nihiliste

Le nihiliste n’est pas celui qui ne croit à rien, mais celui qui ne croit pas à ce qui est.

Albert Camus, L’homme révolté (2), Gallimard.

David Farreny, 22 mars 2002
Occident

Mais — la rareté du ciel lorsqu’il blanchit, les rues identiques les unes aux autres, le dimanche soir en Occident…

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 163.

David Farreny, 15 nov. 2002
découragement

On ne prête pas le flanc au découragement, soudain on est le découragement entier.

François Rosset, L’archipel, Michalon, p. 102.

David Farreny, 5 fév. 2004
répliquer

D’ailleurs, je me fais autant refouler des deux côtés. Par les figures glabres, parce que je n’admire pas assez leurs trésors ; par les gueules de christ, parce que je ne communie pas. Repas dans les familles ou bouffe avec les mecs, on me dépiste. Je m’interdis habituellement tout mot, tout geste qui laisserait apercevoir quel dégoût et quelle désolation je suis en train d’éprouver, mais on me juge plutôt sur ma tiédeur. Comme dans une séance de table tournante, la présence d’un sceptique ruine le cercle parfait. On découvre le coupable, on l’attaque, on l’invite une dernière fois à obéir, à approuver, à démontrer qu’il ressemble aux autres, qu’il est de la tribu. Mais je ne sais pas m’y prendre.

Par exception, cela tourne mal. Les mecs, surtout peuvent devenir très hargneux, très offensifs quand on suspecte leur religion ou leur sainteté. Je ne réagis pas ; mais si on m’ennuie trop, je ne peux répliquer que physiquement. Mes colères sont très rares, très brutales. Je risque d’attraper le con, secouer, gifler, cogner. C’est ennuyeux, je ne suis pas fier après. Mais on ne peut pas se contenter de paroles, elles sont pourries jusqu’au dernier mot chez ces génies du mensonge à soi-même. Mon corps transcrit en une langue surprenante pour des non-violents ce qu’ils étaient, disaient, faisaient réellement. Il paraît qu’il faudrait plutôt digérer : je ne suis pas sociable à ce point, dès que ça fait trop mal et que ça pue trop fort, je le renvoie d’où ça vient – sans l’emballage évangélique.

Tony Duvert, Journal d’un innocent, Minuit, p. 52.

Cécile Carret, 6 déc. 2008
morgue

Par la fenêtre, on voyait en bas la rue pluvieuse, goudron ravaudé et flaques de verre noir ; en haut le polygone du ciel, petit, joli. De côté, la lumière funèbre de la lune ; dessous, la morgue des nuages rigides dans des draps funestes. Nous fîmes une moue désapprobatrice et retournâmes au coin du feu. Frau Doktor me regarda non sans bienveillance ; et me régla pour mon confort la chaise longue encore plus méticuleusement, si bien que je me retrouvais presque couché sur le dos, assailli sans cesse par les flammes friponnes ; quant à elle, elle s’adossa décemment et fuma.

Arno Schmidt, « Histoire racontée sur le dos », Histoires, Tristram, p. 53.

Cécile Carret, 17 nov. 2009
chafouin

Arrêtons-nous quelques instants sur le jeune Angus Napier. C’est un garçon de petite taille à l’air apeuré quoique dangereux, sournois bien qu’une innocence parfois égarée dans son regard, naïve et butée comme celle d’un ange, fasse concurrence à cet aspect chafouin et donne l’impression d’un enfant assez fou, capable de torturer quelqu’un à mort tout en le serrant en larmes contre lui, lui vouant son amour et sa vie entre deux séances au fer rouge – plagiant ainsi, donc, par anticipation l’habitus de l’acteur Elisha Cook Junior qui va naître à San Francisco dans dix ans, comme Richard Widmark un 26 décembre, avant de venir grandir ici même à Chicago, puis d’aller déployer à Hollywood ses talents de comédien de second plan.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 65.

Cécile Carret, 9 oct. 2010
ramonées

Treizième arrondissement, derrière le boulevard de la Gare. Tours neuves des « résidences », enfoncées une à une dans la glaise comme les pieux d’un barrage, grues, fouilles, terrassements qui tranchent par un côté comme un massicot une colline d’une quinzaine de mètres. Tout ce dévalement morne et disgracié de la Butte-aux-Cailles vers la Seine, au-delà du vaste enclos bâti de la Salpêtrière — bizarre fief onomastique de Jeanne d’Arc : rue Lahire, rue Dunois, rue Xaintrailles, rue Richemont, rues de Reims, de Domrémy, de Patay (Gilles de Rais n’a pas la sienne) coupé en son milieu par l’énigmatique rue du Château-des-Rentiers — tout ce quartier bouleversé, éventré, rasé, hérissé de donjons de béton, évoque aujourd’hui São Paulo plus que Lutèce ; quelques fragments de sordides petites rues jamais ramonées débouchent, tranchées net comme les tronçons d’une tuyauterie oxydée, sur les terre-pleins boueux où champignonnent les casques jaunes. Aucun quartier de Paris ne connaît une mutation aussi brutale, aussi massive : c’est ici de la chirurgie lourde de greffe d’organes à côté des implants et des inlets d’une délicate prothèse dentaire.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, pp. 2-3.

David Farreny, 18 oct. 2014
rougis

Moins je mens, plus je rougis.

Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard.

David Farreny, 28 fév. 2024
tromper

Voilà pourquoi ils furent plus indulgents à l’égard d’un Sartre qui, interrogé par Michel Contat à propos de son stalinisme pro-soviétique puis prochinois, déclara qu’il n’avait, au fond, rien fait d’autre que se tromper – même si l’actualité du communisme dont il était le témoin, à chaque procès truqué, à chaque massacre de masse, à chaque purge, à chaque déportation, lui aurait permis de se ressaisir. Son idéal étant moralement juste, seuls les faits, têtus, idiots, s’obstinaient à avoir tort ; par conséquent, il avait eu raison de se tromper.

Frédéric Schiffter, Sur le blabla et le chichi des philosophes, P.U.F., pp. 23-24.

David Farreny, 14 mai 2024

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