style

Dieu. Rien à faire. Comment pourrais-je rêver à un Dieu absolu dans le haut des cieux, un Dieu de style ancien ?

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 378.

David Farreny, 24 mars 2002
courage

Et malgré tout ce bonheur qui nous entoure, qui nous fait signe, quelqu’un, un jour, a osé parler du courage de vivre. Quelqu’un, un jour, s’est suicidé. […] Tous les charmes que dispensent l’écoulement des jours, et les jeux proposés ici-bas, rien ne résiste à l’ennui, à la fatigue, à l’usure de notre sensibilité. Le temps d’aménager en hâte notre intérieur, et déjà la cloche sonne. Il faut partir. Tout laisser, tout perdre, cette femme que l’on a aimée, cette nature qui nous a bouleversé. Comment ne pas comprendre les milliers d’à quoi bon qui éclatent et s’évaporent dans l’indifférence de l’espace.

Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard, p. 28.

David Farreny, 13 avr. 2002
courage

Le plus dur est toujours la peine qu’on cause. Il faut la voir aussi, hélas, comme le chantage le plus cruel, et se souvenir qu’elle n’a d’autre origine que l’erreur ou le préjugé. La vérité c’est qu’il est vain, dans quelque situation qu’on soit, d’espérer faire l’économie d’un moment de courage.

Renaud Camus, « mercredi 21 mai 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 266.

David Farreny, 30 juil. 2005
résistance

Or rien de tout cela, j’en suis maintenant persuadé, n’est l’effet d’accidents, de malveillance ou de malchances ponctuelles. Non, c’est écrit. C’est écrit dans mon tempérament, dans ce qui fait mes rapports avec la réalité, dans les limites de mes talents ; comme sont écrites aussi, heureusement, une curieuse obstination, qui fait mon infortune, sans doute, mais qui fait aussi ma résistance à ses piques : une inlassable curiosité du monde ; une splendide obsession sexuelle ; et une paradoxale joie de vivre.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 351.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
ressuscités

Il était étrange de penser qu’avec les DVD et autres supports les générations suivantes connaîtraient tout de notre vie quotidienne la plus intime, nos gestes, la façon de manger, de parler et de faire l’amour, les meubles et les sous-vêtements. L’obscurité de siècles précédents, peu à peu repoussée de l’appareil sur trépied chez le photographe à la caméra numérique dans la chambre à coucher, allait disparaître pour toujours. Nous étions à l’avance ressuscités.

Annie Ernaux, Les années, Gallimard, p. 224.

Élisabeth Mazeron, 23 mai 2008
passerelles

Or la puissance du désir est telle, et les ressources de l’imagination qui la soutiennent sont si considérables que quatre ou cinq mois d’une attente ainsi nourrie étaient aussi riches, aussi pleins de sentiments variés que si celui qui m’occupait l’esprit avait effectivement partagé ma vie pendant cette période. Voilà pourquoi celui qui attend longtemps ne se décourage pas. Sans qu’il soit fou, sans qu’il confonde ses rêves avec la réalité, son obsession leur donne une consistance qui en fait des passerelles solides entre les événements réellement vécus, tandis que bien souvent ce sont ces événements qui, par leur brièveté, ou par la déception qu’ils causent, pourraient n’avoir été que rêvés.

Catherine Millet, Jour de souffrance, Flammarion, pp. 68-69.

Élisabeth Mazeron, 12 mars 2009
on

On s’étonne aussitôt que Marconi soit parvenu à ses fins par des moyens si simples. On s’interroge sur lui. On ignore qu’il n’a fait qu’user habilement d’un des brevets, le n° 645.576, déposé par Gregor quelques années plus tôt mais insuffisamment protégé. On n’a pas le moyen de savoir que ce brevet a été anonymement posté à Marconi. Le saurait-on qu’on pourrait se demander, en étudiant l’adresse manuscrite sur l’enveloppe qui le contenait, si ne s’y distingueraient pas des points communs avec l’écriture d’Angus Napier. Même si, quarante-deux ans plus tard, la Cour suprême reconnaîtra l’antériorité des travaux de Gregor en matière de transmission radio, en attendant, quarante-deux ans plus tôt, c’est encore un sale coup pour lui.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 121.

Cécile Carret, 11 oct. 2010
première

Les grandes promenades dans Paris, je les fais généralement à pied. J’ai parfois recours à l’autobus ou au métro, fusées porteuses qui me placent sur orbite. […] Je me parachute dans des secteurs moins connus pour le plaisir des quelques secondes pendant lesquelles, au sortir de la bouche de métro, complètement désorienté, je ne sais plus où je suis. Cette impression ne dure pas car, en vieux Parisien, je retrouve quand même assez vite mes marques, mais elle est vertigineuse. En montant les escaliers d’une station uniquement choisie pour son nom, parce qu’il ne me disait rien, j’émerge progressivement à la surface de la ville, dans une rue ou un carrefour inconnus à première vue, et c’est comme une nouvelle naissance.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 67.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
une

J’ai appelé la serveuse pour régler. C’était une personne que je n’avais pas pris le temps d’observer en arrivant. Une grosse personne jeune avec de la finesse dans les traits. Elle ne souriait pas. Il m’a semblé qu’elle cherchait à le faire. Loin dans le regard. Je n’ai pas insisté.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 17.

Cécile Carret, 26 sept. 2011
intégrité

Chaque mot de la phrase doit défendre contre tous les autres – qui la menacent – l’intégrité de sa signification.

Éric Chevillard, « vendredi 5 avril 2013 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 5 avr. 2013
dépris

Si connaître une chose consiste à en relever les contours, on voit quel bénéfice associé s’ensuit. Pour vaste et ramifiée qu’elle soit, elle finit forcément quelque part. Où cesse son empire, on peut commencer. J’ai pensé que si je comprenais pourquoi le séjour du pays natal me tirait vers les heures mortes, la tristesse, j’échapperais dans une certaine mesure à leur empire parce que je ne serais plus le même. Je ne subirais plus, par faute de distinguer. Je saurais. Je serais celui qui, pour comprendre, s’est mis à part, dépris.

Pierre Bergounioux, Géologies, Galilée, pp. 17-18.

David Farreny, 7 juin 2013
profonde

Gêné, dans ma lecture, par deux bonnes femmes, l’une, volumineuse, blondasse, dont j’apprendrai incidemment qu’elle est vendeuse au Printemps, l’autre, la soixantaine sèche, imperceptiblement dérangée. Elles évoquent à très haute et intelligible voix leurs recettes de santé, tremper ses ongles dans l’huile d’olive, manger du chocolat, je ne sais quoi encore. Vaguement attristé de l’étroitesse, de la tristesse de leur vie et, en même temps, stupéfait de la perfection de la communication, entre elles, de l’identité profonde des présupposés, des vues, des soins, des buts. Elles ne se connaissaient pas — elles le diront — mais habitent, chacune de son côté, le même univers, si bien que la totalité des propositions qu’elles énoncent se rencontrent, coïncident miraculeusement.

Pierre Bergounioux, « vendredi 11 janvier 2002 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 185.

David Farreny, 23 fév. 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer