Les repas aussi me démantelaient, que je prenais avec eux.
Henri Thomas, Le précepteur, Gallimard, p. 11.
Je me suis levé de grand matin, comme à la pire époque.
Franz Kafka, Lettres à Milena, Gallimard, p. 263.
M. Crawley avait apporté ses soins et ses consolations à cette femme délaissée sur son lit de souffrance ; et elle avait quitté le monde, raffermie par ses pieuses exhortations. Depuis bien des années, il était seul à lui témoigner des égards et des attentions. Telle était dès longtemps l’unique consolation de cette âme faible et abandonnée. La matière chez elle avait longtemps survécu à l’esprit.
William Makepeace Thackeray, La foire aux vanités (1), P.O.L., p. 207.
Car tous les éléments ont trouvé leur défenseur, à l’exception de la terre : celle-ci, personne ne l’a adoptée.
Aristote, De l’âme, Vrin, p. 24.
Il avait toujours rêvé de n’être relié au monde que par un regard immobile et tenu, comme un filet d’eau qui ne tombe pas, ne se divise pas, mais renouvelle son équilibre et son silence. On ne le sut qu’après : son regard était un câble enroulé au treuil du fond des vases.
Michel Besnier, Un lièvre en son gîte, Folle Avoine, p. 75.
Il y a des heures dans la vie où l’homme, à la chevelure pouilleuse, jette, l’œil fixe, des regards fauves sur les membranes vertes de l’espace ; car, il lui semble entendre, devant lui, les ironiques huées d’un fantôme. Il chancelle et courbe la tête : ce qu’il a entendu, c’est la voix de la conscience. Alors, il s’élance de la maison, avec la vitesse d’un fou, prend la première direction qui s’offre à sa stupeur, et dévore les plaines rugueuses de la campagne.
Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, Les chants de Maldoror, Robert Laffont, p. 658.
Il serait certes très sympathique de ma part, libéral et démocratique, d’entrer dans cette vision égalitaire des choses. Mais je ne le peux pas. Je n’ai plus le temps de faire des concessions, et de ne pas vivre de toute urgence selon ce que je pense : qui est à peu près, au fond, que « la vie de l’esprit », comme dit noblement Finkielkraut, est l’avenir de l’homme, non pas son avenir promis, certes, mais son avenir idéal, celui vers lequel il doit tendre, constamment, de toutes ses forces, le seul garant de sa dignité mais aussi le principal instrument de son bonheur.
Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 90.
Défaire
détourner
ramener à soi
rejeter d’auprès de soi
froisser
Insignifier par des traits
Percer
pousser
cherchant
cherchant toujours LA SORTIE DU TERRIER
Henri Michaux, « Par des traits », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1250.
Je me rappelle comme c’était bon de la sentir marcher à mon côté d’un pas long et souple au soleil, sur l’herbe élastique des lawns, à Brighton. C’était avant que rien n’eût commencé entre nous. Comme ce matin, alors elle était en blanc de la tête aux pieds, et la toile un peu raide de la jupe faisait un joli bruit, et la toile souple et mince du corsage laissait transparaître un peu le bras et ce que la chemise haute ne couvrait pas, de la gorge et de la nuque dures. La pensée de tout ce qu’elle peut me donner m’oppresse et m’accable. Je ne sais pas au monde de possession plus désirable. […]
Elle arrive de Vienne, d’où l’été la chasse, et elle espère avoir un peu de fraîcheur en naviguant dans l’archipel dalmate. Son yacht est amarré à Pola et après-demain son automobile doit l’y conduire.
Je lui ai fait visiter Trieste, qu’elle ne connaissait pas. Remonté à pied la longue via Giulia, etc. Puis à Miramar. Nous nous sommes assis sur un talus que faisaient trembler parfois de longs trains noirs. La mer s’anéantissait dans le soleil. En moi un désir grandissait, ne laissait place pour rien d’autre. Un désir précis qui me faisait, du regard, jauger le corps de ma compagne. L’instinct en moi se pensait : je songeais à l’enfant, au mélange de nos vies, au don de ma vie que je voulais lui faire, avec soin, sérieusement. Et continuant à haute voix ma pensée :
« Vous savez, Gertie, comme dit le vieux Whitman :
Ce qui s’est si longtemps accumulé en moi… »
Elle tourna vers moi un visage flambant de chaleur, constata d’un long regard ma force, ma jeunesse et ma chasteté, puis se retourna vers le large en aspirant fortement.
Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 231.
Et comme de coutume, j’enclenchai impitoyablement la réflexion suivante : qu’est-ce qui te serait à présent le plus désagréable ? ! Je me répondis promptement : s’habiller et sortir se promener. – C’est donc ce que je fis. ; avec la grosse écharpe autour du cou ; les mains dans les moufles : je suis prudent.
Arno Schmidt, « Les Prudents », Histoires, Tristram, p. 80.
Mais ça n’a rien à voir avec sa jupe. Si, quand même. Pour moi, si. Peu importe, je sais ce que j’aime, sa jupe. Elle aussi, sinon elle l’aurait pas achetée. Donc nous aimons la même jupe. Donc à travers la même jupe nous nous aimons. Donc je l’aime. Tu charries. Non. Une femme comme elle qui aime comme moi une jupe imprimée de fleurs aussi belles est forcément digne, je veux dire destinée à être aimée par un type comme moi. Autrement dit, si j’aime ce qu’elle aime, elle devrait normalement m’aimer.
Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 67.
La plupart des êtres s’adonnent au mirage d’une double candeur : ils croient à la pérennité de la mémoire (des hommes, des choses, des actes, des notions) autant qu’à la rémission (des conduites, des errements, des péchés, des dénis de justice). L’une est aussi fausse que l’autre. La vérité se situe juste à l’opposé : tout sera oublié et rien ne sera réparé.
Milan Kundera, La plaisanterie.