dit

Aurait-il fallu lui parler, à ce garçon mécanique ? Lui dire ce que j’aurais souhaité, qu’il me caresse ici ou là, qu’il m’embrasse et me laisse l’embrasser, qu’il m’offre un moment sans but, dans la pure effusion de la peau, au lieu de me seriner sans parole mais par tous les moyens qu’il fallait que je l’encule dans les plus brefs délais, et qu’il n’y avait pas lieu à tergiversations ? Mais non, parler n’aurait servi à rien. Le comportement sexuel, c’est vraiment la vérité de l’être. Le corps dit dans l’amour ce que l’esprit ne peut entendre, et ce qu’il n’entreverra jamais — pas avant une très profonde révolution culturelle et psychologique qui prendrait des années, si tant est qu’elle ait une chance de survenir.

Renaud Camus, « lundi 16 décembre 1996 », Les nuits de l’âme. Journal 1996, Fayard, p. 288.

Élisabeth Mazeron, 5 fév. 2004
écart

Nous avons déjeuné à Montesquieu-Volvestre, assez médiocrement, dans une pizzeria où l’hôtesse était très aimable ; et qui me faisait penser, par son insignifiance tranquille, par son être-là buté, pétri d’absence et de défaut (février, Montesquieu-Volvestre, l’écart, le bout d’une rue secondaire, presque les confins), par sa creuse intensité d’existence, soutenue par rien (un effet de soleil pâle sur deux ou trois feuilles caoutchouteuses, peut-être, à travers le carreau, dans un minuscule jardin intérieur), à certains lieux qui sont décrits, à peine décrits, tout juste touchés en passant par le regard distrait de la phrase, dans les Conversations en Sicile — ce livre est décidément inoubliable : si le chef-d’œuvre s’éprouve au nombre de retours sur lui de la rêverie, en voilà un dont le statut ne fait aucun doute.

Renaud Camus, « mercredi 13 février 2002 », Outrepas. Journal 2002, Fayard, pp. 22-23.

David Farreny, 3 juil. 2005
phrase

Montlosier était resté à cheval sur la renommée de sa fameuse phrase de la croix de bois, phrase un peu ratissée par moi, quand je l’ai reproduite, mais vraie au fond. En quittant la France, il se rendit à Coblentz : mal reçu des Princes, il eut une querelle, se battit la nuit au bord du Rhin et fut embroché. Ne pouvant remuer et n’y voyant goutte, il demanda aux témoins si la pointe de l’épée passait par-derrière : « De trois pouces », lui dirent ceux-ci qui tâtèrent. « Alors ce n’est rien », répondit Montlosier : « monsieur, retirez votre botte. »

François-René, vicomte de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1), Le livre de poche, p. 400.

Guillaume Colnot, 17 mai 2007
inconnus

La simple présence proche suffit amplement.

Étant gravement atteint de crise d’étouffement, j’en louai moi-même une sur les indications de mon conseiller. Son épaule et la naissance de sa poitrine exquise, voilà la zone touchée qui me fit le plus grand bien, et le plus prompt.

Cette fille simple et d’un charme qui allait loin ne fit durant le traitement que lacer et délacer une jambière, mais très modestement.

Elle me regardait de temps à autre, puis sa jambe, ne disant rien, et ses sentiments me demeurèrent inconnus.

Henri Michaux, « Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 95.

David Farreny, 4 mars 2008
destin

Reste à savoir si nous ne devrions pas être décimés un peu plus souvent peut-être, étant donné que sans cela, l’air dont nous avons besoin pour respirer pourrait bien venir à manquer. Les rangs de nos pères étaient éclaircis à intervalles réguliers. Après un de leurs orages guerriers purificateurs, seuls quelques-uns relevaient la tête. Ceux-ci mettaient de l’ordre dans les affaires restées en suspens, rangeaient, et fécondaient les femmes qui restaient. Celui qui savait tenir un stylo à peu près droit devenait écrivain et professeur d’écriture, celui qui savait tenir un pinceau devenait peintre et professeur de peinture, celui qui savait tenir de la farine devenait boulanger et professeur de boulangerie, celui qui était cultivé devenait cultivateur et ainsi de suite, jusqu’à ce que tous les vides soient comblés et que ces gentils humains provisoires soient relayés par leurs descendants. Puis il y avait à nouveau une épidémie ou une bataille qui faisait de la place. De nos jours, les gens doivent se livrer à une lutte impitoyable pour avoir une place au soleil et, de ce fait, gagner aussi parfois leur vie avec les idées les plus insolites, par exemple en exigeant davantage de destin.

Matthias Zschokke, Maurice à la poule, Zoé, pp. 202-203.

David Farreny, 11 mars 2010
courir

Dans les rues, cette manie de courir, importée d’Amérique. Pour rester en forme, prétend-on. Mais il n’y a que les enfants qui courent naturellement. Ou les voleurs que l’on poursuit. Un adulte qui court, court après son enfance, ou, pire encore, se sent poursuivi par elle.

Jean Clair, Lait noir de l’aube, Gallimard, p. 97.

Guillaume Colnot, 25 sept. 2013
vin

La Providence, pensa-t-il, ne peut à ce point se jouer d’un homme.

Il s’installa dans cette idée, il en fit amèrement le tour. Il y goûta une sorte de satisfaction, un réconfort aride, comme les enfants qu’on a punis en ne leur ouvrant pas la porte et qui au lieu de s’abriter restent sous la pluie avec des yeux ivres, sautent à pieds joints dans les flaques, se crottent en pleurant, et leurs larmes alors sont du vin. Il se vit dans ce petit enfant ne méritant pas un tel sort et s’en exaltant.

Pierre Michon, « Fie-toi à ce signe », Maîtres et serviteurs, Verdier, p. 104.

David Farreny, 26 fév. 2014
vérité

— Ne me ménagez pas, dites-moi la vérité.

— Vous ne pouvez pas l’entendre, vous êtes trop orgueilleux pour accepter une vérité qui ne blesse ni ne loue.

Jean-Pierre Georges, « Jamais mieux (3) », «  Théodore Balmoral  » n° 71, printemps-été 2013, p. 119.

David Farreny, 30 juin 2014
réactionnaire

Ce que dit le réactionnaire n’intéresse jamais personne. Ni quand il le dit, car cela semble absurde ; ni au bout de quelques années, car cela semble évident.

Nicolás Gómez Dávila, Nouvelles scolies à un texte implicite, p. 31.

David Farreny, 26 mai 2015
su

Peut-être que tout ce que j’écris, tout le monde l’a toujours su, et sagement jugé qu’il était inutile de le dire parce que ça n’empêcherait pas que ça soit. Sûrement. Mais est-ce que la Littérature ne consiste pas à décrire l’intolérable, c’est-à-dire ce qui va de soi ?

Philippe Muray, « 5 août 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 131.

David Farreny, 4 mars 2016

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