cohérence

Nous avons cette chance de nous dire, de parler. Chance que n’ont ni les fleurs ni les animaux. Pourtant ils se manifestent avec cohérence. Nous les admirons.

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 108.

David Farreny, 20 mars 2002

La répétition est une forme ambiguë ; tantôt elle dénote l’échec, l’impuissance ; tantôt elle peut se lire comme une aspiration, le mouvement obstiné d’une quête qui ne se décourage pas : on pourrait très bien faire entendre le récit de drague comme la métaphore d’une expérience mystique (peut-être même cela a-t-il été fait ; car dans la littérature tout existe : le problème est de savoir ).

Roland Barthes, préface à « Tricks » de Renaud Camus, P.O.L., p. 17.

David Farreny, 22 mars 2002
langes

Ne plus chier dans les langes n’implique pas du tout Shakespeare, Molière et Paul Claudel.

Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Minuit, p. 26.

David Farreny, 14 avr. 2002
placide

Enfin, je me rappelle la satisfaction et la quiétude, je dirais presque le placide bonheur, que procure au milieu de la nuit la perception assourdie de la trépidation des machines et du froissement de l’eau par la coque ; comme si le mouvement faisait accéder à une sorte de stabilité d’une essence plus parfaite que l’immobilité ; laquelle, par contre, réveillant brusquement le dormeur à l’occasion d’une escale nocturne, suscite un sentiment d’insécurité et de malaise : impatience que le cours devenu naturel des choses ait été soudain compromis.

Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Plon, p. 65.

David Farreny, 29 nov. 2003
baladeur

Je-t-aime est sans emplois. Ce mot, pas plus que celui d’un enfant, n’est pris sous aucune contrainte sociale ; ce peut être un mot sublime, solennel, léger, ce peut être un mot érotique, pornographique. C’est un mot socialement baladeur.

Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Seuil, p. 176.

Élisabeth Mazeron, 19 déc. 2009
manières

17. Choses détestables

[…] Des gens de cette sorte, quand ils arrivent chez quelqu’un, balaient d’abord, avec leur éventail, la poussière de l’endroit où ils vont s’asseoir ; puis ils ne se tiennent pas tranquilles à leur place, ils s’étalent, prennent leurs aises, et ramènent sous leurs genoux le devant de leur vêtement de chasse. On pourrait croire que de telles manières se rencontrent seulement chez des personnes négligeables ; mais j’ai connu des gens d’une assez bonne condition, comme un « troisième fonctionnaire » du Protocole, dignitaire du cinquième rang, un ancien gouverneur de Suruga, qui se conduisaient pareillement. De même, c’est un spectacle extrêmement détestable que celui de gens qui, après avoir bu du vin de riz, crient fort, s’essuient la bouche d’une main hésitante, caressent leur barbe s’ils en ont une, et passent leur coupe à d’autres. Sans doute s’encouragent-ils mutuellement à boire ? Ils frissonnent, branlent la tête, font la moue, et chantent des chansons comme celle de « La jeune fille qui vint aux bureaux de l’administration provinciale ». Tout cela, je l’ai vu chez des gens très bien, et je trouve que c’est répugnant.

Sei Shônagon, Notes de chevet, Gallimard, pp. 53-54.

David Farreny, 11 mai 2010
malaise

Je m’étais beaucoup langui d’elle pendant les trois décennies qui venaient de s’écouler, et, si je voulais conserver des chances de ne pas la perdre de vue, il fallait que je m’incruste coûte que coûte à l’intérieur de ce rêve et que je l’attende. C’était un de ces songes où rien de vraiment effrayant ne se produit, mais où toute minute est vécue avec un fort sentiment de malaise. La ville restait crépusculaire quelle que fût l’heure ; on s’y égarait facilement ; certains quartiers avaient disparu sous le sable, d’autres non. À chaque fois que je regardais ce qui se passait dans la rue, je voyais des oiseaux mourir. Ils descendaient en vol plané, ricochaient sur le bitume avec un bruit pathétique, sans un cri, et, au bout d’un moment, ils cessaient de se débattre.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 193.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
rien

Le rien défini comme pure absence de choses porte un autre nom, l’effroi ou le vertige. Le rien est donc plutôt le refus des choses après examen. Un examen succinct, dégoûté, un examen malgré tout, une estimation. Non, non, non et non, dit le rien, sans passion, sans colère, mais une fermeté que l’on n’attendrait pas d’une notion aussi lâche. Non, c’est non. Et il n’y a pas de mais.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 43.

Cécile Carret, 29 janv. 2011
place

Sa figure prit de nouveau une expression de surprise ; il ne pensait pas qu’une femme oserait parler ainsi à un homme. Quant à moi, je me sentais sur mon terrain ; je ne pouvais pas entrer en communication avec les esprits forts, discrets et raffinés, soit d’hommes, soit de femmes, avant d’avoir dépassé les limites d’une réserve conventionnelle, avant d’avoir franchi le seuil de leurs confidences et pris ma place près du foyer de leurs cœurs.

Charlotte Brontë, Jane Eyre ou les mémoires d’une institutrice, FeedBooks.

Cécile Carret, 11 nov. 2011
pur

À qui Duch ne voudrait-il plaire ? Qui ne veut-il emporter dans son enfer intime et sophistiqué ? Un après-midi que son attitude m’excède, je lui demande : « Comment un intellectuel comme vous a-t-il pu agir de la sorte ? » Il me lance : « C’est ainsi. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse maintenant ? » Moi : « Vous pourriez vous tuer, par exemple. Vous n’y avez jamais pensé ? » Il a un instant d’hésitation : « Si. Mais ça n’est pas si facile. » Moi : « Mon père l’a fait, vous savez. » Alors Duch se met en colère, sa voix devient aigüe et menaçante : « Oui, c’est ça ! Votre père, c’est un héros ! » Je réponds doucement : « Je ne crois pas. Il a mis ses actes en accord avec ses idées. Il se respectait. Vous avez fait la révolution pour la justice, non ? Être un héros me semble facile : sauter sur une mine ; mourir pour sa cause ; c’est un état de guerre. Mais être un homme ; chercher la liberté et la justice ; ne jamais abdiquer sa conscience : c’est un combat. » Duch ne répond pas. Ses grands yeux regardent derrière moi, est-ce le garde, un mur, la caméra, le passé ?

Sur la table de travail de Pol Pot, dans la jungle, il y a des livres de Marx, Lénine et Mao. Un cahier. Des crayons. À côté, un lit de camp, et un krama parfaitement plié. Simplicité et vérité de la révolution. Je me suis souvent arrêté sur cette image de propagande. Qu’ont-ils fait de leurs idées pures ? Un pur crime.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 94.

Cécile Carret, 7 fév. 2012
panneau

Monsieur Songe qui est coquet mais pas malin ajoute un dit-il à tel propos très personnel qui tombe de sa plume, croyant ainsi donner le change, faire accroire que ledit propos n’est pas de lui s’il lui paraît faible ou contestable. Il tombe dans le panneau, prenant ses distances par rapport à un monsieur Songe narrateur alors qu’il sait fort bien que c’est lui qui parle, dans ce cas-là du moins.

Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 72.

Cécile Carret, 8 déc. 2013
opaques

Avec l’arrivée dans le roman de tous ceux qui écrivaient autrefois de « difficiles » essais, des poèmes épineux, d’opaques analyses, un grand dévoilement s’opère, une sorte d’apocalypse. On voit enfin ce qu’ils avaient dans le ventre. Rien que ça ! Ces banalités. Ces trois ou quatre vulgarités. Et c’est eux qui les révèlent ! Et personne ne les y obligeait ! Personne.

Philippe Muray, « 1er septembre 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 155.

David Farreny, 10 mars 2016
tromper

Voilà pourquoi ils furent plus indulgents à l’égard d’un Sartre qui, interrogé par Michel Contat à propos de son stalinisme pro-soviétique puis prochinois, déclara qu’il n’avait, au fond, rien fait d’autre que se tromper – même si l’actualité du communisme dont il était le témoin, à chaque procès truqué, à chaque massacre de masse, à chaque purge, à chaque déportation, lui aurait permis de se ressaisir. Son idéal étant moralement juste, seuls les faits, têtus, idiots, s’obstinaient à avoir tort ; par conséquent, il avait eu raison de se tromper.

Frédéric Schiffter, Sur le blabla et le chichi des philosophes, P.U.F., pp. 23-24.

David Farreny, 14 mai 2024

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