Ils prient et bientôt roulent à terre possédés par la déesse Kali ou quelque autre. Ces fidèles sont des gens de bonne volonté à qui l’on a appris telle ou telle pratique et qui, comme la plupart des gens occupés de religion, arrivés à un certain niveau, pataugent et jamais ne vont au-delà.
Henri Michaux, « Un barbare en Asie », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 291.
Des cuisses, des cheveux, cette femme est plongeuse
Pierre Jean Jouve, Les noces, Gallimard, p. 66.
Je te le dis, mon ami, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles en ont l’air. L’esprit humain est un instrument peu raffiné, et bien souvent nous ne sommes pas plus capables de veiller sur notre sort que le moindre ver de terre.
Quoi que j’aie pu être d’autre, je ne me suis jamais laissé devenir ce ver. J’ai sauté, j’ai galopé, je me suis envolé, et quel que soit le nombre de fois où je me suis écrasé au sol, je me suis toujours ramassé pour essayer encore. Même en ce moment où les ténèbres m’enserrent, mon cerveau tient bon et refuse de jeter l’éponge.
Quoi qu’il arrive dans cet espace, vous avez tout le temps pour assister au spectacle. Avec votre temps nouveau, avec vos minutes aux trois mille instants, vous ne serez pas débordé, avec votre attention surdivisée vous ne serez pas dépassé. Jamais.
Henri Michaux, « Misérable miracle », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 680.
Le don de soi est le secret pour traverser l’affolant.
Henri Michaux, « Les grandes épreuves de l’esprit et les innombrables petites », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 420.
Nostalgie de la femme : une nouvelle crise.
Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 109.
Il est reposant de rouler sur le plateau de Saclay, entre les labours et les bois défeuillés, noirs contre le ciel qui s’est éclairé, enfin, d’un bleu pâli, convalescent, où flotte le soleil falot de février.
Il fait un peu de vent. La température n’excède pas un ou deux degrés et mes vieilles cicatrices d’opération, dans la gorge, se remettent à vivre, dessinent, dans l’épaisseur de la chair, une bizarre et douloureuse géographie.
Pierre Bergounioux, « samedi 2 février 1991 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 13.
Quant aux insectes, leurs formes, couleurs, contact, mouvements sont ceux de petits jouets très perfectionnés, amoureusement peints, de menus automates. Lorsqu’on les tire, l’hiver, des troncs d’arbres abattus, plus ou moins vermoulus où ils ont cherché refuge, ils sont engourdis au point de rester sans mouvement lorsque la lumière, subitement, les atteint. On n’a pas tant l’impression de traquer des êtres vivants, des carabes, surtout, que de voler des gemmes, des pièces d’or dans les coffres fracturés du bois.
Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 39.
Deuxième jour aux Hayes. Cerisiers du Japon en fleur blanchissent sous le soleil vertical, doublent leur effet rose au couchant, comme les pigeons-paons devenus des flamants. Azalées du Japon en fleur. Premiers lilas, fin des forsythias. Les arbres mutilés par la hache repartent par leurs branches les plus fines. Oseille en pleine force. Fin des magnolias. Les rosiers sont rouges, avant d’être verts ; ils commencent leur vie par l’automne. Les vieux buis reverdissent ; on déshabille les lauriers-sauce de leur plastique. On pique les chatons de deux mois contre le typhus des chats. Fin des narcisses. Les lavandes sont devenues des buissons.
Paul Morand, « 2 mai 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 509.
Puis vient la question de la technique. Pour l’Angkar, la révolution n’est pas une idée ou une pensée, mais une technique qu’on acquiert par des actes. La révolution n’est pas une aspiration : elle est une pratique codifiée. Le « technicien de la révolution » est aussi un « instrument de la révolution », et la plus haute distinction du régime est : « Instrument pur de la révolution ». Pureté de la technique. Duch se plaint que S21 n’ait jamais obtenu ce titre.
Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 97.
Tout ce qui a la nature de l’apparition, cela a la nature de la cessation.
Michel Houellebecq, « Loin du bonheur », Configuration du dernier rivage, Flammarion, p. 21.
L’habitacle roule vers le Nord, les amples et veloutés nuages dont la frange supérieure réalise la lumière roulent vers le Sud. Par mon seul regard souverain qui ne peut rien posséder mais qui peut tout recevoir, je jouis de la douceur solide de l’habitacle et de la légèreté lumineuse des nuages. Ces deux couvertures me protègent de tout excès de dépense pendant que je traverse les nobles provinces.
Jean-Pierre Vidal, « Quelques heures de silence », « Théodore Balmoral » n° 71, printemps-été 2013, p. 109.