simples

Je me souviens qu’à l’âge de dix-sept ans, alors que j’exprimais des opinions contradictoires et perturbées sur le monde, une femme d’une cinquantaine d’années rencontrée dans un bar Corail m’avait dit : « Vous verrez, en vieillissant, les choses deviennent très simples. » Comme elle avait raison !

Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, Maurice Nadeau, pp. 109-110.

David Farreny, 24 mars 2002
saigne

Il y a un âge où on ne rencontre plus la vie mais le temps. On cesse de voir la vie vivre. On voit le temps qui est en train de dévorer la vie toute crue. Alors le cœur se serre. On se tient à des morceaux de bois pour voir encore un peu le spectacle qui saigne d’un bout à l’autre du monde et pour ne pas y tomber.

Pascal Quignard, Terrasse à Rome, Gallimard, p. 139.

Élisabeth Mazeron, 14 déc. 2003
petit

Songeons seulement aux sentiments que nous éprouvons en lisant un beau roman (de Walter Scott, par exemple). Quelle beauté, quelle sublimité, quel intérêt, quelles émotions déchirantes ! On pourrait croire que les sentiments que l’on éprouve alors dureront toujours, ou qu’ils soumettront l’esprit à leurs propres couleur et harmonie. Tandis que nous lisons, il semble que rien ne pourra nous tirer hors de notre carrière ou nous troubler ; et puis, à la première tache de boue qui nous éclabousse en sortant dans la rue, à la première pièce de deux pence dont nous sommes volés, le sentiment s’évanouit complètement de notre esprit et nous devenons la proie de cette insignifiante et fâcheuse circonstance. L’esprit prend son essor vers le sublime ; il est chez lui dans le vil, le désagréable et le petit.

William Hazlitt, Sur le sentiment d’immortalité dans la jeunesse, Allia, p. 46.

Élisabeth Mazeron, 28 nov. 2007
vent

Les piaillements des moineaux coupaient de fines entailles l’enceinte de bruit du trafic. Le vent ramassa dans toutes sortes de détritus un grand gaillard de poussière qui fut obligé de valser (jusqu’à ce qu’une auto vienne l’étirer en longueur et le traîne à mort ; avec son unique papier).

Arno Schmidt, « Sortie scolaire », Histoires, Tristram, p. 131.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
trace

La conversation de la vieille M. est pleine d’épaves qui flottent. Du bon vieux chic, des expressions de gouvernante anglaise du début du siècle, du vocabulaire technique ou sportif d’amants qui ont disparu sans laisser d’autre trace, de l’argot vieilli ; des traces de divers passages dans des couches sociales traversées.

Paul Morand, « 29 décembre 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 691.

David Farreny, 23 sept. 2010
pouvoir

Mais plus que tout il voulait que son père lui pardonne. Pardonne-moi ! avait-il envie de lui dire. Te pardonner ? Grands dieux, qu’y a-t-il à pardonner ? Sur quoi, s’il arrivait à en trouver le courage, il ferait enfin des aveux complets : Pardonne-moi d’avoir méchamment, avec préméditation, rayé ton disque de la Tebaldi. Et pour bien d’autres choses encore, tant de choses qu’il me faudrait toute la journée pour les énumérer. Pour d’innombrables mesquineries. Pour le cœur mesquin qui a conçu ces méchancetés. En somme, pour tout ce que j’ai fait depuis le jour où je suis né, si bien que j’ai réussi à faire de ta vie un supplice.

Mais non, aucun indice, pas le moindre, que, durant ses absences, la voix de la Tebaldi, libérée, avait pris son envol. On aurait dit que la Tebaldi avait perdu son charme, ou bien que son père se livrait à un horrible petit jeu. Ma vie, un supplice ? Qu’est-ce qui te donne à penser que ma vie a été un supplice ? Qu’est-ce qui te donne à penser qu’il était en ton pouvoir de faire de ma vie un supplice ?

John Maxwell Coetzee, L’été de la vie, Seuil, p. 299.

David Farreny, 8 janv. 2011
direction

L’acteur et la femme suivirent le père des yeux, puis se donnèrent la main pour se dire au revoir et sursautèrent en même temps du fait d’une légère décharge électrique.

La femme dit : « En hiver, tout se charge d’électricité. »

Ils voulurent se séparer mais remarquèrent alors que leur direction était la même, aussi allèrent-ils, côte à côte, sans parler. Devant le parking où ils rattrapèrent le père, ils se séparèrent encore une fois avec un hochement de tête mais continuèrent cependant ensemble parce que leurs voitures se trouvaient presque l’une à côté de l’autre.

En roulant, la femme vit l’homme la dépasser ; il regardait droit devant lui ; elle obliqua.

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 86.

Cécile Carret, 30 juin 2013
réponses

car personne ne sait vraiment le savoir. tout le monde a la science à chacun. mais que savoir du savoir et pour quoi faire ? pourquoi ne pas se suicider tout de suite, après tout ? je n’ai aucune réponse à la vie. toutes les vies sont des réponses, mais il n’y en a aucune de bonne. car il n’y a pas de question.

Charles Pennequin, « Il n’y a jamais eu d’avancée… », Pamphlet contre la mort, P.O.L., pp. 124-125.

David Farreny, 11 fév. 2014
ceinturées

Il se peut aussi que sur une promenade au mois de mai, quand le matin est beau, à la Florida ou sur le Prado elles aient aperçu en passant la courtaude silhouette embossée dans sa cape, hivernale parmi des glaïeuls, renfrognée, de l’ombre des chênes verts regardant sombrement ceux qui en plein soleil roulent voiture, portent l’habit à la française, ont les femmes les plus joliment ceinturées, les plus riantes, les mieux nommées, et quand en grand équipage arrivait don Rafaël Mengs ou le Signor Giambattista Tiepolo, elles l’ont vu faire en catastrophe deux pas, sortir de l’ombre et dans la lumière apparaître comme un oiseau de nuit surpris, lever haut le sombrero et le porter vite au giron pour la courbette, l’œil révérant porté là-haut sur l’invisible auréole du Maître trouant le grand plafond du ciel madrilène, et tout son visage tremblant dédiait à cette apparition un sourire extatique, paniqué, peut-être misérable. Et le maître saluait ce gros jeune homme qui voulait bien faire.

Pierre Michon, « Dieu ne finit pas », Maîtres et serviteurs, Verdier, pp. 13-14.

David Farreny, 26 fév. 2014
manœuvre

Avouer certaines choses, cacher certaines choses, tout dire, tout taire… — te fatigue pas — même manœuvre.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 114.

David Farreny, 13 sept. 2014

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer