai pris mon courage à deux ou trois mains, lui ai certifié que j’étais incapable d’aimer qui que ce soit, sinon n’importe qui, dans la rue, comme ça, et après bien des larmes, elle est repartie passer toute la nuit dans le train. Pauvres êtres que nous sommes.

Georges Perros, « Feuilles mortes », Papiers collés (3), Gallimard, pp. 279-280.

David Farreny, 27 mars 2012
éclat

Et c’est un vrai printemps qui est venu, terriblement jeune. Il resplendit avec trop d’éclat pour nos yeux.

Sigismund Krzyzanowski, Rue Involontaire, Verdier, p. 22.

Cécile Carret, 12 mai 2024

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