Or rien de tout cela, j’en suis maintenant persuadé, n’est l’effet d’accidents, de malveillance ou de malchances ponctuelles. Non, c’est écrit. C’est écrit dans mon tempérament, dans ce qui fait mes rapports avec la réalité, dans les limites de mes talents ; comme sont écrites aussi, heureusement, une curieuse obstination, qui fait mon infortune, sans doute, mais qui fait aussi ma résistance à ses piques : une inlassable curiosité du monde ; une splendide obsession sexuelle ; et une paradoxale joie de vivre.
Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 351.
Aucune réalité. Seulement leur pirioréalité, leur loloréalité, qui en est une tout à fait fausse, toute morlofausse. Par une extension maligne arriver à englober et diluer et dénaturer le monde entier qui désormais échappe et trompe, voilà leur consigne, qu’ils appliquent. « Applique et complique. »
Sans doute beaucoup d’hommes de par le monde, justement révoltés, s’agitent. De grandes opérations de soulèvement et de révolutions ont lieu en mainte région du globe, mais (étrange tout de même) après quelque temps elles avortent toutes immanquablement et le statu quo ante se rétablit, mystérieusement. Une explication dès lors s’impose. Ce n’étaient que des piriorévolutions sans rien de réel, pirio, piriopolitique. Et tout continue comme par-devant.
Henri Michaux, « Vents et poussières », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 205.
C’est curieux, malgré tout : jadis, « elle aimait la toilette », comme disait sa tante La Bohal ; lui adorait cette expression, il s’en souvient. « Et elle la porte à merveille ! » À merveille. Et aujourd’hui encore, si elle voulait, si elle pouvait : mince, donc, assez haute taille, les cheveux courts, ce beau visage un peu long, un peu maigre, où l’orbite du regard fait au-dessus des paupières une zone que l’ombre investit plus profond, certains soirs ; et cette ombre en arrière de ses cils, c’est le lieu même de la tendresse qu’il a pour elle, songe-t-il, quand il y songe.
Renaud Camus, L’épuisant désir de ces choses, P.O.L., p. 21.
Je sais comment clore le neuvième chapitre et crois pouvoir prolonger l’ultime entretien avec le grand-père. C’est oublier que toute conversation de salon, comme hors du temps, se fige et tourne au plat morceau didactique. C’est le cours impétueux des choses, la hâte, les périls qui impriment aux mots qu’on échange leur relief et leurs résonances, l’écho, l’éclat dont ils se chargent soudain. J’en prends la mesure à mes dépens. Je pensais fouler d’un pied léger le terrain reconnu d’avance et chemine pesamment.
Pierre Bergounioux, « dimanche 11 novembre 1984 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 354.
Plus que des colères. Plus que des rancœurs. Plus que des haines. Plus que des amertumes. Le silence froid de l’indifférence l’accable, l’accompagne.
Le vaste ciel par-dessus venu des campagnes. Plein d’exubérance. À tort et à travers. Juvénile et neuf. Éclatant de fraîcheur. Car c’est la saison. Le calendrier tourne la page de l’hiver. Il fait ses affaires de calendrier.
Hélène Bessette, La tour, Léo Scheer, p. 180.
Je couvre, à grand-peine, trois pages. Il me semble me mouvoir dans le vide, fouler un sol aride, ébouleux pour atteindre quelque chose qui se trouve — ou ne se trouve pas — à une distance indéterminée qu’il faut franchir pour que la rencontre ait lieu — ou non.
Pierre Bergounioux, « dimanche 7 novembre 2004 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 528.
X : il a écrit tellement de livres qu’il pourrait s’incinérer avec.
Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 120.
Écrire sert à faire sentir la consistance de vide des actions humaines. Voilà à quoi sert la littérature.
Philippe Muray, « 8 août 1985 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 557.
Tolérer jusqu’aux idées stupides peut être une vertu sociale ; mais une vertu qui tôt ou tard reçoit son châtiment.