On se donne bien du mal pour décortiquer les arguments d’un tel sur Mozart, ou sur Kounellis. Vain labeur. Car ce qui exprime le plus clairement la teneur de ses opinions, c’est sa cravate. Le fond de sa pensée c’est sa gourmette.
Renaud Camus, Éloge du paraître, P.O.L., p. 79.
Asthénie profonde, noire, qui engendre des pensées désespérantes et que je m’explique mal. Nous sommes rentrés depuis une semaine. Je dors convenablement, ne souffre de rien, à ma connaissance. Et je sens, au réveil, que la nuit ne m’a pas livré l’habituel contingent de forces neuves qu’on trouve au seuil de la journée. Il faut en être privé pour découvrir que c’était, là encore, un des bienfaits sans nombre qui nous furent prodigués. La lucidité qui vient, avec l’âge, n’est jamais que le revers des pertes successives. Proust a dit ça : « Nos idées sont le succédané de nos chagrins. » C’est le déclin, la mort qui s’apprête, chaque jour, qui nous révèlent, après coup, l’étendue des richesses, la surabondance de biens qui nous sont alloués, à l’origine, et que nous dilapidons gaiement.
Pierre Bergounioux, « lundi 8 août 1994 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 459.
La confession doit être grave. Il étudie son mal avec un grand scrupule, comme s’il s’agissait d’une infection inconnue qu’il y aurait grand profit à connaître.
Louis-René des Forêts, Scolies à propos du « Bavard ».
Autrefois, j’avais le désir d’expliquer, d’analyser, de faire émerger la vérité à tout prix. Plus rien de ce désir ne subsiste en moi. Je parle moins, et j’ai désormais un nouveau poste d’observation : le silence. C’est le meilleur des maîtres, et j’ai élaboré avec lui une stratégie qui sied aux rapports humains. Je suis capable de me taire une semaine entière. Les gens en déduisent que je suis mélancolique ou impassible. Ils se trompent. Je me tiens loin d’eux, c’est tout. Grâce au silence je prends le large. Pensif, je parcours les années et les lieux. Seul un silence prolongé étanche cette soif de contemplation. C’est mon alcool. Je bois sans répit et demeure assoiffé. Pour être honnête, il m’arrive d’être submergé par mes vieilles pulsions bavardes, par l’envie de convaincre, mais je n’y cède pas.
Aharon Appelfeld, Et la fureur ne s’est pas encore tue, L’Olivier, p. 7.
Lire est terrible !
Quand j’entends d’un héros qui se dispose à penser : « … il plissa son front, et pressa ses lèvres avec gravité… » – je sens aussitôt mon visage, devant, se déformer de cette même grimace cogitative ! Ou : « … un sourire altier joua avec le coin droit de sa bouche… » – mon Dieu, je passe alors pour un sot ; car je serais bien incapable de produire tel ineffable sourire altier, et encore moins avec le seul coin de ma bouche ; encore un don que le destin m’a refusé.
Arno Schmidt, « Que dois-je faire ? », Histoires, Tristram, p. 75.
« Tout a une fin », j’entends cette sentence éculée sur le trottoir devant la boulangerie ; elle entre en moi neuve et scintillante comme une épée.
Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 26.
Dans les maisons sans sous-sol, malgré carreaux et tapis, les jambes sentent qu’elles s’appuient sur la terre, l’humidité traverse tout, les jambes se soudent aux genoux, ennui du ciment.
Paul Morand, « 18 mars 1973 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 38.
Le nouveau tableau n’est pas mal — la nouvelle version du même tableau, veux-je dire : il s’agit bien sûr de la même toile. Malheureusement il est trop joli. On dirait une œuvre pour les galeries de l’avenue Montaigne, ou Matignon, je ne sais jamais, ou des environs de l’Élysée et de la place Beauvau : celles qui ont en vitrine des toiles de tous les styles, mais plus jolies, plus décoratives, plus sucrées, plus immédiatement plaisantes à l’œil (sauf s’il n’aime pas le sucre…) que celles du style originel. Même de Soulages ou de Ryman, et bien sûr de Degas et de Gauguin, ces galeries arrivent à offrir des versions de salon. Elles me font penser à cette Anglaise des environs, ici, qui, ayant vu son exposition dans la maison, voulait un Kounellis elle aussi, mais un Kounellis arte rico. Mon Une voix vient de l’autre rive a tourné arte rico. Mais je peux encore l’appauvrir, j’espère : le toughiser, le viriliser, le rendre plus couillard, plus solide, plus laid.
Renaud Camus, « dimanche 23 mai 2010 », Parti pris. Journal 2010, Fayard, p. 194.
L’insatisfaction d’un désir insatisfait ne souffre en somme que d’une seule concurrence : l’insatisfaction d’un désir satisfait.
Jean-Pierre Georges, Jamais mieux, Tarabuste, p. 50.