subreptice

Ce serait une raison — il en est d’autres — à l’envie subreptice de crever en qui j’ai trouvé, de bonne heure, une très attentionnée, douce et persuasive compagne.

Pierre Bergounioux, L’héritage. Pierre et Gabriel Bergounioux, rencontres, les Flohic, p. 72.

David Farreny, 6 août 2003
aimer

En pleine course — dans le tohu-bohu d’une partie de barres ou de tout autre jeu — je heurtai l’un de mes camarades qui courait en sens inverse et fus projeté contre un mur, si violemment que je me fendis l’arcade sourcilière jusqu’à l’os. Je restai à genoux — ou à quatre pattes — sur le gravier, tête baissée et saignant en abondance. Il paraît que je perdis connaissance, mais je n’en ai aucun souvenir et crus même, avant qu’on ne me certifiât que je m’étais évanoui, avoir gardé constamment toute ma lucidité. La muraille se trouvant à ma droite et ma tête ayant été blessée du côté gauche, je ne réalisais pas que j’avais dû pivoter sur moi-même avant d’occuper la position d’animal assommé dans laquelle je faisais de mornes réflexions. Il me sembla d’abord que la simple rencontre de mon front avec celui de mon condisciple m’avait ouvert la face ; c’est seulement plus tard qu’on me raconta que je m’étais déchiré contre une aspérité du mur, ou contre un clou planté dans ce mur. Je sentais couler mon sang ; je n’éprouvais pas la moindre douleur mais il me semblait, tant le choc avait été violent, que ma blessure était énorme et que j’étais défiguré. La première idée qui me vint fut : « Comment pourrai-je aimer ? »

Michel Leiris, L’âge d’homme, Gallimard, p. 131.

David Farreny, 1er mars 2005
dilatoires

Et moi qui n’ai pas

une seule cellule imaginative

incroyable l’invention diabolique

que je déploie

en manœuvres dilatoires

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 67.

Élisabeth Mazeron, 23 juin 2006
crée

Je vous recommande aussi ma méthode d’insistance au moyen de la répétition : en répétant systématiquement certains mots, certains tours, certaines situations, certaines parties, je les renforce tout en augmentant jusqu’aux frontières de la manie l’impression d’unité de style. C’est par la répétition, par la répétition qu’on crée le plus facilement n’importe quelle mythologie !

Witold Gombrowicz, Ferdydurke, Gallimard, p. 104.

Cécile Carret, 13 mai 2007
dehors

La joie vient de se retrouver dehors quand on s’est perdu dedans.

Jean-Paul Sartre, Cahiers pour une morale, Gallimard, p. 514.

David Farreny, 3 mars 2009
styles

À Leukerbad, la maison Wolfgang Loretau. Plafonds bas. Murs extérieurs à écailles de bois, avec inscriptions gothiques blanches. Portes extérieures style Renaissance Sion ; dans ces vallées arriérées, les styles retardent de deux siècles (de même mon bahut breton (1603) avec des figures de la fin du XVe ; et à Vevey, mon armoire (1707) aussi avec architecture du XVIe). Planches bosselées de gros nœuds du bois. Poêle en pierre ollaire gris à armoiries noires. Poutres et refend à inscriptions XVIIe en latin. Les éviers de pierre. Les poutraisons au brou de noix. Sur crépi épais crémeux. Chopes d’étain, tête en bas, couvercles ouverts, comme ne le font jamais les collectionneurs, mais les paysans qui s’en servent chaque jour.

Paul Morand, « 13 juin 1968 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 13.

David Farreny, 25 mai 2009
épigones

C’est aussi la raison pour laquelle les épigones rassurent, et ont souvent plus de succès que les écrivains qu’ils en viennent à imiter (la raison pour laquelle le public, à l’image des critiques, préfère Naissance des fantômes de Marie Darrieussecq à La sorcière de Marie NDiaye, ou encore fait un triomphe aux pièces de Yasmina Reza quand celle-ci a su transposer dans le monde du divertissement stérile les innovations dramatiques de Nathalie Sarraute) : ce n’est pas que ces épigones soient intrinsèquement moins difficiles à lire, c’est qu’ils sont infiniment moins inquiétants au regard du tissu de nos certitudes et de nos habitudes – quand ce tissu, chez les plupart des « lecteurs » ou plus exactement des consommateurs de livres, a acquis au fil des ans la rigidité amidonnée du linceul, cette rigidité qui leur fait trouver Nietzsche difficile, quand sa langue coule comme le miel jusqu’en sa traduction, et Philippe Labro facile, quand il est illisible à force de piéger le sens dans le marais inextricable des clichés les plus remâchés.

Bertrand Leclair, Théorie de la déroute, Verticales, p. 21.

Cécile Carret, 26 août 2009
ouvrir

Plus une écriture est elliptique, blanchie, économe de mots, plus elle optimise la résonance de chacun d’eux, et ouvre le sens. Mais il y a une limite basse à cela : à trop vouloir ouvrir le sens, il n’y a plus de polysémie mais seulement un mot, nu comme un ver.

On peut isoler un mot sur la page, mais il faut alors que le reste de la séquence ou du poème pousse sur lui comme un pack de rugby « jusqu’à ce qu’il éclate et livre son ciel ».

Bref il convient de ne pas délaver au point qu’il n’y ait plus que de l’eau.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 12.

Cécile Carret, 4 mars 2010
tremblement

On s’obstine parfois à vouloir substituer une image à la réalité, on veut épuiser les lieux, les vider une bonne fois de leur pouvoir, faire cesser ce léger tremblement de l’image à l’énoncé d’un nom, on cherche un air de ressemblance, on veut reconnaître un paysage à défaut d’un visage ou d’un souvenir.

Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 118.

Cécile Carret, 16 mars 2012
prise

Certaines personnes ne comprennent rien à ce que j’écris, mais rien. Elles m’en font parfois la confidence – parmi elles, des embarrassées, bien honteuses même et qui en conçoivent une sorte de mésestime d’elles-mêmes qui bien évidemment me navre ; mais aussi, parmi elles, des offusquées, vaguement moqueuses ou méprisantes qui me prennent pour un prétentieux vain et fumeux, ce qui bien évidemment me navre. Pour toutes, ma phrase est telle : x + x + x + x + x + x + x + x + x + x + x + x + x, si elle n’est carrément x2 + x2 + x2 + x2 + x2 + x2 + x2 + x2 + x2 + x2. Elles dérapent sur mes pages comme sur de la glace ou s’y égarent comme dans un brouillard. Leur intelligence peut être agile, par ailleurs, ce ne sont pas (toutes) de sombres brutes, mais cette fois rien à faire : pas d’entrée, pas de prise. À se demander si nous possédons le même cerveau, devant ce constat angoissant : nos têtes ne peuvent rien échanger que des hochements dépités et les bosses qui en résultent quand elles se cognent.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 162.

Cécile Carret, 9 mars 2014

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