ce

Un Hindou adorerait un mur plutôt que de ne rien adorer du tout. Il le ferait. Ce lui est possible.

Henri Michaux, « Idoles », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 695.

David Farreny, 20 mars 2002
proclamer

Chaque fois que cela ne va pas et que j’ai pitié de mon cerveau, je suis emporté par une irrésistible envie de proclamer. C’est alors que je devine de quels piètres abîmes surgissent réformateurs, prophètes et sauveurs.

Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, Gallimard, p. 16.

David Farreny, 13 oct. 2006
arsouilles

Déjeuné de tomates, de sardines, de vaches qui rit, de raisin sur les hauteurs d’un pré. Des maçons arsouilles allongés à côté d’une villa qu’ils bâtissaient ont appelé des étudiantes qui partaient en promenade à une heure de l’après-midi. Les maçons ont échoué, le chant tenace d’un oiseau invisible a buté l’hymen des jeunes filles qui s’éloignaient en se donnant la main.

Violette Leduc, Trésors à prendre, Gallimard, p. 138.

Cécile Carret, 11 mars 2007
rêve

On a, sous les yeux, tracée de sa main, la carte en relief du lit de l’Atlantique, avec ses fosses descendant à plus de 6000 mètres, ses rampes vertigineuses, ses coteaux arides comme l’enfer qui eussent épouvanté le Dante, ses cirques d’effroi, ses Alpes inconnues, ses chaînes inimaginées et leurs contreforts, leurs crêtes, leurs pics, leurs croupes indomptées, leurs éperons, leurs falaises, leurs gorges terrifiques hantées par des monstres ignorés dont la seule vue ferait mourir ; enfin, çà et là, des pyramides ou de fabuleux piliers soutenant des îles enchantées pleines de lumière et de verdure, où des hommes joyeux ou privés de joie subsistent, sans se douter qu’ils sont, en réalité, sur l’extrême pointe d’une aiguille que la plus légère secousse plutonienne peut casser demain ; car les volcans se promènent en bas, dans les vallées immenses qui vont probablement d’un pôle à l’autre, sans parler des énormes dépressions transversales, méditerranéennes ou autres, mal connues encore.

Tout cela est, pour l’âme, l’occasion d’un trouble étrange. On se sent précaire et misérable infiniment. On voit que cette terre est un rêve, le rêve d’un rêve, et qu’il est absurde d’y compter.

Léon Bloy, Exégèse des lieux communs, Payot, pp. 394-395.

David Farreny, 29 oct. 2007
enfoncé

J’ai préféré la solitude aux entraînements de la bavarderie, de la chasse, de la pavane, de tous les bruits à deux ou en bande. Au fond de mes maisons, au soir de journées devenues denses et lentes, je me suis enfoncé au plus profond et au plus sourd de moi, dans une sorte d’alerte ou de pétrification dont je ne supporte plus qu’on me tire à l’improviste.

Il existe dans ces tuyauteries auxquelles mes araignées normandes me font songer des détours, des dérivations que l’on dirait inutiles, bras morts des rivières obscures, parenthèses dans le discours muet. Il suffit de se pencher derrière un lavabo ou d’ouvrir la «  plaque de visite  » des baignoires pour découvrir ces cols de cygne en plomb, ces S majuscules où j’imagine que mes noiraudes espèrent trouver, à l’écart du grand collecteur, un refuge sûr. L’image me poursuit parce qu’elle contient tout ce qu’il faut pour exprimer ma sensation, qui est de m’enfoncer dans du noir, de l’humide, et de chercher ce coude étréci de mon souterrain où personne, jamais, n’aura l’idée de venir me traquer.

François Nourissier, Le musée de l’homme, Grasset, p. 214.

David Farreny, 26 avr. 2009
complexité

On pense toujours à la complexité comme à quelque chose en plus, il me semble : un supplément de complication, d’intrication, de simultanéité, de densité. Il serait intéressant d’y penser aussi comme à quelque chose en moins, ou plus exactement qui procéderait du moins, de la perte, de l’oubli, de la confusion, de la fatigue, du grand âge, de la sénilité. Il y a toujours eu chez moi, and with good reason, cette conviction que l’intelligence, et d’abord la mienne, bien entendu, était incommensurable à l’intelligible, au connaissable, à l’aimable, au visible. De temps en temps j’ai deux ou trois idées claires, qui brillent un laps. Et puis ce qui les reliait s’efface — peut-être n’étaient-elles, d’ailleurs, que ce qui les reliait, cet enchaînement qui se délite. Les noms se dérobent, les souvenirs s’offusquent, les attaches entre les objets se rompent. Il me semble qu’on pourrait faire une œuvre à partir, non pas de la maladie d’Alzheimer, mais de l’état d’un malade atteint de la maladie d’Alzheimer, qui n’est jamais qu’une aggravation de notre condition à tous, de notre inadéquation fondamentale, ontologique pour le coup, à l’énormité du monde sensible. Une telle œuvre serait une perpétuelle recherche des passages. Mais le soupçon me vient que peut-être je l’ai déjà écrite, en grande partie.

Renaud Camus, « jeudi 11 juin 2009 », Kråkmo. Journal 2009, Fayard, p. 277.

David Farreny, 14 déc. 2010
contrée

Ah ! voilà les chevaux qui se mettent à hennir ; ce bruit doit être prescrit par un ordre supérieur pour faciliter l’auscultation, et maintenant, je le vois bien : oui, le jeune homme est malade. Dans le flanc droit, à hauteur de la hanche, une plaie grande comme une soucoupe s’est ouverte. Rose, nuancée de mille tons, sombre au fond, puis de plus en plus claire à mesure qu’on se rapproche des bords, fine de grain, avec du sang qui s’accumule irrégulièrement, ouverte comme un puits de mine à ciel ouvert. C’est ainsi qu’elle se présente à distance. De près, elle paraît encore pire. Qui peut regarder cela sans un léger sifflement ? Des vers, de la grosseur et de la longueur de mon petit doigt, roses et barbouillés de sang, se tordent au fond de la plaie qui les retient, pointent de petites têtes blanches et agitent à la lumière une foule de pattes minuscules. Pauvre garçon, on ne peut plus rien pour toi. J’ai découvert ta grande plaie ; tu péris de cette fleur dans ton flanc. La famille est contente, elle me voit à l’œuvre ; la sœur le dit à la mère, la mère au père, le père à quelques visiteurs qui entrent sur la pointe des pieds par le clair de lune de la porte ouverte, en étendant leurs bras pour faire balancier. « Me sauveras-tu ? » souffle entre deux sanglots le garçon complètement hypnotisé par la vie qui grouille dans sa blessure. Tels sont les gens de ma contrée. Ils exigent toujours l’impossible du médecin. Ils ont perdu l’ancienne foi ; le prêtre reste chez lui et transforme en charpie les ornements sacerdotaux l’un après l’autre ; mais le médecin doit tout faire de sa main légère de chirurgien.

Franz Kafka, « Un médecin de campagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 443-444.

David Farreny, 3 déc. 2011
beauté

(Qu’est-ce que ce besoin que nous avons de beauté ? Un caractère acquis, un réflexe conditionné, une convention linguistique ? Et la beauté physique, en soi, qu’est-ce ? Un signe, un privilège, un don irrationnel du sort, comme – ici – la laideur, la difformité, la déficience ? Ou bien un modèle sans cesse changeant que nous forgeons, plus historique que naturel, une projection de nos valeurs et notre culture ?)

Italo Calvino, La journée d’un scrutateur, Seuil, p. 33.

Cécile Carret, 8 janv. 2012
but

Mon but ? Il m’atteindra tôt ou tard.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 46.

David Farreny, 8 oct. 2014
trésors

Tous les trésors que nous accumulons dans nos placards, dans nos armoires, dans nos tiroirs, forment ce déchet dont Emmaüs ne voudra pas.

Éric Chevillard, « mardi 11 juin 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 6 mars 2024

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