Norvégiens

Les Norvégiens sont translucides ; exposés au soleil, ils meurent presque aussitôt.

Michel Houellebecq, Lanzarote, Flammarion, p. 18.

David Farreny, 22 mars 2002
intervalles

Dans cet état d’illusion et de ténèbres, nous voudrions changer la nature même de notre âme ; elle ne nous a été donnée que pour connaître, nous ne voudrions l’employer qu’à sentir ; si nous pouvions étouffer en entier sa lumière, nous n’en regretterions pas la perte, nous envierions volontiers le sort des insensés : comme ce n’est plus que par intervalles que nous sommes raisonnables, et que ces intervalles de raison nous sont à charge et se passent en reproches secrets, nous voudrions les supprimer ; ainsi marchant toujours d’illusions en illusions, nous cherchons volontairement à nous perdre de vue pour arriver bientôt à ne nous plus connaître, et finir par nous oublier.

Buffon, « De l’homme », Histoire naturelle, Gallimard, p. 127.

David Farreny, 23 janv. 2006
écoulement

La rumeur d’une cataracte enfla brusquement, puis le vacarme hésita et reflua. Il pleuvait en bordure de l’espace noir. Comme l’écoulement du temps n’avait pas encore débuté, l’ondée prit fin dans l’incertitude et, après des chutes de gouttes isolées, le silence se rétablit.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 208.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
être

cette vision nocturne d’un homme qui va

en poussant devant lui une espèce de manche

au bout duquel se trouve une longue guenille

promenée aux rigoles de la rue déserte

cette vision lugubre au milieu de la nuit

de la réalité nocturne du quartier

un homme noir qui pousse ce long instrument

sur le revêtement de la rue bitumeuse

un être appartenant à l’existence humaine

promène dans la nuit une espèce de manche

au bout duquel se trouve une longue guenille

qui passe dans la rue et rassemble l’ordure

oh ! la tranquillité du geste répété !

oh ! la répétition des crasses rejetées

chaque jour sur la rue anonyme où déjà

la pute a disparu parce qu’il se fait tard !

j’ai fermé la fenêtre et baissé le volet

j’ai tiré les rideaux j’ai éteint la lumière

et par le noir de mon cerveau j’ai essayé

d’attraper quelque chose comme un somnifère

pour m’enfoncer au rêve que mon cœur espère

William Cliff, « Hôtel Balima », Immense existence, Gallimard, pp. 38-39.

David Farreny, 30 mai 2011
soi-même

À force, j’y pris goût et rien n’était plus étrange et fascinant que de sentir la durée s’écouler en soi, de se sentir exister au milieu de soi-même, de se maintenir dans ce centre creux et vide, d’être debout au centre de soi-même. Malgré mon agitation et ma nervosité permanentes, j’acquis très vite le goût de cette rigoureuse immobilité qui devint une aventure suffisamment vertigineuse pour être une véritable tentation.

Quelques années plus tard, au sommet de la crise mystique de l’adolescence, j’éprouvai ainsi un violent désir, et qui fut assez durable, d’entrer dans les ordres. Je voulais devenir non pas prêtre mais moine, pour pouvoir me livrer entièrement à cette exaltation que je sentais constamment en moi, comme une sorte d’adoration joyeuse. On finit, quand on sert de modèle à un peintre, par se déverser en soi-même et ne plus entendre que cette insaisissable rumeur intérieure. Le regard dirigé toujours sur le même point, on en arrive à se confondre avec ce qu’il voit. On n’éprouve aucun ennui, on ne pense pas, on ne tend pas l’oreille et pourtant l’attention est extrême, c’est une sorte de sensation concentrique qui se met en place.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 87.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
assez

Vers onze heures des gens commencent à sortir, avec des enfants et des chiens. J’oblique dans la direction opposée.

À l’extrémité de la plage des Sables-d’Olonne, dans le prolongement de la jetée qui ferme le port, il y a quelques vieilles maisons et une église romane. Rien de bien spectaculaire : ce sont des constructions en pierres robustes, grossières, faites pour résister aux tempêtes, et qui résistent aux tempêtes, depuis des centaines d’années. On imagine très bien l’ancienne vie des pêcheurs sablais, avec les messes du dimanche dans la petite église, la communion des fidèles, quand le vent souffle au-dehors et que l’océan s’écrase contre les rochers de la côte. C’était une vie sans distractions et sans histoires, dominée par un labeur difficile et dangereux. Une vie simple et rustique, avec beaucoup de noblesse. Une vie assez stupide, également.

Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, Maurice Nadeau, p. 122.

David Farreny, 26 fév. 2013
moins

Le premier qui fait halte dans un lieu commode et abrité contre le vent, pose la base de l’édifice ; un autre arrive qui continue l’œuvre de son prédécesseur ; puis un troisième travaille sur le même plan, et chaque paysan qui vient là passer une nuit croit devoir payer à ceux qui l’ont précédé, à ceux qui le suivront, le tribut d’une heure de travail. Le monument se trouve ainsi achevé. Les Islandais qui voyagent savent où il faut le chercher ; ils se dirigent là le soir avec leurs chevaux et s’endorment entre ces quatre murs. C’est la tente du désert, c’est le caravansérail des montagnes du Nord. Quelquefois, après avoir traversé pendant plusieurs heures ce sol fangeux et mouvant des marais, ou cette terre calcinée des collines, on est surpris d’apercevoir tout à coup un espace de verdure et un toit de gazon d’où s’échappe un nuage de fumée. C’est une ferme, un bœr. C’est là que demeure la famille du paysan, isolée du monde entier, visitée parfois, dans les beaux jours, par quelques voyageurs, et abandonnée l’hiver à elle-même. Cinq ou six bœr comme celui-là, disséminés à travers les campagnes, composent une commune ayant son maire et son pasteur ; en cherchant plus loin, on trouverait une cabane en terre avec une croix au-dessus : c’est l’église. Puis, il faut dire adieu à ces pauvres oasis, et continuer sa route le long de ces montagnes dont les cimes échevelées attestent encore l’éruption violente qui les a brisées. La plupart des volcans qui ont été enflammés autrefois sont maintenant éteints ; quelques-uns le sont depuis si longtemps, qu’on n’a même pas gardé le souvenir de leurs dernières éruptions. Mais on marche encore sur des bassins que l’on dirait éteints de la veille, sur une cendre épaisse, sur une terre rouge qui ressemble aux débris d’un four à chaux. Au haut d’un de ces cratères, j’ai trouvé l’arabis toute seule, élevant sa tige fragile et ses blanches corolles sur cette terre nue et calcinée. La dernière rose de Thomas Moore était moins isolée ; la pauvre marguerite de Robert Burns, moins à plaindre.

Xavier Marmier, Lettres sur le Nord, Delloye.

David Farreny, 21 avr. 2013
condition

– Je verrai tout cela à tête reposée, disait-il souvent, mais quand la condition fut remplie, la première pelletée de terre l’aveugla complètement.

Éric Chevillard, « jeudi 7 janvier 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 7 mars 2016
origine

Toute photographie est prise depuis l’origine du monde — il s’agit en effet de savoir ce qu’il est devenu. On se glissait d’ailleurs sous la jupe des premiers appareils à trépied pour y voir plus clair.

Éric Chevillard, « lundi 31 décembre 2018 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 1er mars 2024

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