Je fus le vivant qui dit : « Je veux d’abord hiverner. »
Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 449.
Ciel couvert, vent glacial. Je dépêche des paquets de copies et descends peindre, sans résultat appréciable.
Curieux de voir un peu où je vais, j’ouvre le carton dans lequel j’avais serré les barbouillages de l’an passé, ceux, plus précisément, où j’avais cru deviner « quelque chose ». L’âcre déconvenue ! C’est insipide, sans la moindre suggestion ! Comment peut-on se méprendre ainsi ?
Pierre Bergounioux, « dimanche 3 mai 1981 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 45.
Il y a dans l’amoureux un solipsiste dépité.
Richard Millet, L’amour mendiant, La Table ronde, p. 43.
Printemps difficile : je ne fais pas ma montée de sève.
Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 55.
Grâce à ma fatigue, le monde était grand et débarrassé de ses noms.
Peter Handke, « Essai sur la fatigue », Essai sur la fatigue. Essai sur le juke-box. Essai sur la journée réussie, Gallimard, p. 44.
Comblements : on ne les dit pas — en sorte que, faussement, la relation amoureuse paraît se réduire à une longue plainte. C’est que, s’il est inconséquent de mal dire le malheur, en revanche, pour le bonheur, il paraîtrait coupable d’en abîmer l’expression : le moi ne discourt que blessé ; lorsque je suis comblé ou me souviens de l’avoir été, le langage me paraît pusillanime : je suis transporté, hors du langage, c’est-à-dire hors du médiocre, hors du général : « Il se fait une rencontre qui est intolérable, à cause de la joie, et quelquefois l’homme en est réduit à rien ; c’est ce que j’appelle le transport. Le transport est la joie de laquelle on ne peut pas parler. »
Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Seuil, p. 66.
Je regarde avec émerveillement cette belle et simple campagne, ces lentes ondulations des collines, quelques fermes rouges et blanches qui ont dû sortir de terre avec la dernière averse. Je m’aperçois que cette espèce de précision propre n’a rien d’énervant mais est au contraire infiniment bienfaisante. C’est en grandeur naturelle l’harmonieuse fantaisie d’un paysage de Samivel.
Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 47.
Dans les rues, cette manie de courir, importée d’Amérique. Pour rester en forme, prétend-on. Mais il n’y a que les enfants qui courent naturellement. Ou les voleurs que l’on poursuit. Un adulte qui court, court après son enfance, ou, pire encore, se sent poursuivi par elle.
Jean Clair, Lait noir de l’aube, Gallimard, p. 97.
Au seuil d’une belle journée et ainsi jusqu’au soir sans même la voir décliner, demeurant sur son seuil infranchissable. Constatation familière.
Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 179.