sagesse

La sagesse n’est pas venue, dit Pollagoras. La parole s’étrangle davantage, mais la sagesse n’est pas venue.

Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 233.

David Farreny, 14 avr. 2002
préoccupant

Certes, la durée de la vie humaine est chez nous bien augmentée mais le ralentissement des réflexes avec l’âge reste préoccupant.

Nos vieillards, nous les prolongeons aisément jusqu’à deux cents, deux cent cinquante ans, mais ils se font presque tous écraser dans la rue à cent trente ou cent quarante.

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 514.

David Farreny, 30 juin 2002
sottise

Même si tu as eu la sottise de te montrer, sois tranquille, ils ne te voient pas.

Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1056.

David Farreny, 7 août 2006
mystère

Comme les étoiles, les beaux textes naissent dans des nurseries de phrases où, sortant du disque d’accrétion et par contraction gravitationnelle, des agrégats de matière — rythmes, sonorités, idées encore indifférenciées, ou plutôt rythmes d’idées, idées de sonorités, sonorités de rythmes mêlés au point qu’on ne distingue plus les uns des autres — se condensent, se figent et se refroidissent. Écrire — et le faire toute la sainte journée, sans autre but ni désir —, c’est attendre le moment où l’on peut approcher de la forge sans se brûler (bien sûr, le génie, qui n’écrit pas mais crée, va directement se baigner dans la lave). On ramasse alors du mâchefer, des scories, des escarbilles qu’on n’a plus qu’à emballer dans du vieux papier, comme des harengs. Voilà pour le mystère de la littérature.

Thierry Laget, « Ne pas déranger », « Théodore Balmoral » n° 59-60, printemps-été 2009, p. 6.

David Farreny, 17 nov. 2009
métamorphoses

Scheidman ne profitait pas de la situation. Son organisme avait subi des métamorphoses qui auraient compliqué une course éperdue. Sous l’influence des brumes radioactives de l’hiver, ses longues squames de peau malade étaient devenues d’imposants goémons. Vu de loin, Scheidman s’apparentait à une meule d’algues sur quoi on eût fait sécher une tête.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 148.

Cécile Carret, 19 sept. 2010
suppléant

Dans ma jeunesse, j’avais moi aussi de beaux projets ; à une époque, je crus ajouter à ma beauté en achetant des spartiates, des nu-pieds à la mode, tout en lanières croisées, qu’il fallait porter avec des chaussettes violettes ; ma mère m’en tricota une paire. La première fois que je sortis, les pieds si bien chaussés, c’était pour un rendez-vous avec une fille, devant l’Auberge-Basse. On avait beau être mardi, je me demandai soudain quelle équipe de foot n’était pas déjà affichée dans la boîte vitrée de notre club. J’examinai d’abord soigneusement la serrure, puis m’approchai : je ne vis que les noms de la semaine précédente… Je les lus, les relus encore, sans arrêt, parce que je sentais ma sandale droite et sa chaussette violette s’enfoncer dans un magma visqueux. Je relus, et découvris mon nom tout à la fin, parmi les remplaçants. Je trouvai enfin le courage de regarder par terre : mon pied s’étalait dans une grosse crotte de chien, ma spartiate y disparaissait, engloutie avec toutes ses lanières… Je lisais, je relisais la liste d’un bout à l’autre, les onze noms de l’équipe junior avec le mien comme suppléant… Mais si je baissais les yeux, l’horrible crotte de chien était toujours là. À cet instant précis, ma petite amie apparut sur la place. Précipitamment, j’arrachai spartiate et chaussette violette et les plantai là, avec le bouquet que je lui destinais ; je m’enfuis dans les champs méditer sur cet avertissement fatal, un signe du destin, peut-être, puisqu’à cette époque j’avais déjà pensé me faire presseur de vieux papier pour accéder aux livres.

Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, Robert Laffont, p. 110.

Cécile Carret, 13 juin 2011
défendre

Lectures : le fond des miennes, ces temps-ci, ce sont les présocratiques, toujours. Je dévale Xénophane, je gravis Héraclite avec des sandales ailées, je m’allonge en Épicharme, hume Alcméon, frôle Iccos, Paron, Aminias, feinte Euphranor et contemple ébloui Parménide, avant que d’affronter le cruel Zénon, Zénon d’Élée. Interminable est le voyage, à travers les petits caractères et les italiques du texte de la Pléiade, d’autant que toutes les trois lignes se proposent ces chemins de traverse, les notes, sans compter l’ensorceleur index des irrésistibles doxographes. Qui saurait se défendre efficacement contre Porphyre, contre Posidonius d’Apamée, contre Favorinus d’Arélate (c’est-à-dire d’Arles), « le plus ancien philosophe gaulois, platonicien puis sceptique » ? Not me, that’s for sure. Bacchios de Tanagra me trouve ville ouverte. Chaméléon d’Héraclée, qu’Athénée de Naucratis (à ne surtout pas confondre avec Athénée le Mécanicien, le plus sexy, forcément) s’obstine à citer sous le nom de Chaméléon du Pont, me fait rendre les armes, pâmé, tandis que Terpandre et saint Fulgence le disputent en ma haute mais capricieuse faveur à Rufus d’Éphèse et à Tertullien. Pour le fond, s’il y en a un, je ne suis pas sûr d’y comprendre grand-chose. Est-ce de science, qu’il s’agit ? Mais pourquoi se donner le souci de tâcher de saisir ce que sont les théories astronomiques, cosmologiques, physiques ou médicales des uns et des autres, puisque non seulement elles sont fausses, archi-fausses, pour la plupart, mais elles paraissent, même, tout à fait gratuites ? Pour Thalès le principe de toute chose est l’eau, pour Anaximène c’est l’air, pour Xénophane de Colophon c’est la terre, pour Héraclite c’est le feu. Pour Anaximandre, c’est l’Illimité. So what ? Que nous enseignent ces doctrines ravagées, sinon leur propre errance, leur suffisance parfois, leur cocasserie bien souvent ? Relèvent-elles de la philosophie ? C’est à craindre.

Renaud Camus, « mercredi 24 août 1988 », Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 248.

David Farreny, 21 août 2011
accomplies

Orage violent cette nuit. Sommeil coupé par les coups de tonnerre et les éclairs. La pluie reprend avec force ce matin. De ma fenêtre, je regarde tomber les larges gouttes qui forment un rideau légèrement argenté entre les arbres et mon regard. Quelque chose de secret m’enchante qui remonte de l’enfance. La peur, la chaleur, la colère de l’orage, qui se fondent en pluie, qui se délivrent et engendrent la fraîcheur et la joie que l’on sent monter de la terre et des plantes assoiffées. La pluie est plus fine, les gouttes en tombant dans les flaques dessinent des cercles parfaits qui s’élargissent un instant et s’effacent aussitôt. Malgré les erreurs, les ratés qui encombrent notre conscience ou gisent oubliés dans l’inconscient, il se peut que nous ne puissions nous empêcher de tracer avec nos vies des formes accomplies. Que ce qui est dans notre esprit, fureur vaine, orgueil, médiocrité, déréliction, soit dans une perspective plus vaste aussi parfait qu’une goutte de pluie ou une feuille sur un arbre et ne puisse être autrement.

Nos richesses viennent d’une enfance qui demeure inaccessible ou d’imprévisibles rencontres.

Henry Bauchau, Jour après jour. Journal d’« Œdipe sur la route » (1983-1989), Actes Sud, p. 52.

Bilitis Farreny, 26 août 2011
écrivain

L’écrivain est l’homme le plus insignifiant au monde. Il est vide, complètement vide. Sa consistance se trouve dans ses livres.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 168.

Cécile Carret, 22 juin 2013
oubli

Je tombe peu à peu dans l’oubli. Presque plus personne déjà ne se souvient de mon enfance.

Éric Chevillard, « mercredi 9 mars 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 9 mars 2016

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